Nos données en santé : « il est essentiel de créer le débat » !

Une carte blanche intitulée « Nos données santé : une confidentialité menacée » met le doigt sur le danger du partage de données. Le Comité de Vigilance en Travail Social nous a permis d’en savoir un peu plus sur l’origine de cette carte blanche, les principales craintes et les moyens de résistance auxquels peuvent avoir recours les professionnels du social-santé.

4 questions à Yahyâ Hachem Samii, membre invité du bureau du CVTS, directeur de la Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale (LBSM) et co-signataire de la carte blanche – Par S. Devlésaver, le 17/02/2022

CBCS : Yahyâ Hachem Samii, pourquoi cette carte blanche collective ?

Cela fait déjà plusieurs années qu’une série d’acteurs réfléchissent à cette question du secret professionnel et aux conditions de partages de données. En santé mentale, le métier de psychologue a subi une évolution importante au niveau fédéral : il est entré dans la catégorie des soignants, ce qui a ouvert à toutes ces questions. La loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient et celle du 22 avril 2019 relative à la qualité de la pratique des soins de santé (dont des arrêtés d’application sont attendus en juillet2022) précisent une série d’éléments. Mais elles laissent aussi beaucoup de questions en suspens selon les contextes de travail très diversifiés [1] : avec qui partager telles données ? Que met-on comme types d’information dans un dossier partagé : l’anamnèse, le diagnostic, le traitement, les résultats ? Quid de ses notes personnelles ?… En psychiatrie, les diagnostics sont des hypothèses de travail qui peuvent évoluer, en fonction de l’intervenant, en fonction du temps. A titre d’exemple : un trouble mental ne se traduit pas de la même manière d’un patient à un autre ; ou encore, il existe autant de “bipolarités” que de “personnes bipolaires”. Ces notions varient d’un ouvrage de référence à l’autre et peuvent évoluer en fonction du regard porté par la neurobiologie, la sociologie, la culture, la société. Elles sont en débat perpétuel.

CBCS: Quelles sont les craintes principales par rapport à un dossier partagé ?

Tout d’abord, que l’information soit figée et qu’elle étiquette les patients. Qu’elle ne permette plus ces discussions constantes sur les diagnostics et les traitements. Mais aussi, que s’opère un renversement de la logique autour du secret professionnel. Avant, le professionnel était tenu au secret et pouvait le lever seulement sous certaines conditions. Aujourd’hui, l’informatisation renverse cette logique ! On enregistre d’abord les données, elles sont partageables, sauf si le patient s’y oppose. Cette évolution dans le champ de la santé fait écho à d’autres évolutions dans le champ du social, de la justice. Avec la question du terrorisme par exemple, toute une série d’exceptions sont apparues dans le code pénal, notamment avec des concertations rendues possibles entre des acteurs judiciaires et sociaux. Une législation prévoyait même l’obligation pour les travailleurs sociaux de CPAS de dénoncer des personnes quand il y avait suspicion de risque de radicalisation (cela a été cassé depuis). On ouvre alors la porte à toute une série de dérives !

CBCS : Dans le code pénal, le secret professionnel est consacré. Le secret professionnel partagé pourrait, dans certains cas, le mettre à mal ?

Le secret professionnel partagé, parce qu’il n’est jamais défini nulle part, est une notion fragile ! De plus, peu de médecins, de soignants ou d’intervenants sociaux informent les personnes sur leurs droits par rapport aux traitements de leurs propres données : par manque de temps, par méconnaissance ou encore parce que les informations à ce sujet sont floues pour le professionnel lui-même. Au nom de la pratique en réseaux, les échanges de données sont parfois de moins en moins questionnées. C’est comme une boîte noire à laquelle on ne touche pas. Or le travail de l’aide et des soins n’est possible que dans un cadre de confiance, c’est une des garanties de la paix sociale.

« Avant d’être un droit, le respect du secret professionnel est un devoir : l’obligation de garder le secret, dont la violation est punissable »

Article 458 du code pénal belge (1967)

CBCS : Que peut-on faire, en tant qu’intervenant social, pour renforcer ce cadre de confiance menacé ?

Premièrement, être correctement informé. (Lire le Manifeste du Travail Social) Le Cresam et la LBSM organisent un cycle de webinaires sur la confidentialité qui s’adressent à tout intervenant social, quel que soit le secteur dans lequel il travaille. Des professionnels de l’aide et du soin de tous bords viennent discuter de leurs pratiques. (voir les prochains webinaires et les ressources) Comme il est impossible de prévoir toutes les situations, c’est en connaissant mieux la loi que les intervenants peuvent poser leur propre cadre, appliquer leur propre éthique. Une équipe peut par exemple faire le choix de ne pas suivre un prescrit légal, à condition de le discuter collectivement et de pouvoir l’argumenter.

C’est essentiel d’inviter les équipes à se ressaisir de ces questions sans attendre qu’une situation limite se présente à eux. Exemple : dans le cas d’un travail avec des mineurs d’âge, quand dois-je demander l’avis des parents ? Quelle est la place de l’usager dans son propre dossier ? Comment l’informer sur ses droits ? A quel moment selon la vulnérabilité des publics avec lesquels on travaille ?… Ce sont toutes des situations où on peut utiliser le droit existant en faveur du secret professionnel.

Enfin, il est essentiel de créer le débat. Le partage de données peut être vu comme efficace, mais cela doit se discuter. Prendre le temps d’affûter ses arguments, de préserver la dignité de la vie privée. Or les professionnels sont souvent pris par leurs pratiques, par le temps. Résultat : les grands enjeux de fond sont souvent réglés dans des cénacles dont toute une partie des professionnels sont absents. Ce qui représente, selon moi, un vrai danger pour la démocratie !

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