Comment les structures LGBTQIA+[1]Lesbienne, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe, Asexuel, plus tous les autres intègrent-elles les questions sociales dans leurs actions? Le secteur social-santé tient-il compte des spécificités des publics LGBTQIA+? Comment faire bouger les lignes? Voici les principales questions abordées lors du débat radiophonique “LGBT : le coming-out du social ?”, organisé par l’Agence Alter, en collaboration avec Bruxelles Nous Appartient, le 16 février 2023.
Par Adeline Thollot, sur base du débat radiophonique “LGBT : le coming-out du social” organisé par l’Agence Alter, le 16 février 2023
Après un dossier consacré aux liens entre le social et les mouvements LGBT, un débat radiophonique se tenait dans les locaux du centre communautaire Les Grands Carmes. Ouvert depuis fin 2022, ce nouvel espace LGBTQIA+ axé sur la culture, la santé et la formation, occupe temporairement des bâtiments dans le centre de Bruxelles. Un site de 1800 mètres carrés dédié notamment, à des manifestations culturelles et éducatives, un café à visée sociale, des espaces de co-working, de culture, des bureaux pour les associations LGBTQIA+ bruxelloises et une Maison arc-en-ciel de la Santé (MACS Brussels Checkpoint). Bref, on ne pouvait rêver endroit plus opportun pour aborder les questionnements des travailleur·ses sociaux·ales face au non-recours aux droits des personnes LGBT.
Dans le numéro de décembre 2022 d’Alter Echos, on peut lire que “la part des personnes ayant connu des épisodes de vie en rue serait cinq fois plus élevée parmi les LGBT que dans la population générale, selon une enquête européenne”. En Belgique, il existe peu d’études consacrées à la question. Les chiffres manquent, ce qui contribuent à l’invisibilisation des parcours de vie de ces personnes. Le public LGBT présente des risques plus importants de précarité, quel que soit leur âge, et ce, d’autant plus lorsqu’elles cumulent des facteurs de fragilité supplémentaires (intersectionalité), comme ceux liés à l’exil, par exemple. En matière d’accès aux soins, notamment, les personnes LGBT ne sont pas sur un pied d’égalité. Isabelle Gosselin, travailleuse pour l’Observatoire du sida et des sexualités, précise que “le vécu des personnes LGBT, de par les violences institutionnelles, agressions, rejets auxquels elles ont dû faire face dans leur parcours, les mène à une certaine appréhension à franchir les portes d’un service de santé. Cela entraîne des freins dans l’accès aux soins et donc un retard dans la prise en charge”. De plus, en raison des discriminations auxquelles il fait face, le public LGBT présente des troubles en santé mentale ou des conduites à risque, plus importantes.
Il est dès lors primordial pour les asbls généralistes de prendre en considération les spécificités de ce public en offrant un accueil et un suivi bienveillant et individualisé. En effet, derrière l’acronyme LGBT se cachent des parcours de vie très différents. Le fait de demander à une personne comment elle s’identifie plutôt que de présumer son identité de genre ou son orientation sexuelle fait partie des bonnes pratiques, applicables dans toutes les structures. On pourrait citer la possibilité d’avoir accès à des toilettes non-genrées. Cependant, même si ces sujets commencent à se faire une place dans le social-santé, une grande partie des travailleur·ses manque de formation et de connaissances. Par conséquent, les professionnel·les, à leur contact, les renvoient vers des personnes jugées “safe”, souvent saturées par la demande. Afin d’aller vers plus d’inclusion et ainsi lutter contre le non-recours aux droits des personnes LGBT, une grande question persiste : doit-on aller vers des structures spécifiques ou vers plus d’inclusion de la part des asbls généralistes ?
Vers plus de social ou plus d’inclusion ?
Pour Myriam Monheim, travailleuse au centre de planning familial Plan F à Bruxelles, “Il faut les deux !”. Même si elle précise aussi qu’il “y aura toujours quelque chose de plus fort et de plus dense du côté des structures communautaires”. Dans une capsule sonore interrogeant le ministre bruxellois de l’action sociale et de la santé, Alain Maron, celui-ci dénonce une fausse perception de concurrence entre les services. “La première ligne se doit d’accueillir tous les publics. Il faut dégager plus de moyens pour ceux précaires et spécifiques, mais cela ne veut pas dire qu’on les retire ailleurs. L’idée est de pouvoir accueillir largement”. La réalité est plus complexe.
Guilhem Lautrec est directeur de l’asbl Alias, une association qui accompagne les hommes et les personnes trans* [2]personne dont l’identité de genre ne correspond pas au genre qui lui a été assigné à la naissance concerné·es par la prostitution et le travail du sexe en Belgique. Il constate, sur le terrain, le poids du non-recours pour les personnes trans* : “Je peux prendre l’exemple d’une femme trans, concernée par le travail du sexe. Une structure d’hébergement d’urgence ne se rendra peut-être pas compte des besoins spécifiques pour l’accueillir, car elle ne poussera jamais la porte de leur structure“. Certaines personnes sont complètement invisibilisées, il est dès lors difficile de connaître leurs besoins. Dans une étude réalisée par l’Observatoire du sida et des sexualités, la recherche faisait état de situations où les personnes présentes dans des structures d’aides, s’invisibilisaient elles-mêmes en ne s’identifiant pas à cette minorité. “Cela fait partie de certaines stratégies de survie développées par des minorités sexuelles depuis des années”, explique Guilhem Lautrec.
Afin de s’adapter réellement aux besoins du public LGBT et à ne pas tomber dans du Gender Washing [3]stratégie marketing visant à se présenter comme soucieuse des droits des femmes ou des personnes LGBTQIA+ et de leur émancipation, bien plus qu’elle ne l’est en réalité, les travailleur·ses se doivent de réfléchir à leurs propres mécanismes d’oppression. Il est important de penser les stigmates en interne, pour les déconstruire et changer les pratiques. Cela demande également une connaissance du réseau, afin de pouvoir s’appuyer sur des structures partenaires pour penser les trajectoires de soin. Pour pouvoir mener des suivis plus individualisés, le secteur demande plus de moyens financiers. De manière générale, il est essentiel pour le secteur social-santé, d’intégrer des questions liées au genre et à la sexualité afin de tendre vers plus d’inclusion.
Au-delà des questions d’identité, auxquelles elles sont souvent ramenées, les revendication des mouvements LGBT sont d’abord des questions politiques. “Il est important de rappeler qu’une grosse partie du travail social est très liée au militantisme. Des champs entiers des politiques sociales sont issus notamment de l’activisme LGBT, comme c’est le cas de la Charte d’Ottawa [4]la première Conférence internationale pour la promotion de la santé, réunie à Ottawa, a adopté le 21 novembre 1986 la dénommée “Charte d’Ottawa” qui s’inscrit dans les suites des mouvements de lutte contre le sida”, conclut Guilhem Lautrec. Se rappeler de l’Histoire et reconnecter les liens entre mouvements LGBT et travail social permettraient de sortir d’un débat parfois jugé trop théorique pour mettre en place des solutions concrètes et adaptables afin de lutter contre la précarité des personnes LGBT.