A Bruxelles, plusieurs milliers de personnes vivent dans des squats ou d’autres types d’occupations temporaires. Leurs habitant·es, invisibilisé·es, présentent souvent de grands besoins non couverts, notamment en soins de santé. Que faire quand ces personnes, éloigné·es de leurs droits fondamentaux, sont par exemple infectées par la gale ? Quand des punaises de lit envahissent leurs matelas de fortune ? Comment créer un lien avec elles sans s’imposer ? C’est exactement ici que l’équipe Cover (Coordination, veille sanitaire et réduction des risques) intervient. Née en juillet 2022, elles créent le lien avec ces publics là où ils se trouvent. Objectifs : prendre soin de la santé de ces collectivités, mais aussi augmenter les chances de les amener petit à petit vers la première ligne classique de santé. Avec une file active d’environ une vingtaine de squats (l’équipe intervient aussi dans tout ce qui est hébergement collectif), Cover a dans ses missions d’élaborer un Plan de veille sanitaire pour le secteur sans abri bruxellois. La pérennisation des missions de l’équipe, encore incertaine, doit être discutée auprès de l’administration (Vivalis) et le nouveau cabinet en charge des compétences social-santé. (lire à ce sujet : « 360 associations lancent un appel urgent aux autorités » )

Eclairages avec Remi Dekoninck, coordinateur du projet Cover, Justine Vindevogel, promotion de la santé et projet squat, Preston Itondo, assistant social, Richard Nitunga, chargé de communication – Par Stéphanie Devlésaver, journaliste, CBCS – 12/12/2024

CBCS : L’histoire de Cover débute au moment du Covid-19…
Oui, durant le confinement, des personnes marginalisées, usagères de drogues, atteintes de troubles de santé mentale, en situation de grande précarité, n’avaient pas accès à leur traitement. Certains CPAS ont alors autorisé l’obtention de l’Aide Médicale Urgente (AMU) par mail. Durant cette période, de nouvelles équipes mobiles ont vu le jour pour administrer les traitements dans les hébergements ou en rue, pour faire de la promotion de la santé dans les squats.

Cover, c’est la continuation de ces initiatives innovantes prises durant le Covid-19, aujourd’hui portée par le New Samusocial et Lama ?
On est à présent une équipe de 17 personnes – médecins, assistant·es sociaux/ales, psychologues, infirmier·es, promoteur·ice dans la santé, chargé·e de communication, logisticien·ne… – pour poursuivre ce travail d’outreach. Le covid-19 a fait bouger certaines lignes dans la méthodologie du travail des services sociaux, dans l’accès aux services, continuer à aller vers ces patients, là où ils se trouvent, avec une attention particulière sur l’aspect sanitaire pour éviter que certaines épidémies – gale, covid-19, tuberculose, punaises de lit – ne se propagent dans ces lieux marginalisés, c’est essentiel .

En quoi votre travail est à la fois singulier et essentiel ?
Depuis plusieurs années, on constate que la première ligne de soins n’est plus adaptée à toute une série de personnes. On parle d’une ligne de soins intermédiaires ou ligne 0.5, c’est exactement là où on se situe ! En tant qu’équipe mobile, notre travail est d’améliorer l’accès des services de première ligne. Pousser la porte de squats, très peu d’équipes le font. Parfois, pour des raisons de sécurité bien réelles, parfois pour des questions fantasmées. Rentrer dans un bâtiment abandonné, avec des personnes qu’on ne connait pas, ce n’est pas évident !

Certains stéréotypes du squatteur, d’office consommateur de crack, sont tenaces…
Or un squat n’est pas l’autre, il y a tout un éventail d’occupations, selon notamment la situation des personnes qui y vivent. Certains de ces lieux sont magnifiques, habités par des collectivités très bien organisées qui entretiennent les espaces ; d’autres servent d’abris, de lieux de consommation pour éviter de le faire en rue. Il y a des occupations avec 10 personnes, d’autres avec 1200. Certains squats sont actifs pendant 10 jours, d’autres pendant des années. Parfois, ce sont des personnes en irrégularité sur le territoire, en demande de protection internationale, des enfants scolarisés, des personnes extrêmement marginalisées… Certaines ont des gros problèmes de santé, de santé mentale, d’addiction, ce qui va effectivement avoir des répercussions sur le lieu de vie…

Dans ces cas-là, comment intervenir ? Quel accueil vous est fait ?
A nouveau, c’est très variable, selon la situation vécue par les personnes et leurs besoins. En situation d’expulsion, elles vont être tout le temps dans le stress, c’est difficile de mettre des actions en place à long terme. Si les personnes sont confrontées à des urgences médicales – infestation de gales ou de punaises de lit – et qu’elles n’ont pas d’accès à des soins de santé, alors ce sera plus facile de venir apporter des réponses. Dans tous les cas de figure, on vient d’abord se présenter, on ne s’impose jamais.

On parle d’une ligne de soins intermédiaires ou ligne 0.5, c’est exactement là où on se situe ! En tant qu’équipe mobile, notre travail est d’améliorer l’accès des services de première ligne.

Rémi Dekoninck, projet Cover

Vous avez mis en place une méthodologie d’intervention…
Oui, c’est important de créer le lien au préalable, on n’arrive pas à l’improviste : on fait d’abord un état des lieux du bâtiment et des besoins avec les responsables du squat, les encadrants ou une autorité morale… Ensuite seulement, on organise un moment de rencontre sur les lieux. On présente notre équipe, on voit ce qu’on peut faire au niveau logistique, social, sanitaire : organiser des groupes de nettoyage, des accompagnements individuels pour améliorer la situation de chaque personne, notamment pour les problèmes d’usages de drogues et de santé mentale. Parfois, ce sont des gens qui veulent rentrer au pays, on les aide pour un retour volontaire, ou un recours. Parfois, cela fonctionne bien, et d’autres fois, nous ne sommes pas les bienvenus…

Quand c’est ce cas de figure, la commune peut-elle être une alliée ?
Comme c’est territorialisé, chaque commune va réagir différemment. Certaines ont l’habitude d’avoir des squats sur leur territoire et développent une certaine pratique, avec des équipes qui viennent visiter les lieux. Certaines communes prennent elles-mêmes des initiatives d’occupation temporaire. D’autres voient pour la première fois un squat s’installer dans l’une de leur rue et envoient immédiatement la police sur les lieux.

D’où, la nécessité de mieux informer, les communes notamment !
On travaille beaucoup avec elles et les services de prévention pour qu’ils nous signalent les squats plutôt que de plonger sur la solution unique de l’expulsion ! Certains squats très organisés et qui existent depuis très longtemps, développent des activités culturelles qui deviennent une vraie plus-value pour le quartier. C’est le cas d’un squat, sur la commune d’Ixelles, dont les habitants organisent notamment des formations tout public pour accompagner les personnes sans-papier.

La commune n’est pas le seul partenaire : vous allez aussi vers d’autres partenaires locaux tels que les associations, les CPAS…
On tente de collectiviser une action autour du lieu pour qu’elle soit la plus complète possible. Par exemple, dans le cas d’une occupation d’une quarantaine de Palestiniens à Ixelles, nous avons découvert de grands besoins non couverts, notamment en soins de santé, des personnes étaient infectées par la gale. Nous avons d’abord pris contact avec le collectif de militants qui les encadraient. Après plusieurs réunions, ils nous ont introduits dans le squat. Grâce à nos médiateurs interculturels qui parlent arabe, on a pu établir un lien de confiance.

A partir de ce lien, Cover peut organiser la concertation avec les partenaires et coordonner sur place l’ensemble de l’intervention…
Tout à fait, l’intervention de traitement contre la gale est alors bien reçue et réalisée en concertation avec les services locaux. Dans ce cas-ci ; nous avons fait appel à l’asbl « Bulle », service de machines à laver mobiles, « Rolling douche » qui propose des douches mobiles, La Fontaine qui fournit un traitement pour la gale. Ce même jour, nous avons réaménagé tout le lieu pour le rendre plus propre et pour que la maladie ne se propage plus. L’opération a duré 9h !

Vous adaptez les protocoles de veille sanitaire établis par la région bruxelloise, l’Etat fédéral, à la réalité des lieux…
On prend le temps de faire un état des lieux à partir des ressources existantes, à partir du lieu qui n’est pas une maison classique. On tente d’accompagner les personnes et de créer un réseau autour d’elle : rejoindre des activités sportives, culturelles, se rendre à l’église, à la mosquée, etc.… On propose aussi des activités de jardinage, peinture, travaux d’entretien sur les lieux, ou tout simplement de se réunir dans un parc pour créer du lien ! Mais il y a surtout un gros travail de promotion à la santé et d’accompagnement des personnes dans un circuit de soins ! Si on voit qu’il y a un besoin d’AMU, on va accompagner individuellement, physiquement les personnes, vers le CPAS ou autre. Ou le CPAS, s’il est partant, va venir vers le squat. Dans un hôtel occupé à Saint-Gilles, on a réussi à faire venir le CPAS pour donner l’accès à l’AMU !

C’est amener l’accès aux droits et à l’information là où les gens sont ! Avec une philosophie de travail basée sur la réduction des risques…
Quand on travaille avec des personnes pour lesquelles il y a peu de perspectives, s’il y a d’autres problèmes en plus – santé mentale, addictions…- cela devient très compliqué. Travailler sur cette ligne de soins intermédiaires exige d’être le plus horizontal possible dans le rapport avec les personnes, ne rien leur imposer, être « à côté » d’elles. Avec ces questions en tête : qu’est-ce qui est important pour ces personnes ? Comment créer le lien de confiance ?… On tente de faire un travail clinique de la réduction des risques auprès de nos usagers. Le lien de confiance, c’est notre outil de travail. S’il n’y a pas ce lien, on ne peut rien faire !

Travailler sur cette ligne de soins intermédiaires exige d’être le plus horizontal possible dans le rapport avec les personnes, ne rien leur imposer, être « à côté » d’elles.

Equipe Cover

Au-delà de ce travail d’accompagnement, une des missions de Cover, c’est aussi de coordonner l’ensemble du travail autour des squats et du sans-abrisme…
A l’échelle de la Région bruxelloise, notre rôle est d’informer Vivalis sur les suspicions de maladies et les cas avérés pour qu’il garde un œil sur l’état de santé dans le monde du sans-abrisme. Par ailleurs, avec Bruss’Help comme partenaire principal, on fait lien entre les différents organismes qui tentent d’améliorer la vie des personnes qui vivent en squat. Parce que diverses actions existent, mais de manière très isolée, dans certains quartiers. On organise une concertation de veille sanitaire toutes les 6 semaines. Une coupole « squat » rassemble également des acteurs en lien avec les squats, mais réunit surtout les squats eux-mêmes ! Les représentants des squats y ont une voix, ils peuvent expliquer les problématiques vécues. Faire dialoguer les représentants des squats avec les pouvoirs publics (essentiellement l’administration Vivalis), les services de première ligne, cela permet déjà d’apaiser des tensions qui peuvent survenir et de normaliser un peu cette réalité.

L’objectif est de créer un cadre commun, d’amener une harmonie là où un squat s’installe…
Certains propriétaires sont relativement ouverts à laisser leur bâtiment occupé à partir du moment où ils ont des garanties sur un minimum d’encadrement quant à l’état du bâtiment. Cela permet aussi de redonner un peu de légitimité à toutes ces occupations qui se créent dans des bâtiments abandonnés, de rendre visible toutes ces collectivités sans accès à un logement, qui s’organisent entre elles, sans aide des pouvoirs publics, parfois avec une aide minime…

Vous lancez un message d’alerte : ce n’est pas un phénomène qui est marginal !
Et il prend sans cesse plus d’ampleur. On a été dans une quarantaine de squats depuis le début de nos activités. Et il y en a certainement beaucoup d’autres, qu’on ne connait pas ! Nous sommes convaincus que, de plus en plus, les associations vont être amenées à aller dans les squats. Nous pouvons les former, montrer qu’on peut travailler dans la transversalité, à la fois sur les problématiques de santé, de santé mentale, de toxicomanie, etc.

Et responsabiliser les politiques sur leur rôle à jouer par rapport au manque d’accès au logement social ?
Il y a tout intérêt pour les plus précaires que ces occupations soient reconnues et sortent de l’illégalité. Il existe des projets qui travaillent en ce sens, notamment l’agence des occupations temporaires. Pour ces gens qui y vivent, c’est très compliqué d’être sans cesse sous la menace d’expulsions. Dans notre travail, on est constamment face aux limites des institutions et des réponses institutionnelles. Si les squats pallient, avec les moyens du bord, à un manque de logements sociaux (lire la carte blanche à ce sujet) ), le phénomène est sans doute encore plus en lien avec la crise de la politique d’accueil de la Belgique qui laisse toutes des personnes en marge de notre société.

Pour en savoir plus sur l’ensemble de leur travail, lire le rapport d’activités de l’équipe COVER

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