Macadam : « Une association, seule, ne peut contenir l’errance d’un jeune » !

Macadam, nom masc. : Assise de chaussée formée de pierres concassées, agglomérées avec un agrégat sableux. L’association porte bien son nom. A Anderlecht, à deux pas de la gare du Midi, elle travaille avec ces jeunes dits « en errance » qui ont déjà souvent bien roulé leur bosse : Aide à la Jeunesse, migrants, LGBTQIA+, en conflit avec la loi, … Dispositif d’accueil de jour issu d’une réflexion menée par 7 associations bruxelloises [1] Macadam entend recréer du lien avec ces jeunes pris dans des réalités de sans-abrisme caché. En d’autres mots, les empêcher de basculer dans une désaffiliation totale et faire valoir leurs droits grâce à un travail en réseau.


5 questions à Emilie Scheen, coordinatrice du projet Macadam – Par S. Devlésaver, CBCS asbl, mars 2022

Place Bara, à Anderlecht, juste derrière la gare du midi. Un policier (trop) prévenant me lance : « faites attention à vos affaires ! ». Pourtant rien de suspect à l’horizon, si ce n’est une agitation typiquement citadine. Passée la porte du n°78, Rue Sergent de Bruyne, la tranquillité du dedans contraste pourtant avec le dehors. Un jeune accoudé à l’imposant « help desk » qui trône au-dessus des marches du couloir d’entrée est en pleine discussion avec deux travailleurs sociaux. Ils lui proposent un casque à brancher sur son téléphone portable. Il aide à déplacer une armoire, offre des bonbons à qui veut :

-« je les ai oubliés 3 jours dans le foyer où j’étais passé. Ils étaient toujours là, on me les a bien gardés ! ».

-« Ca te dirait pas de dormir ailleurs que sous ta tente ? », glisse une des travailleuses. A la porte d’Ulysse, tu peux t’inscrire, mais il y a 15 jours d’attente.

-« Oulaa, 15 jours ! »

-« Tu dors sous tente depuis des semaines, tu ne perds rien à t’inscrire ! C’est le matin, à la gare du Nord, entre 9h et 11h ».

Ok, je vais voir… »


« La finesse du travail ici, c’est d’arriver à écouter les jeunes », traduit Emilie Scheen, coordinatrice du projet. A Macadam, on estime que pousser la porte est déjà une demande. « Pose-toi et viens prendre un café ! » est souvent la première invitation. « On ne demande pas au jeune qu’il déballe toute son anamnèse dès qu’il arrive. Il peut d’ailleurs aussi faire le choix de ne pas parler ». L’idée, avant tout, est de prendre le temps dans un cadre pas trop institutionnel. « Finalement, ces salles d’entretiens individuels, on ne les utilise pas tant que ça », ajoute-t-elle, en effectuant la visite des lieux. Le bâtiment – qui aurait servi de QG au parti Ecolo dans une autre vie, d’où l’imposant helpdesk à l’entrée – s’adapte plutôt bien à ses nouvelles fonctions [2]. Consignes, ordinateurs, des douches ont été ajoutées, il y a même un lavoir à disposition des jeunes. Pas d’espace de cuisine ? Tous les midis, des repas confectionnés à partir d’invendus par les Gastrosophes arrivent à destination. Et puis surtout, il y a cette salle de repos, spacieuse et lumineuse, pour se poser ou bien participer à une activité. Et qui donne sur un espace extérieur. « Quand on sait que pour certains de ces jeunes, on ne peut rien faire, à part ouvrir l’accès à l’Aide Médicale Urgente (AMU), on veut offrir un espace différent pour travailler la confiance en soi. Montrer que leur avis compte, dans un endroit agréable où on leur fait du bien ». Voire plus, quand c’est possible. Et ce, grâce à un travail intersectoriel plutôt que chacun dans son coin.


CBCS : Emilie Scheen, quelle est l’origine de ce projet Macadam avec pour signes distinctifs l’écoute et la mise en réseau de travailleurs de différentes associations ?

Tout a démarré à partir de ce constat : les jeunes en errance sont trimballés d’un secteur à l’autre. Avec pour conséquence, une réelle perte de confiance dans les institutions ! Et ils sont de plus en plus nombreux à ne rentrer dans aucune des cases des services existants. D’où, l’idée d’un projet intersectoriel qui ciblerait le sans-abrisme des jeunes. Voilà comment est né ce dispositif d’accueil de jour dans lequel on évite de mettre les jeunes sous les radars. On travaille l’estime de soi, la confiance en soi par des chemins détournés. Au-delà de l’entretien individuel, l’organisation d’activités collectives – sport, cuisine, sorties culturelles, ateliers d’expression, …- permet de rencontrer ces jeunes différemment, de les faire participer au lieu de parler pour eux, sur eux. D’aller voir derrière les étiquettes de « délinquant », « sans-papier », « étranger », « bon à rien », … L’idée n’est pas de faire leur anamnèse, encore moins d’être inquisiteur. Le jeune se confie quand il le sent, quand il se sent en confiance. Les situations compliquées qu’ils vivent ne définissent pas tout ce qu’ils sont ! Les activités sont ouvertes à tout jeune de moins de 26 ans – pour accompagner la transition vers l’âge adulte – en situation d’errance ou qui risque de l’être. Le matin, c’est sans rendez-vous, l’après-midi, sur rendez-vous. Mais on n’accueille pas plus de 15 jeunes. Le mardi, un moment est réservé uniquement aux jeunes filles entre 14h et 17h.

Par ailleurs, Macadam prend activement part à la coalition bicommunautaire « A Way Home Brussels ». Sur le modèle canadien, cette plateforme qui met en présence des opérateurs de terrain, des opérateurs publics et politiques entend prévenir, prendre en charge et éradiquer le sans-abrisme des jeunes à Bruxelles. Pour le moment, il existe des groupes d’action autour de 3 thématiques : les Mineurs Etrangers Non Accompagnés (Mena), l’accessibilité des services et la continuité de l’aide et du soin, le logement durable.

Les situations compliquées que les jeunes en errance vivent ne définissent pas tout ce qu’ils sont !

Emilie Scheen, coordinatrice à Macadam


CBCS : Comment le travail intersectoriel se met-il en place ? Comment travailler à plusieurs à partir d’une même structure ?

Au total, ce sont 7 asbl qui constituent le projet basé sur un travail en réseau, c’est le point central du projet. Actuellement, ce sont SOS jeunes, Cemo, Abaka, Infor drogues et Tels Quels qui organisent les permanences. C’est un peu à chaque jour, son association ! Par contre, l’équipe de Macadam est là [3] pour faire le lien avec les partenaires, faire tourner les différents services – logistique pour les douches, les consignes, l’accueil collectif et, avant tout, faire le lien avec les jeunes. L’idée est que le jeune puisse refaire confiance et faire émerger les demandes. Ce qui n’est pas possible si l’équipe est trop mouvante. L’équipe de Macadam est là pour recréer du lien avec les jeunes, faire émerger des choses, semer des petites graines. Et quand des demandes plus spécifiques apparaissent, alors on oriente vers les partenaires du réseau. L’objectif n’est pas d’être spécialisé en tout, mais d’avoir des référents, des outils dans l’équipe sur tel et tel aspect.

CBCS : Le travail en réseau est-il évident, au quotidien ?

Il ne faut pas se mentir, c’est complexe à mettre en place, chacun a son cadre de travail. Certaines structures ne sont pas habituées, par exemple, au secret professionnel partagé. Or le travail intersectoriel implique qu’on l’utilise. Certaines associations détachent trois personnes, d’autres moins ; certains partenaires assurent des moments collectifs (accueil, ateliers, repas, …) ; d’autres offrent une permanence sur rendez-vous. SOS Jeunes – qui assure également les permanences d’accueil – fait du travail de rue, d’autres pas. Etc. Etc. Et les jeunes n’identifient pas toujours que nous sommes différentes structures ; ils peuvent aussi être très doués pour trouver la faille à laquelle on n’aura pas pensé !


D’où, la nécessité de travailler avec chacun à partir de conventions de partenariat à géométrie variable, aux modalités temporelles différentes qui sont évaluées tous les 6 mois. Nous nous mettons d’accord sur des objectifs à atteindre, à partir d’une philosophie commune, d’un projet pédagogique commun dans lequel le jeune est au centre du travail. On réfléchit aussi en amont aux besoins, aux autres partenaires qu’on souhaite intégrer. On voit le temps qu’ils peuvent dédier à Macadam. Il y a des réunions régulières avec l’ensemble des « partenaires-travailleurs de terrain ». Il y a aussi des entretiens avec le jeune et les deux associations qui le suivent pour qu’il identifie les structures, pour les enjeux de secret professionnel à expliquer au jeune, etc.


CBCS : Qui sont ces jeunes ? Macadam s’attendait-il au public majoritairement accueilli ?

Notre public majoritaire est constitué pour le moment de jeunes majeurs sans papier maghrébins qui vivent dans le quartier ou qui y ont leurs points de repères. Et puis, nous recevons aussi énormément des Mineurs Etrangers Non Accompagnés (Mena). [4] Ce sont les jeunes les plus proches territorialement qui viennent pour le moment.


Honnêtement, nous ne nous attendions pas à une telle représentation du public de Mena ! Nous sommes allés à leur rencontre, en rue, de juillet à fin novembre 2021. Nous avons réalisé des maraudes avec SOS Jeunes pour voir ce que nous pouvions leur proposer. Le mot est très vite passé auprès de ces jeunes, mais aussi plus largement auprès des organisations présentes à Anderlecht : DoucheFlux, les éducateurs de rue sur le territoire, etc. A la base, le projet a été conçu pour des jeunes qui n’étaient pas spécialement inscrits dans des parcours migratoires, mais plutôt dans de longs parcours dans l’aide à la jeunesse. Cela dit, l’errance, qu’elle soit nationale ou internationale, repose sur une série de mêmes processus. Les dynamiques sont les mêmes qu’on soit Belge ou étranger. Ils ont totalement la place dans notre projet. C’est juste qu’ils cumulent encore en plus des traumas migratoires et des pertes de repères culturels.

L’étendue de la demande est immense. C’est difficile pour l’équipe parce qu’il y a très peu de perspectives pour ces jeunes. Il y a aussi la barrière de la langue. Mais nous travaillons, par exemple, à partir d’un plan de Bruxelles pour comprendre comment ils se représentent dans la ville, comment ils appréhendent leur lieu de vie. Après, ils n’ont pas toujours la disponibilité psychique pour le faire. Et on doit aussi garder de l’énergie pour d’autres jeunes qui ne seraient pas encore arrivés jusqu’ici !

Sur les 5965 personnes hébergées au Samusocial en 2020,

21,5 % avaient entre 20 et 29 ans

Source : rapport d’activités Macadam

CBCS : quels sont les nouveaux types de partenariat créés ? Quelles sont les perspectives pour être au plus près des besoins des jeunes ?


Nous collaborons avec Article 27 pour des visites socioculturelles, même si jusqu’ici le Covid Safe Ticket a été une barrière… Le Cemo, Centre d’Education en Milieu Ouvert, fait une permanence de 4h par semaine, uniquement sur les questions de logement, d’informations sur les droits et devoirs des locataires, en présence d’un travailleur de Macadam. On a aussi contacté BASkuul qui travaille sur les 19 communes et qui propose un accueil ouvert sur les questions concernant le CPAS, le Revenu d’Intégration Sociale… Tout est encore en construction, l’équipe Macadam termine seulement de se constituer. Nous avons d’autres partenaires potentiels – le SIREAS, CARITAS, … -, mais dont les services sont débordés. Ils n’ont donc pas la possibilité de venir sur place, nous pourrions par contre envisager des rencontres sur prise de rendez-vous. Nous n’avons pas encore trouvé de modalités de partenariat avec des Services de Santé Mentale, eux aussi souvent saturés.


Depuis début mars 2022, l’équipe est au complet [5] L’idée est de mélanger davantage les publics, dans la limite de la jauge, fixée à 15 jeunes maximum. L’objectif est de les accompagner dans un endroit agréable où on leur fait du bien. Si cela ne fonctionne pas avec telle institution ou tel CPAS, notre cadre se veut très souple pour ne pas reproduire l’exclusion ! Mais quand un jeune vient tous les jours et qu’on sait qu’on ne peut rien faire, à part ouvrir l’accès à l’AMU (Aide Médicale Urgente), c’est démoralisant. Du coup, au-delà du travail psychosocial et de l’estime de soi, une autre perspective serait de mettre en place une approche médicale : travailler la relation au corps quand les mots ne sont pas là ou quand il n’y a rien d’autre qu’on peut mettre en place. Parce qu’un jeune va se confier différemment à une infirmière qu’à un éducateur ! C’est mon intime conviction, en tant qu’ancienne éducatrice !

Bon à savoir :

Portes ouvertes – Open huis – à Macadam le 28/04 !

Journée portes ouvertes à Macadam le jeudi 28/04/2022 ! Rue Sergent de Bruyne – 1070 Anderlecht.

De 15h30 à 18h30.

Voir les infos sur leur page Facebook.

Macadam engage !

L’asbl recrute un·e adjoint.e à la direction motivé·e et prêt·e à se lancer dans
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