Social-santé : faut-il le COVID-19 pour taper sur le clou ?

Qu’avons-nous appris de cette crise ? Que là où ça craque en premier, que là où la souffrance se répand d’abord, c’est là où les limites étaient dépassées depuis longtemps : dans les lieux de relégation, dans la rue et dans les logements précaires, dans les camps de migrants, dans les prisons, dans les maisons de repos mais aussi, bien sûr, dans les hôpitaux et les endroits de soins. (Edito de l’équipe du CBCS, 04/05/2020)


Que la santé ne se résume pas à l’acte de soigner et que le modèle biomédical – à savoir, la prise en charge centrée sur la maladie au sens général et non sur le malade comme individu – a aussi ses limites.

Que même en situation de pandémie, les inégalités existent et produisent leurs effets, le terme de « comorbidité » étant très souvent synonyme d’« inégalité sociale de santé ».

Que, comme le montrent les premières mesures de déconfinement, le rapport de force socio-politique demeure et qu’une fois réparés, les corps sont d’abord priés d’aller travailler et de consommer.

Ces enseignements mettent le projecteur sur ceux que notre système, férocement inégalitaire et individualiste, oublie de façon organisée : les laissés pour compte, les travailleuses et travailleurs de l’ombre, les familles en difficulté, …

La situation actuelle a cette vertu : elle révèle les failles de notre système social, sanitaire et politique.

Qu’en ferons-nous ?

Cette crise montre aussi que, face à l’urgence,il est possible d’imaginer et de réaliser des transformations jusqu’alors impensables, il est possible de casser les logiques les plus ancrées et remettre en cause les règles les plus solides. Les discours critiques et les propositions alternatives prennent soudain de l’épaisseur et s’ancrent davantage dans la réalité.

Ce moment de créativité, nous pouvons le saisir pour lutter contre les inégalités, renforcer la solidarité, élargir la participation à la prise de décision, bref viser une vie meilleure pour le plus grand nombre.

Ce que nous vivons tous aujourd’hui – avec des niveaux très différents de difficultés – rappelle combien le dogme du tout au marché, les politiques d’austérité devenues permanentes, le démantèlement de nombreux dispositifs de l’état social et la régression des législations en matière d’accessibilité aux droits sociaux conduisent à un phénomène structurel de précarisation :

« Les situations que les professionnels du secteur social-santé bruxellois ont quotidiennement dans leurs salles d’attente ou leurs bureaux ne sont plus seulement le produit de parcours malheureux ou d’événements inattendus mais, de plus en plus souvent, la conséquence d’un enchevêtrement de décisions politiques, de logiques économiques et d’une évolution sociétale globalement subie et acceptée, sinon désirée. » (extrait du rapport intersectoriel 2018, CBCS)

Ce que nous vivons tous aujourd’hui – mais avec une exposition inégale au risque – montre que l’organisation des systèmes socio-sanitaires, comme celle des autres pans de la vie en société, est avant tout un choix politique. Le Bureau fédéral du Plan ne dit pas autre chose dans ses recommandations : pour que l’indicateur du “Bien-être ici et maintenant” (BEIM) de la population s’améliore rapidement, « les politiques de sortie de crise devraient se concentrer en priorité sur les groupes vulnérables ».

Aujourd’hui, sans plus attendre

Dès aujourd’hui, appuyons sur le long terme les mesures prises en faveur des personnes les plus fragiles : moratoire sur les expulsions, accès facilité aux soins de santé pour les personnes sans-papiers, renforcement de l’aide sous forme de chèques repas et chèques énergie, accès au logement pour les personnes sans-abris, …

En ce sens, veillons à ce que « les mesures sociales urgentes à prendre » (voir le rapport du groupe d’experts en charge du déconfinement ou GEES) soient effectives :

  • Augmenter les minima sociaux (aujourd’hui, en dessous du seuil de pauvreté) ;
  • Augmenter les allocations familiales régionales pour les ménages dans le cadre du système d’allocations majorées. Avec une attention particulière pour les groupes de personnes handicapées et pour les déficits financiers des étudiants qui travaillent. Prévoir aussi des mesures spéciales d’aide, à côté des allocations familiales, vu les dépenses supplémentaires liées au confinement (aide à l’achat d’ordinateur par exemple pour que les enfants puissent suivre l’enseignement à distance,… ) ;
  • Automatiser rapidement l’accès à toute une série de droits, tout simplement car les gens précarisés, vu le confinement, ne peuvent se rendre physiquement dans les services ad hoc ;
  • Transformer l’aide alimentaire, délivrée notamment par les banques alimentaires – les gens ne pouvant se déplacer que difficilement pour aller chercher leur colis – en bons d’achat dans les magasins. Plus simple et plus accessible, ce dispositif rendrait également les personnes plus autonomes dans leur alimentation ;
  • Assurer le report sans frais des prêts à la consommation ;
  • Régulariser temporairement les sans-papiers. A Bruxelles, ils représentent 7 à 9 % de la population.

Par ailleurs, une multitude de textes ont été récemment produits dans lesquels s’accumulent constats, propositions et revendications. Il est urgent et capital de nous en saisir, de les discuter et de peser pour faire advenir celles qui nous semblent les plus désirables.

l’équipe du CBCS, 04/05/2020

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