L’ère numérique, tu l’aimes ou tu la quittes !

Le 10 octobre 2023, 100 associations et de nombreux·ses citoyen·nes répondaient présent à l’appel à mobilisation lancé par Lire et Écrire Bruxelles. I·elles s’étaient donné rendez-vous pour le crier haut et fort « Des guichets, pas du numérique! ». Depuis plus d’un an maintenant, de fortes contestations se font entendre contre l’ordonnance « Bruxelles numérique », un projet politique qui souhaite accélérer la mise en ligne des services publics.

Par Adeline Thollot, 17/10/2023

46% des Belges sont en situation de vulnérabilité numérique. C’est le chiffre phare du dernier baromètre de la Fondation Roi Baudouin (FRB) sur l’inclusion numérique. De plus, comme l’expliquent Elise Debière et Périne Brotcorne dans un Policy Brief publié en octobre 2023 : « L’étude n’a pris en compte que les Belges âgé·es entre 16 et 74 ans, laissant de côté le public des + de 75 ans, potentiellement le plus vulnérable sur la question. On peut raisonnablement avancer que c’est donc bien la moitié des Belges qui a des problèmes avec les outils numériques« . Les chercheuses ont également croisé ces données avec celles des indicateurs socio-économiques. C’est en premier lieu le niveau du diplôme qui influence le plus les compétences numériques. Elles précisent : « Le niveau de diplôme est d’ailleurs un facteur plus déterminant que l’âge ; les chiffres de la FRB montrent que généralement, des jeunes peu éduqué·es ont des compétences moins importantes que des personnes âgées éduquées« . Dans la société actuelle, la technologie progresse et les inégalités sociales continuent de se creuser…

Une smart city : à quel prix ?

Le recours aux nouvelles technologies, est perçu par la région bruxelloise comme un outil dans la conception d’une ville intelligente. Une ville a deux vitesses qui laisse des citoyen·nes sur le carreau, peut-elle se prétendre intelligente ? En plus de renforcer les inégalités, pour le biologiste Olivier Hamant, une smart city entièrement numérique est un projet peu viable au niveau des ressources environnementales. En pointant les limites, il remet ce faisant en question ce que l’on entend traditionnellement par « progrès ».

Le jeudi 28 septembre 2023, le gouvernement bruxellois a définitivement approuvé le projet d’ordonnance Bruxelles numérique. C’est désormais le Parlement régional qui a la responsabilité de statuer sur le projet d’ordonnance porté par le ministre de la transition numérique Bernard Clerfayt (Défi). Les parlementaires sont chargé·es de voter ou de rejeter le texte, qu’i·elles peuvent amender. Ce projet, vise à rendre intégralement disponibles en ligne les services administratifs régionaux et communaux. C’est l’article 13 principalement qui pose problème à une partie de la société civile. Il prévoit, en effet, comme alternatives au numérique : « un accueil physique et un service téléphonique, un contact par voie postale OU toute autre mesure permettant de réaliser les procédures administratives ou les communications autrement qu’en ligne ». Ce « ou » sous-entend dès lors, que la conservation d’un accueil en présentiel des personnes le désirant ne sera rendu obligatoire.

Le 10 octobre dernier, Elise Degrave, professeure de droit à l’Unamur s’exprimait au micro de Matin Première sur le projet de loi de la région bruxelloise. Cette spécialiste en droit numérique rappelait l’historique de cette ordonnance, répondant aux objectifs de la Commission Européenne, qui s’est fixée pour 2030, un accès 100% en ligne des services publics. L’ordonnance Bruxelles Numérique a été présentée devant le Conseil d’État belge, il y a quelques semaines. Ce dernier a jugé que ce texte d’une vingtaine d’articles violait au moins trois droits fondamentaux : droit à l’égalité et à la non-discrimination, droit à l’inclusion des personnes handicapées et droit à la dignité humaine. Afin d’éviter un recours à la Cour Constitutionnelle, le ministre Bernard Clerfayt va donc devoir modifier son projet d’ordonnance.

Malgré plusieurs concertations avec le ministre responsable, les manifestant·es présent·es le 10 octobre et les associations qui les soutiennent, jugent les décisions politiques, à ce stade, insuffisantes. L’ordonnance en l’état ne garantit en rien des guichets physiques et des services téléphoniques, accessibles et de qualité.

Comme s’il faisait un pas vers les réfractaires, le cabinet du ministre a publié à la rentrée, une Charte de déontologie des animateurs en inclusion numérique. Un guide qui a pour but d’encadrer et protéger les animateur·rices en inclusion numérique lors de l’accompagnement individuel ou collectif des citoyen·nes, aux démarches en ligne. L’animateur·rice en inclusion numérique est un métier qui existe depuis plus de 20 ans et peut être exercé notamment dans des Espaces Publics Numériques, appelés EPN. Entre apprentissage technique et urgence sociale, les EPN remplissent des missions essentielles en donnant accès à du matériel informatique, à une connexion ainsi qu’à un encadrement au public en demande. Pourtant, d’après Elise Debière et Périne Brotcorne, les EPN souffrent d’un problème systémique de sous-financement. Ce manque de moyens entraîne un turn-over important chez les animateur.rices qui y travaillent et donc une difficulté à maintenir une formation longue et de qualité sur le terrain. Enfin, leurs fonctions ne sont pas celles d’assistant·es sociaux·les. Les personnes travaillant dans des EPN ne sont, dès lors, pas toujours en mesure de faire face à la complexité des demandes des usager·ères.

Découvrez le travail effectué dans les Espaces Publics Numériques grâce à une série de podcasts réalisée par le GSARA : « LES SOUS-TRAITANTS – Voyage au centre d’un EPN »

Venez en discuter à l’École de Transformation Sociale !

Si elle complique un certain nombre de démarches administratives, la numérisation des services n’est pas le seul frein à l’accès aux droits des personnes les plus fragilisées. Elle s’ajoute à des politiques de durcissement des critères d’octroi des aides, à une vision du social qui privilégie l’activation des usager·es plutôt qu’un accompagnement individuel et une aide universelle, à des procédures bureaucratiques complexes et opaques, à des effets de seuil…

L’École de Transformation Sociale (ETS), organisée par le Forum Bruxelles contre les inégalités notamment, s’inscrit dans une démarche de changement positif, visant à rétablir l’équité et la dignité dans l’accès aux services d’intérêt général pour tous. Sa session consacrée à la fracture numérique vise à aborder ces questions complexes. En rassemblant des expert·es, des usager·es, des professionnel·les et des acteur·rices institutionnel·les de divers horizons, l’ETS se propose de repenser les modèles d’accès aux services d’intérêt général, pour trouver les moyens de rétablir un équilibre entre la technologie et le facteur humain.

C’est la tâche que se donnent les participant·es à la troisième session de l’ETS en 2023. Pendant quatre jours, les 13, 14, 15 novembre et le 7 décembre, i·elles rassembleront leurs expertises pour analyser la situation, trouver des solutions et formuler des recommandations pour les partis politiques en vue des élections de 2024.

Pour participer à cette session, contactez Frederic Aerden ou Lucie Augsbourger.

À lire également

Restez en
contact avec
nous

Si vous rencontrez des difficultés à nous joindre par téléphone, n’hésitez pas à nous laisser un message via ce formulaire

Je souhaites contacter directement :

Faites une recherche sur le site

Inscrivez vous à notre Newsletter

Soyez averti des nouveaux articles