C’est dans une salle comble que s’est tenue la présentation du film “En marche – histoire de l’homme-machine” au Centre culturel Jacques Franck à Saint-Gilles, le 25 mai 2022. Un long métrage qui encourage à la réflexion sur des questions de société. Notamment grâce à l’aide de philosophes, telle Isabelles Stengers.
Par Adeline Thollot, CBCS asbl, mai 2022
“Un homme, tout investi de son travail, le perd. Sa fonction sera désormais automatisée. Privé de ce qui donnait sens à sa vie, cet homme se tue. Histoire classique, si ce n’est que notre homme – appelons-le Martin – avait pour métier de contrôler, et parfois exclure, les chômeurs. Reprenant les rushes d’un documentaire d’entreprise avorté, le film retrace les derniers jours du parcours de Martin Grenier, ultime facilitateur humain avant que le contrôle des chômeurs ne se retrouve automatisé. A travers une suite d’entretiens de contrôle, se révèle un personnage coincé entre sa volonté d’empathie et la procédure. L’algorithme sera-t-il plus juste ? Plus efficace ? Ce théâtre absurde et cruel est commenté en parallèle par une série de philosophes, sorte de reportage sur un futur en train de s’écrire. En marche, disaient-ils…“
Sorti en avril 2022, le film oscille entre fiction et documentaire. Il présente les déboires des demandeurs d’emploi et de Martin Grenier, facilitateur, pour ne pas dire contrôleur des chômeurs. “En marche” invite à plonger dans l’absurdité des relations humaines qui sont à l’œuvre dans le marché de l’emploi. Dématérialisation des services, contrôle, absurdité des démarches administratives, le film aborde une myriade de thématiques, en lien avec la recherche de travail.
Entrecoupée par les interventions d’une série de philosophes, dont Isabelle Stengers, présente lors de la discussion avec la salle, l’histoire de Martin est à l’image de celles d’autres travailleurs dans les administrations. Répétant inlassablement le même discours, le facilitateur est programmé à évaluer les personnes, sur la même grille d’évaluation quotidiennement : rencontrez-vous des difficultés dans vos recherches ?, combien de CV avez-vous envoyé ce mois-ci ?, …
Le film ne se veut pas dichotomique, il permet d’avoir accès aux deux points de vue. Face aux répondants de certains demandeurs d’emploi, on finirait même par plaindre, le fameux contrôleur. Alain Eloy, l’un des réalisateurs, explique la construction du personnage de facilitateur : “Martin Grenier est l’objet de tous les commentaires, sans pouvoir lui-même commenter puisqu’il n’est plus là. Il reste donc une énigme, même s’il parle beaucoup et laisse transparaître l’être humain derrière la fonction. Martin est un être trop humain dans un rôle de machine. Il gronde, donne des leçons, s’enfonce, encaisse… Son humanité ne lui est pas utile, c’est plutôt son point faible. La seule chose qu’on sait de lui est qu’il aime son métier, que son métier le consume et qu’ils vont disparaître, lui et son métier. Il n’est pas plus à plaindre que les gens qu’il reçoit. Il subira le même sort, c’est le sens de l’Histoire”.
De manière loufoque, ce long-métrage a été pensé comme un outil de réflexion, valorisant le savoir ascendant, celui qui vient de l’expérience. Abordant l’essence du travail et particulièrement du non-emploi, il nous projette dans un futur (pas si lointain) de l’automatisation des services pour les demandeurs d’emploi. Le débat qui a suivi la projection a permis de tisser des liens entre la situation “fictive” présentée et celle bien réelle qui fait suite à la pandémie de Covid-19 et qui agit comme un accélérateur de dématérialisation des services, déjà amorcée depuis plusieurs années.
Le collectif 1chat1chat, dont font partie Pierre Schonbrodt , Alain Eloy , Pierre Lorquet , Luc Malghem , Sabine Rongelheilm, est à la réalisation et signe ici son premier long-métrage. Soucieux de s’intéresser à des thématiques engagées, Pierre Lorquet, membre du collectif expliquait que la question du travail et du non-travail, il n’y a pas si longtemps, était un “sujet complètement absent de la littérature ou du cinéma“. Le sujet parle à tout le monde, car rare sont ceux qui n’ont jamais été confronté au non-emploi de leur vie. Comme le précise Sabine Rongelheilm, “d’une manière générale, notre société accorde à l’idée de travail une série de valeurs sans doute excessive : estime de soi, légitimité de la parole, titre plus ou moins ronflant… D’où la très grande souffrance de celles et ceux qui en sont privés”. Dominique Méda, une des philosophes qui témoigne dans le film, explique : “Le chômage, c’est tellement horrible, qu’un mauvais travail est mieux que pas d’emploi du tout“.
Bon à savoir !
Une prochaine projection aura lieu à l’espace Rasquinet, à Schaerbeek, le 15 juin 2022, à 20h.