Les menas en errance à Bruxelles : faire réseau et héberger !

Certains quartiers de Bruxelles sont devenus des lieux d’ancrage pour des Mineurs Etrangers Non Accompagnés en situation d’errance. C’est le cas des abords de la gare du Midi. Ces jeunes s’y retrouvent pour faire, tant bien que mal, territoire. Face à leurs vulnérabilités multiples – sans-abrisme, instabilité territoriale, fragilité psychique, exploitation par les adultes, conduites à risques… – comment concevoir une prise en charge davantage adaptée à leurs besoins ? Le Crebis mène une recherche-action collaborative commanditée par le CPAS de la ville de Bruxelles avec, à la clé, des pistes d’action.

Par Stéphanie Devlésaver, extraits de la matinée de propositions sur les menas en errance à Bruxelles, (21/04/2023), organisée par le CPAS de la Ville de Bruxelles et le Projet Lama dans le cadre du Contrat local social santé du quartier Anneessens.

Derrière ces visages d’enfants, ce sont des parcours de vie bousculés, des déracinements, des départs contraints et sans filets de sécurité. La majorité viennent de pays décimés par la guerre et les conflits : Afghanistan, Soudan, Irak et Syrie. D’autres fuient des zones de crises économiques ou sociales. Avant d’arriver à Bruxelles, ces jeunes ont déjà traversé de multiples mois de galères, voire des années.


« Bloqués aux frontières, forcés à dormir dehors, exposés à la pluie comme à la chaleur, privés d’accès aux soins de base et vulnérables aux contrebandiers et trafiquants. Leur sécurité est incessamment menacée, et ils n’ont pas accès aux dispositifs de protection de l’enfance ». [1]. A défaut d’un ancrage géographique, c’est l’ancrage dans la délinquance qui les définit et les rend inadaptés pour vivre dans un quelconque foyer, explique Olivier Peyroux, sociologue et cofondateur de Trajectoires. Ils sont confrontés à des réseaux d’exploitation qui vont parfois jusqu’à de l’extrême violence en cas de refus de collaboration : tentatives de meurtres, de viols… « Avant d’arriver à Bruxelles, « Ils sont déjà inscrits dans un cercle vicieux entre errance, socialisation de la rue, consommation, emprise… », résume-t-il.

Le pari de réunir les différents acteurs

Comment mettre en place une prise en charge pour ces mineurs ? Les réponses sont tout sauf évidente ! « Leurs besoins sont particulièrement multiples, complexes et imbriqués », précise Céline Graas, chargée d’étude pour le Crebis. Leur prise en charge fait appel à des services et des secteurs très diversifiés : santé et social bien entendu, mais aussi secteurs de la jeunesse, de la migrations, service juridique, sécurité, administrations communales… Pour Marjorie Lelubre, coordinatrice Crebis, la recherche collaborative, « c’est faire le pari de mettre tous ces acteurs autour de la table, c’est une mise en dialogue de professionnels de terrain et de chercheurs, dans une égale légitimité des savoirs ». Le travail se fait sous diverses formes : groupe de recherche intersectoriel d’une vingtaine de professionnels issus de l’associatif et des institutions publiques, entretiens avec des secteurs non représentés dans le groupe de recherche, cartographie de l’offre à Bruxelles, rencontres avec des experts de la santé mentale et des assuétudes, marches exploratoires, pistes d’action et de recommandations…


Aux abords de la gare du Midi, qui sont-ils ?

Au-delà de l’acronyme, la recherche dresse la portrait de ces menas, leur donne un visage : ce sont surtout des jeunes garçons, entre 11 et 18 ans, Maghrébins. Certains arrivent en Belgique après deux, trois, voire cinq années d’errance en Europe. Pour eux, le quartier de la gare du Midi n’est qu’une étape. Au départ du parcours, la quête d’un ailleurs mythique. [2]

En réalité, une errance physique doublée d’une errance psychique, santé mentale fragilisée et conduite à risques, notamment en matières d’assuétudes. D’un côté, une ultra-mobilité, à l’échelle européenne, et de l’autre, une mobilité ancrée, comme dans ce quartier de la gare du Midi. On peut parler de « temporalités séquencées », comme autant de temps d’enracinement et de déracinement à l’échelle transnationale. Inscrits dans un environnement social défaillant, avec une multiplication des relations d’exploitations interpersonnelles et temporaires, ils développent une méfiance généralisée envers les services d’aide et les adultes de manière générale. Comment, dans ce contexte, arriver à les atteindre ? Comment entrer en lien avec eux ? Quel dispositif mettre en place qui serait plus adapté à leurs besoins ? « Aucun des services existants actuellement en région bruxelloise n’a été construit spécifiquement pour ce public », souligne Céline Graas. «Et quand on analyse les conditions d’admission de l’ensemble des ces services, pour les trois quart d’entre eux, les Mena n’y ont finalement pas accès ! ».

« Leurs besoins sont particulièrement multiples, complexes et imbriqués. Il est nécessaire de déployer une prise en charge qui puisse prendre en compte ces multiples aspects »

Céline Graas, chargée d’étude Crebis

Pistes d’action, le travail se poursuit !

A ce stade, bien que la recherche-action soit encore en cours, le Crebis a mis en lumière certaines pistes d’action concrètes. Favoriser la mise en réseau entre acteurs, tout d’abord. Et ce, tant sur le plan national, qu’international « pour proposer une protection à l’échelle européenne et aller au-delà d’une forme d’impuissance » (Olivier Peyroux). La nécessité de sensibiliser, d’informer et de former les professionnels impliqués, de près ou de loin, par ce public de Mena. Enfin, l’hébergement apparait comme une condition nécessaire pour pouvoir apporter une stabilité à ce public à moyen terme, et pas seulement dans l’urgence. Plusieurs scénarios sont envisagés : hébergement de nuit, hébergement de nuit aux plages horaires plus larges, hébergement bimodal (jour/nuit, mais dans des lieux différents)… Rien n’est tranché. S’il est essentiel d’aller vers un service bas seuil accompagné de conditions d’accès plus souples, sa mise en place dépendra des financements, rappelle le président du CPAS de la ville de Bruxelles, Khalid Zian. « Le dialogue a été entamé avec Fedasil, au plan fédéral et régional, pour discuter de projet de prise en charge de ces jeunes en errance. [3] Mais au-delà de l’accompagnement, il faut faire évoluer la législation en Belgique pour que ces Mena ne restent pas des illégaux jusqu’à leur 18 ans et plus », a-t-il ajouté. Au risque d’une prise en charge sans perspective d’avenir.


Le Crebis vous donne rendez-vous dans 6 mois pour les résultats définitifs de sa recherche ! Après une première phase centrée sur la capitalisation et la formalisation du savoir des professionnels, une deuxième phase se poursuit en allant à la rencontre cette fois des premiers concernés : les Menas.

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