Une carte blanche de Coraline Caliman, assistante sociale en droit des étrangers à Bruxelles, publiée le 9/07/21 par le CBCS
La pandémie a mis en lumière, à juste titre, certains héros du quotidien tels que le corps médical, les facteurs, les éboueurs. Jamais Ô grand jamais ne pourraient y être associés les « sans-papiers », les « illégaux », ces personnes sans permis de séjour. Bien que certains médias parlent un peu plus de ces individus mystérieux ces jours-ci (merci à celles et ceux s’étant cousu les lèvres et/ou ayant entamé une grève de la faim), ils demeurent, dans l’inconscient collectif, une masse parasitaire, criminelle, décadente ; un agrégat d’individus méritant seulement d’être renvoyés dans leur pays.
Et pourtant. Parmi eux, il y a ce Vénézuélien dont la demande de protection internationale a été déboutée car le régime qu’il a fui n’était pas assez dictatorial. À ses côtés, une mère de famille congolaise qui a tout laissé derrière elle, car les violences qu’elle a subies n’ont pas suffisamment atteint son intégrité physique et morale. Ce sont aussi ces parents du Salvador qui cherchent seulement à offrir un meilleur avenir à leurs enfants, sans devoir être extorqués toutes les semaines par les gangs. C’est ce jeune Marocain qui a traversé la Méditerranée et qui préfère survivre ici, plutôt que de vivre là-bas en s’avouant vaincu. C’est encore cette Brésilienne qui a tenté sa chance outre-Atlantique et qui, après 20 ans de travail au noir, ne bénéfice toujours d’aucune protection sociale.
Des vies comme celles-ci, qui méritent un temps d’arrêt, il y en a environ 150 000 en Belgique. Cent cinquante milles. 1,4 % de la population belge. Et tant d’embûches imposées par le monde politique pour qu’1,4% de la population puisse bénéficier d’une couverture sociale minimale, d’un droit au travail, ou seulement d’un droit à la dignité humaine. Tapis dans l’ombre, ces Héros vivent avec la peur au ventre constamment : peur d’être contrôlés où qu’ils aillent, peur de ne pas pouvoir se remplir l’estomac, peur de ne pas être à l’abri ce soir, peur de tomber malade.
Ah, si au moins le gîte et le couvert pouvaient être dignes de ce nom ! Mais si les centres d’hébergement d’urgence et autres associations font de leur mieux, les réseaux d’aide sont saturés. Nombreux sont les Héros à y préférer la rue car le risque d’être pillé ou agressé y serait moindre. En matière d’aide alimentaire, les Survivors n’ont guère plus de choix. Il faut des jambes solides pour attendre sa brique de lait et son morceau de pain pendant 3 heures, un mental d’acier pour accepter de partager la table avec les plus vulnérables ; alors qu’on gagnait sa croûte honorablement dans une autre vie. Et la Covid ? Tiens, parlons-en, ça fait longtemps ! Alors que de nombreux Héros s’en sortaient grâce au travail au noir, leurs activités ont dû cesser. La crise sanitaire touche tout le monde, certains plus que d’autres. Sans-papiers, ils n’en sont pas moins des êtres humains, parfois pères ou mères de famille, plongeant encore un peu plus dans les limbes de la société.
Si seulement ces acrobates de la vie savaient à quoi s’en tenir en matière de régularisation de séjour. Mais il n’en est rien. Il y aurait encore tellement à dire concernant les conditions (inexistantes) d’une régularisation, le prix (exorbitant) de la redevance, les délais (indéterminés) de la procédure, ou encore le nombre (insignifiant) de décisions positives. L’effectivité de l’aide médicale urgente, droit résiduaire, n’est pas en reste. Tant qu’on n’est pas trop malade, ça passe. Tant qu’on s’y prend à temps, ça passe encore. Pour les imprévus, c’est une autre paire de manches.
Tout ceci n’est qu’un aperçu médiocre des affronts qu’ils subissent quotidiennement. Je ne suis pas « sans-papier ». Je ne suis pas un Héros et je ne pourrai jamais m’imaginer leur réalité. Ce que je peux faire, c’est seulement aligner quelques mots pour, peut-être, éveiller l’une ou l’autre conscience.
Mais toi, Sammy, ce que tu peux faire est bien plus grand.
Sammy, ne rêve pas, ces Héros ne rentreront pas chez eux. Te rends-tu compte des conditions dans lesquelles ils préfèrent vivre, plutôt que de prendre un billet retour ?
Sammy, ne t’inquiète pas, il n’y aura pas d’appel d’air. Crois-tu vraiment en cette théorie fragile et populiste ? Toi, l’universitaire ?
Sammy, laisse-moi croire que tu n’es pas de ceux-là.
Sammy, profites-en. Profite de leurs ressources, de leurs compétences, de leur art de la débrouille. Tout le monde y gagnera. Dois-je te rappeler que leur renouvellement de séjour dépendra, pour la majorité, de leur non-recours aux aides publiques et de l’exercice d’une activité économique ?
Sammy, dis-moi, qu’est-ce que ça te coûte de leur offrir une chance, à ces Héros d’un autre quotidien ?
Sois aussi un Héros, Sammy.
Carte blanche de Coraline Caliman, assistante sociale en droit des étrangers à Bruxelles, Juillet 2021