Aujourd’hui, l’Association Sans But Lucratif serait une entreprise comme une autre… Ah, bon, vraiment ? Le secteur dit « non marchand » a effectivement subi récemment une modification de son cadre légal. [1]Le cadre législatif qui organisait le secteur associatif en Belgique depuis 100 ans – la loi de 1921 et le non-recours a à des opérations commerciales et l’interdiction de procurer à ses membres un gain matériel – a basculé dans le code des sociétés et des associations, laissant place à une vision plus libérale. Le 10 mars, le Collectif21 proposait une journée et un film « 2121, Hypothèses, associations » pour en débattre. Au-delà du cadre législatif, qu’en est-il sur le terrain associatif ? Quels sont les rapports des associations aux pouvoirs publics ? Comment se traduirait, au quotidien, cette tendance à la marchandisation et à la professionnalisation ? Quel sens donne-t-on aux démarches collectives contemporaines, à l’engagement, au militantisme ?…
Retour sur 3 questions-clés issues des débats qui ont fait suite à la projection. Avec, notamment, Bernard Keris (Les Grignoux), Céline Nieuwenhuys (FdSS), Jacques Moriau (CBCS), Farah Ismaïli (FESEFA), Julien Talpin (Laboratoire des libertés associatives, France),…
Collectif21 : Est-il encore nécessaire et viable en 2022 d’avoir un secteur culturel associatif ?
Bernard Keris : En 40 ans, les Grignoux ont grandi beaucoup et vite ! L’asbl gère aujourd’hui 13 salles de cinéma sur trois sites liégeois et un site namurois. Nous occupons aujourd’hui plus de 150 travailleurs et accueillons environ deux mille personnes par jour, toutes activités confondues. Résultat : comme le souligne bien le film« 2121, HYPOTHÈSES, ASSOCIATIONS », nous avons le nez dans le guidon et peu de temps pour nous questionner sur le sens de notre travail et nos pratiques quotidiennes ! Cependant, le choix de laisser nos salles ouvertes après la décision de fermeture complète du secteur culturel lors du Codeco du 22 décembre 2021 [2]Les cinémas des Grignoux resteront ouverts malgré la fermeture complète du secteur culturel décidée mercredi soir par le Comité de concertation, a annoncé jeudi l’asbl qui demande au gouvernement à revenir sur cette « décision inepte ». Lire plus ici. suivi d’un recours au Conseil d’Etat a eu pour résultat de suspendre les mesures sanitaires imposées au secteur culturel. Cet exemple récent nous montre combien on peut faire plier les pouvoirs publics !
Collectif21: Ce serait le rôle de l’associatif aujourd’hui : plutôt que de faire de l’aide et de l’accompagnement « palliatif », être une force de proposition ?
Farah Ismaïli : C’est difficile de mettre le fait associatif à l’agenda politique. A la FESEFA, on tente de faire remonter les constats de terrain vers le politique, de provoquer la rencontre avec les cabinets et d’être effectivement force de proposition…
Céline Nieuwenhuys : Personnellement, en tant que membre du GEES [3]Groupe d’expert chargés d’accompagner la réflexion du gouvernement lors du déconfinement pendant la pandémie, j’ai été confrontée à la grande impuissance politique dans les cabinets sur nos questions social-santé. Par ailleurs, l’associatif est globalement dans une telle défiance du « grand ennemi » qu’il ne nourrit pas assez ce terrain de jeu entre politique et associatif dans des formes de collaborations conflictuelles. J’ai parfois la crainte qu’on se trompe de combat : nous devrions nous accorder plus de marges de manœuvre par rapport au politique et nous positionner davantage comme une force de proposition ! Nous sommes, selon moi, trop peu impertinents ! En tant qu’associatif, nous n’avons à rougir de rien : nous avons un trésor dans les mains.
Jacques Moriau : nous devons penser notre efficacité, mais aussi penser la relation entre l’associatif et l’Etat : jouons-nous « avec » ou « contre » lui ?… Pour rappel, l’associatif est né de forces politiques particulières [4]Lire plus ici à ce sujet ici et là. L’idée est de penser la symbiose entre les deux parties. Or la place que prend l’Etat sous la coupe des intérêts marchands parasite cette symbiose. Nous devons réfléchir notre positionnement par rapport à cette puissance qui se transforme ; qui amenuise les forces collectives au profit de l’individuel.
Collectif21 : Selon vous, quels sont les principaux écueils à éviter ? Les grands défis à venir ?
Céline Nieuwenhuys : Suite à la crise Covid, les intervenants sociaux qui étaient dans les quartiers à défendre les droits des usagers sont passés derrière leurs bureaux. Résultat : nos associations sont perçues de plus en plus par les citoyens comme des sous-administrations coupées du terrain ! C’est un vrai danger ! Pour lutter contre cette tendance, l’associatif est à la recherche aujourd’hui de nouveaux espaces pour refaire commun dans la ville…
Jacques Moriau : La place des usagers est souvent un point aveugle dans le travail social. Or ce sont des personnes intéressées par les mêmes questions que tout citoyen ! Renforçons cet intérêt commun entre intervenants sociaux et usagers plutôt que de définir l’associatif en termes d’aide et d’accompagnement social. Construisons des réponses à des questions communes de société !
C’est toute la question de l’imaginaire politique auquel nous voulons nous allier ! Quels sont nos objectifs : la justice sociale ? L’égalité ? … Si on parvient à faire vivre les distinctions entre le social, le marché et l’Etat, alors l’associatif peut être un véritable générateur de possibilités !
Julien Talpin : Tant en France qu’en Belgique, la capacité d’audace est compliquée : nous avons peur de perdre des emplois, des subventions, etc. La question financière liée à l’autonomie associative est centrale ! L’enjeu, selon moi, est d’obtenir des victoires pour montrer que l’engagement vaut la peine. Créer des rapports de force au lieu de parler ! Dans cette perspective, le Community Organizing peut être une vraie source d’inspiration pour l’associatif.
Plus de lectures sur les rapports entre les pouvoirs publics et les associations !
Sur le site du CBCS, on vous éclaire sur les rapports entre l’associatif et le politique, sur la concertation sociale belge et la charte associative , mais aussi sur la dénonciation d’un Etat “activateur” et de la gouvernance par appel à projets.
N’hésitez pas à vous plonger dans le dossier papier “Les intermittents du pouvoir” proposé par Alter Echos. Ecoutez également Magali Plovie, Présidente du Parlement bruxellois francophone, et Alain Willaert, coordinateur général du CBCS dans ce podcast d’Alter Echos.