Adolescence en migration : quel accompagnement ?

Chaque jour, en Belgique, en moyenne dix-neuf mineurs étrangers non accompagnés (MENA) sont signalés au Service des Tutelles. Pour certains, c’est la fin du périple migratoire grâce à une demande de protection internationale. D’autres restent inscrits dans l’incertitude, ou plutôt dans l’ «indésirabilité». C’est le cas des MENA dits “en errance” à Bruxelles : de jeunes garçons originaires du Maghreb, âgés pour la plupart de quinze à dix-sept ans. Privés de possibilité de droit de séjour sur le territoire belge, leur prise en charge est souvent discontinue et erratique. Que fait-on de tous ces jeunes dont on nie l’existence administrative et les droits sociaux sur le territoire ? C’est la question posée par l’ouvrage “Adolescence en migration: errances contraintes”, résultat d’une recherche collaborative.

Interview de Céline Graas, par Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, 25/04/2024

« Nous les MENA, on est juste venus pour une vie meilleure », témoigne Anas, 18 ans. Premier récit qui vient éclairer cette « Adolescence en migration : errances contraintes » (Marjorie Lelubre, Céline Graas, Forum-Bruxelles contre les Inégalités, 2024). Premiers aveux de désillusions : « t’es tout seul, tu ne peux faire confiance qu’à toi-même ». Si le départ de ces jeunes est souvent motivé par un pays d’origine qui n’offre aucune perspective – taux de chômage élevé, familles monoparentales, éloignées de cette Europe décrite par « ces émigrés qui rentrent au bled en été (…) comme le paradis » (Hamza, 26 ans) – le périple migratoire les inscrit dans une liberté forcée, insécurisante, elle-même sans perspective.


Pour Oussam, 16 ans, « en Belgique, si tu es tout seul, tu ne pourras pas le faire. Par rapport à tous les gens qui te veulent du mal… ». A sa suite, Youness déchante : « Moi, l’image que j’avais de l’Europe c’est que tout était accessible, que c’était facile de trouver du boulot, je pensais que j’allais avoir plein d’offres et d’opportunités. Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas si facile l’Europe ».

Quand ils quittent leur foyer familial, dès l’âge de 11 ans ou 12 ans, ils restent parfois plusieurs années dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Situées au Maroc, ces minuscules portions de territoires de respectivement 20 et 14 kilomètres carrés constituent des portes d’entrée vers l’Espagne pour un tas de personnes sans papiers. « Bloqués aux frontières, forcés à dormir dehors, exposés à la pluie comme à la chaleur, privés d’accès aux soins de base et vulnérables aux contrebandiers et trafiquants. Leur sécurité est incessamment menacée, et ils n’ont pas accès aux dispositifs de protection de l’enfance » (Marie-Pierre Poirier, Directrice régionale UNiCeF). Sur place, les ONG manquent de ressources pour leur venir en aide.

Ensuite, ils circulent dans divers pays d’Europe, Italie, Suisse, Luxembourg, Pays-Bas, au gré des besoins et des opportunités : travail au noir, contacts, soins de santé… A d’autres moments, changer de pays est aussi synonyme de fuite vers une page plus ou moins blanche quand leur situation devient trop compliquée là où ils sont : deals, consommations, altercations avec les forces de l’ordre. Pour la chercheuse Céline Graas, co-autrice de la recherche, ce parcours migratoire a des conséquences très importantes sur leur développement personnel. Face à une errance contrainte – à la fois administrative (faibles perspective de droit de séjour) et physique (stratégie de survie pour atteindre un ailleurs mythique), « Ils arrivent dans un état d’errance et de détresse psychique particulièrement élevé », avec des signes de violences subies, enfouies. « Ils se font exclure de certains services ou centres d’hébergement à cause de comportements inadéquats, mais qui sont la résultante de ce parcours émaillé de violences et de traumas ».

Pour beaucoup, ils font état de scarifications, de consommations de substances psychoactives comme le Ritrovil ou le Lyrica, médicaments peu coûteux et faciles à trouver. Pas le choix pour pouvoir survivre en rue. Et oublier combien l’issue est fragile. « Rappelez-moi, c’est quoi déjà l’avenir ? On n’a pas de futur », résume Hamza, 26 ans. Pour Céline Graas, impossible de nier ces consommations puisqu’elles sont là, au centre de ce qu’ils vivent. Accompagner ces jeunes revient à prendre en compte l’ensemble de ces problématiques qui traversent leur situation d’errance : consommation, troubles de santé mentale et de santé, droit de séjour incertain… Comment faire lien dans un paysage social-santé lui-même fragmenté ?

Eléments de réponses avec Céline Graas, co-auteure de la recherche-action collaborative menée avec le Crebis entre 2022 et 2024

La demande vient directement du terrain. Dès 2017, les maraudes communales ont vu apparaître ces jeunes sur le territoire bruxellois, avec toutes questions : « comment les prendre en charge ? Vers quels services les orienter ? »… A la garde pédiatrique de l’hôpital de Saint-Pierre, ces jeunes arrivent régulièrement avec des blessures superficielles, des brûlures. Là aussi, les soignants s’interrogent : « quand le parcours de soins s’arrête, que deviennent-ils ? »…

Les acteurs social-santé existent à Bruxelles, mais se sentent, chacun depuis leur service, impuissants pour assurer une telle prise en charge globale et dans la continuité. Ils se renvoient les uns aux autres : « ce n’est pas notre public », « nous n’arrivons pas à construire quelque chose avec eux »… C’est à partir de ce constat que 18 services bruxellois, de secteurs différents et parfois éloignés, se sont mis autour de la table pour réfléchir et construire un accompagnement plus cohérent pour ces jeunes. Durant un an et demi, ils ont décidé de se mettre ensemble pour mieux identifier le réseau d’acteurs compétents. Mais aussi, avec le second objectif de repenser le parcours d’aide, aller au-delà de ce qui coince et d’améliorer la situation.

Le processus de recherche a permis avant tout à l’ensemble des acteurs de se parler ! Ce qui crée vraiment une différence, c’est cette interconnaissance entre professionnels. On le constatait clairement dans les moments plus informels, ils s’échangeaient des informations sur tel ou tel jeune : « on ne l’a plus vu depuis 3 semaines. Tu as des nouvelles ? »… Entre services communaux, fédéraux, associatifs, il y a beaucoup de représentations erronées. La peur par exemple de signaler tel jeune à tel service parce qu’on pense qu’il va être dénoncé à la police. Cette méconnaissance empêche clairement la collaboration.

L’élément central est, selon nous, de disposer d’un acteur de référence pour ce public des mineurs en errance, ce qui n’existe pas à Bruxelles actuellement. Un acteur qui soit là pour prendre en charge spécifiquement ce public. Face à ce constat des professionnels que « tout le monde est désarmé », que « rien n’est emboité », il aurait plusieurs rôles : il serait à la fois le lieu d’information, de mise en réseau, de lieu d’accueil et d’accroche de ces jeunes (bas seuil, pas de critère de non consommation,…). Il pourrait assurer une fonction de lieu tampon entre la rue et le réseau de prise en charge, un premier lieu de stabilisation, du point de vue de la consommation notamment, avant de pouvoir envisager l’accès à d’autres structures. Faire le pont entre l’accompagnement social et la santé…

L’élément central, selon nous, est de disposer d’un acteur de référence pour ce public des mineurs en errance, ce qui n’existe pas à Bruxelles actuellement.

Céline Graas, co-autrice de la recherche

Sans pour autant séquencer l’offre, il s’inscrirait dans le réseau d’acteurs déjà existants. Actuellement, personne ne reconnait ce public comme étant le sien. Il faudrait au moins un acteur qui puisse dire « vous êtes totalement les bienvenus ici ! On existe pour vous ! ». Il pourrait prendre différentes formes, notamment celui d’un centre d’hébergement bas seuil (lire plus ici), mais pas uniquement. Son rôle d’information serait essentiel.

Oui, même si les acteurs non spécialisés dans une approche sociale tels que les acteurs du monde juridique, les services de police, les hôpitaux sont moins directement impliqués dans la prise en charge des jeunes, ils ne sont pas moins en contact régulier avec eux. Une autre piste formulée par la recherche est d’ailleurs la mise en place de modules de sensibilisation. Pour éviter de ne voir qu’une facette de ces jeunes. Sur le plan pénal par exemple, il est important d’appréhender la casquette « auteur de faits délictueux » en parallèle d’une casquette « victime de potentielle exploitation »… (lire chapitre 3)

Effectivement, nos politiques migratoires créent une situation ne leur offrant que de faibles perspectives de droit de séjour en raison de leur origine nationale. Le Maroc et l’Algérie n’étant pas considérés comme des pays en guerre, ces jeunes n’entrent pas dans les critères pour une demande de protection internationale. De plus, la prise en charge de Fedasil – dans des centres reculés, situés en périphérie des villes – ne correspond absolument pas à ces MENA en errance. Ils ont besoin d’opportunités de travail au noir, de réseaux que seuls les espaces urbains peuvent leur offrir. Bien sûr, la prise en charge locale, l’accompagnement qu’on peut offrir sur le territoire bruxellois, n’évacue pas cette question plus structurelle : « quel droit de séjour offre-t-on à ces jeunes ? ». L’une ne peut être pensée sans l’autre. Mais, à travers ce processus de recherche, nous avons voulu éviter cette posture de « tant qu’on n’avance pas sur le droit de séjour, on ne peut rien faire ! ».

Oui, se poser la question de quelle politique d’accueil souhaite-t-on mettre en place ? Dans quelle mesure ces situations d’errance sont-elles contraintes, induites par nos politiques migratoires et les modalités d’accompagnement que nous déployons ? Quelles perspectives offre-t-on réellement à ces jeunes ?
Quand un jeune arrive avant ses 15 ans, pourquoi ne pas lui offrir un titre de séjour d’un an, renouvelable jusqu’à sa majorité et qui facilite l’accès à un titre de séjour à 18 ans ? C’est déjà le cas en Espagne pour ces jeunes, c’est accompagné de toute une série de conditions. Cela pourrait être une piste très concrète à appliquer en Belgique.

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