Tandis que des petites mains dans les quartiers populaires subsistent en récupérant inlassablement ferrailles, chiffons et autres « brols », dans le haut de l’échiquier, d’autres n’hésitent pas à envoyer à la casse des immeubles entiers et leurs tonnes de béton pour faire tourner la bétonnière et la planche à billets.
Bruxelles en mouvements n°317, avril 2022
Ce numéro de Bruxelles en Mouvements est l’occasion de mettre le focus sur ces métiers de chiffonniers, ferrailleurs, … Ces métiers, tantôt romantisés, tantôt instrumentalisés, tantôt rejetés, voire criminalisés parce que concernant une population marginale, n’ont pas disparu. Ce sont les vendeurs à la sauvette d’aujourd’hui qui s’installent aux marges des lieux institutionnalisés de la « récup » (marchés, brocantes…), les exilés, demandeurs d’asile ou sans-papiers, les Roms ou encore ces œuvres caritatives vivant de la récupération… Mais, de plus en plus, la promotion de l’économie circulaire vient les assimiler, les intégrer ou les concurrencer par la mise sur pied de start-ups, souvent subventionnées, gravitant autour d’un public au capital culturel bien plus élevé.
Le journal vous fera déambuler dans les Marolles, à Cureghem, aux Abattoirs d’Anderlecht, ces quartiers qui accueillent aujourd’hui encore ceux qui vivent de l’économie d’en bas et de ces métiers en marge de l’économie formelle.
Lectures épinglées :
–Recycleurs des rues, par Cataline Sénéchal
–Brol, vous avez dit brol ?, par Martin Rosenfeld
Extrait choisi :
“Alors que le mot brol est aujourd’hui largement utilisé, son usage n’est pas toujours absent d’enjeux et de tensions. Notamment dans les quartiers populaires du centre de Bruxelles, comme les Marolles. Ces quartiers sont soumis à une forte pression immobilière et à des stratégies de marketing urbain et le brol y incarne à la fois un désordre à éradiquer, mais aussi l’« authenticité » qui fait l’attractivité de ces quartiers. C’està-dire que les touristes et nouveaux occupants du quartier, souvent plus nantis, choisissent les Marolles pour son côté authentique, mais que ce faisant ils contribuent à la gentrification de ces espaces qui, paradoxalement, ont alors tendance à s’uniformiser et à perdre leur authenticité. C’est particulièrement clair dans les quartiers d’accueil de populations précaires et migrantes situés à proximité directe d’espaces fortement gentrifiés, comme le Sablon. Cette dynamique est souvent volontairement accompagnée par les pouvoirs publics qui cherchent à attirer cette nouvelle population. Notamment via des stratégies de marketing urbain visant à encadrer la vente du brol sur le marché ; interdiction des pratiques de gratuité, tentative d’uniformiser les espaces de vente au sein de tonnelles blanches, ou encore organisation du Brol National, une édition du marché « spécial Belgique » organisée le 21 juillet.
Ces stratégies ont culminé en 2014 avec un énorme projet urbanistique visant à construire un parking souterrain à l’emplacement même du marché du Jeu de Balle. Ce n’est que grâce à une mobilisation importante des riverains que ce projet, qui aurait irrémédiablement transformé l’âme du marché, a pu être stoppé. Si ce projet semble aujourd’hui abandonné, d’autres formes d’instrumentalisation du mot brol pointent déjà, notamment autour des enjeux d’économie circulaire. Il reste donc essentiel d’être vigilant au sens et aux nombreux enjeux qui entourent ce terme polysémique de brol”.
EN SAVOIR PLUS au sujet de l’économie informelle :
PODCAST « Les enquêtes de l’École de Transformation Sociale », épisode n°1 : Le monde parallèle de l’économie informelle (par l’Agence alter)