PSSI : définir l’offre de base avec l’associatif

Le Plan social-santé intégré (PSSI) propose un modèle renouvelé de l’offre d’aide et de soin. A partir du contexte général bruxellois, Karine Boussart, chargée de projets (CBCS), en retrace les objectifs et les principes pour ensuite clarifier les acteurs en présence et leur articulation. Elle explique aussi comment la recherche collaborative menée actuellement par le CBCS/CREBIS sur 3 quartiers bruxellois (Marolles, Evere Sud et Koekelberg) va permettre d’inférer une première définition de ce que devrait être l’offre de base.

RAPPEL DU CONTEXTE

Le Plan social-santé intégré (PSSI) résulte de constats sur le bien-être social, physique et mental des Bruxellois. Mentionnons déjà qu’à Bruxelles, 415.000 personnes – soit 34% de la population bruxelloise – risquent de sombrer dans la grande pauvreté. Ce taux est de 19% en Belgique[1].  Cela montre les inégalités entre territoires, qui sont aussi une réalité au sein même de Bruxelles. En effet, appliqué à Bruxelles, le coefficient de Gini, qui mesure le degré d’inégalités des revenus, est le plus élevé du Royaume.

Ces constats sont dressés par les professionnels eux-mêmes et par les structures d’accompagnement de ces professionnels. Ils s’observent dans les chiffres : précarité  importante et grandissante à Bruxelles, complexification des problématiques et fortes inégalités socio-sanitaires entre communes bruxelloises selon le niveau de revenu :

IndicateurBelgiqueRégion Bxl-CapitaleWoluwe Saint-PierreSaint-Josse ten-Noode
 -10 ansActuel-10 ansActuel-10 ansActuel-10 ansActuel
Part de RIS pour 1000 habitants[2]11,06‰ (2016)14.16‰ (2024)29.58‰ (2016)37.63‰ (2024)11.53‰ (2016)12.57‰  (2024)71.09‰ (2016)82.90‰ (2024)
Part de GRAPA[3]5.57%4.90%  9,3% (2011)12,7% (2021)3,7% (2011)4,3% (2021)23,6% (2011)26,3% (2021)
% du revenu devant être consacré au loyer (isolé RIS, 1 ch)[4]66% (2016)87% (2016)  
% de mortalité
infantile (source : IBSA)
3,6‰ (2019)[5]3,5‰ (2015 – 2019)2,4‰ (2015 – 2019)4,5‰ (2015 – 2019)
Espérance de vie en années (hommes/ femmes)   (source : IBSA et StatBel)79 / 8479,3 / 84,183  / 87,676,4 / 82,3

Ces chiffres montrent à la fois une détérioration de la situation social-santé à Bruxelles, un degré de difficulté plus aigu à Bruxelles par rapport à la Belgique et enfin une corrélation entre inégalités social-santé et revenus. On peut également souligner que la part du revenu qui doit être consacrée au loyer est démesurée en particulier à Bruxelles et que le taux de GRAPA à Saint-Josse-ten-Noode est le plus élevé de la Région. Les chiffres confirment aussi ce que le PSSI pointe sur le taux de mortalité infantile qui est deux fois plus élevé dans des familles sans revenus que dans des familles bénéficiant de deux revenus et que l’écart en matière d’espérance de vie entre les communes les plus riches et les plus pauvres va jusque 3 ans.

Ajoutons à cela une augmentation du report de soins dû à des raisons financières dans un contexte de complexification des situations social-santé et d’augmentation des maladies chroniques :

  • Le report de soins dû à des raisons financières en Belgique francophone est passé de 32% en 2015 à 44% en 2022[6].
  • Le pourcentage de la population déclarant au moins deux maladies chroniques a augmenté entre 2001 (11,4%) et 2018 (15,2%).[7]

Ce préambule nous indique deux choses :

1° : malgré la qualité de la couverture social-santé en Belgique, l’état de la population bruxelloise se dégrade. L’organisation social-santé bruxelloise actuelle ne couvre pas les besoins minimaux ;

2° : les inégalités social-santé entre quartiers bruxellois requièrent une offre social-santé  différenciée.

OBJECTIF ET PRINCIPES DU PSSI

Le PSSI s’attaque à ces enjeux en proposant un modèle renouvelé de l’offre d’aide et de soin. Il se base sur un référentiel qui rejoint ce que le secteur ambulatoire avait exprimé dans une note de vision en 2020[8]. Le modèle envisagé repose sur un usage plus intégré de tous les moyens disponibles afin d’offrir un service de base à l’ensemble de la population bruxelloise tout en atteignant les personnes les plus éloignées de l’aide et du soin. Il s’appuie sur trois principes-clés :

  • L’approche territorialisée : définir le niveau territorial de l’offre en fonction des besoins. La territorialisation permet d’offrir les services nécessaires au plus près des personnes et d’être attentif aux spécificités locales pour faciliter l’accès aux services social-santé et lutter contre le non-recours. Le PSSI prévoit trois niveaux d’intervention : les quartiers, les bassins et la Région. Nous revenons sur l’articulation et les acteurs au point suivant ;
  • L’intégration et le décloisonnement : étant donné la complexification des problématiques évoquée ci-dessus, une approche pluridisciplinaire doit entourer la personne pour une prise en charge globale et continuée. Cela exige des pouvoirs publics qu’ils facilitent les collaborations entre les secteurs social/santé/santé mentale. Ce rapprochement doit s’effectuer au-delà des sources communautaires de financement afin d’avoir une collaboration intersectorielle et intercommunautaire. Une vue globale et intégrée de l’offre servira tant aux citoyens qu’aux pouvoirs publics, notamment en cas de crises sociales ou sanitaires. L’intégration produira au mieux ses effets avec des compétences ministérielles organisées selon la même logique, c’est-à-dire une compétence combinée social-santé.
  • L’universalisme proportionné : étant donné les inégalités territoriales au sein de la Région, il importe d’avoir une offre de base qui soit facilement accessible au sein même des quartiers social-santé, comparable à « la ville à 10 minutes ». C’est la notion d’universalisme. A cela se rajoute une offre différenciée et spécifique qui peut se trouver au niveau des quartiers, des bassins ou de la Région, entre autres en fonction du besoin de proximité, de la fréquence d’utilisation et du coût d’exploitation. Il s’agit de trouver l’échelle appropriée pour une offre ajustée aux besoins sans lacunes et sans doublons.

Il convient de préciser que ces principes se renforcent mutuellement et qu’un secteur social-santé de qualité ne peut être atteint que grâce à leur combinaison.

ACTEURS EN PRÉSENCE ET ARTICULATION

Les résultats produits par ce modèle territorial dépendent notamment d’une définition claire i) des rôles des différentes échelles territoriales, ii) des acteurs responsables et iii) de l’articulation entre niveaux, acteurs et plans.

L’échelon communal (y-inclus les services du CPAS) reste essentiel pour la relation de proximité avec le citoyen et pour la coordination entre les services publics, l’associatif local et la population par le biais des coordinations sociales.

Les dispositifs spécifiques repris ci-dessus permettent une articulation des acteurs au sein d’une même échelle territoriale et entre niveaux territoriaux différents. Ainsi, le bassin s’inspire des diagnostics des quartiers, et la stratégie régionale de ce qui ressort des conseils de l’action du bassin. Il y a également un retour des échelons supérieurs vers les inférieurs.

Toute transition qui touche à un système prend du temps, on peut estimer qu’un minimum de 3 à 5 ans est nécessaire pour passer de l’organisation social-santé actuelle à une forme territorialisée aboutie où chaque niveau endosse pleinement son rôle et où les articulations entre niveaux  sont fluides.

Au-delà de cette articulation propre au PSSI, le PSSI lui-même doit être articulé avec d’autres plans qui visent à lutter contre la précarité à Bruxelles, financés par la Région ou le Fédéral. On pense notamment au plan d’action de Bruxelles de lutte contre la pauvreté, au plan de promotion santé, au masterplan Bruss’help ou au Plan interfédéral pour des soins intégrés. Le décret ordonnance conjoint du 25 janvier 2024 prévoit que les collèges rassemblent les informations contenues dans ces plans et joignent les mesures qui y sont prévues au PSSI afin d’avoir une vision et des objectifs communs pour le social-santé bruxellois.

DU PLAN À L’IMPLÉMENTATION

Passer du plan à l’implémentation requiert de concrétiser les principes énoncés dans le PSSI et d’objectiver l’offre et les besoins existants afin, comme le stipule le PSSI, de « pouvoir offrir un service de base à l’ensemble de la population bruxelloise tout en atteignant les personnes les plus éloignées de l’aide et du soin. Cela impliquera d’organiser l’offre sur une base territoriale au plus près des besoins locaux et dans une approche globale des situations. »

Le point de départ doit se situer au plus proche du citoyen, c’est-à-dire au niveau du quartier, pour définir les besoins et l’offre existante et ainsi pouvoir en déduire ce que serait :

  • une offre de base à déployer au niveau des quartiers sur l’entièreté du territoire de Bruxelles ;
  • une offre spécifique à déployer sur les quartiers qui présentent des problématiques particulières qui doivent trouver une réponse locale ;
  • une offre à l’échelle des bassins ou de la Région.

A cette fin, le CBCS/CREBIS (Centre de Recherche de Bruxelles sur les Inégalités Sociales) a entamé une recherche visant à concrétiser l’offre de base. Cette recherche qualitative est menée sur 3 quartiers social-santé (Marolles, Evere Sud, Koekelberg) avec les professionnels de terrain. La comparaison entre les quartiers permettra d’inférer une première définition de ce que devrait être l’offre de base.

Au niveau des quartiers, l’Observatoire de la Santé et du Social joue un rôle essentiel par le recueil de données pertinentes sur la situation social-santé locale, par son rapport régulier sur la pauvreté et les inégalités sociales et par le répertoire de l’offre social-santé locale « Bruxelles social ».

Les principes suivis par le CBCS/CREBIS pour cette recherche sont entre autres :

  • la recherche qualitative et collaborative (plus d’infos sur le site du CREBIS) : participation des professionnels à  la recherche (secteur public, associatif francophone et néerlandophone) – et lorsque c’est possible des usagers – par la mise en place d’entretiens et de groupes de recherche. Le lien étroit que le CBCS entretient avec l’associatif de par ses missions, et notamment avec le secteur ambulatoire, est déterminant pour la réussite d’une approche collaborative avec le terrain ;
  • l’amélioration continue : procéder par étapes et par touches successives dans la recherche. L’approche par expérimentation permet d’ajuster et la définition au fil du matériau récolté et l’objet et le coût de la recherche en fonction des besoins. Si nous devions comparer la méthode à un processus IT, il s’agit d’avancer par itération au lieu de développer en tunnel, et d’agir en fonction des résultats (Plan – Do – Check – Act) ;
  • l’appui sur l’existant : la recherche s’appuie sur les structures de coordination et les réseaux existants.

Les deux acteurs précités se complètent pour colorer une situation donnée avec des éléments tant quantitatifs que qualitatifs, une vue macro et micro, une approche institutionnelle et la vue des professionnels de terrain.

DE L’IMPLÉMENTATION AU SUIVI ET À L’ÉVALUATION

Un comité de pilotage réunissant les collèges, les administrations Cocom et Cocof et l’Observatoire suit la mise en œuvre du PSSI. La VGC y est invitée. Ce comité est soutenu par une instance d’avis composée des sections pertinentes des conseils consultatifs, des commissions techniques pertinentes d’Iriscare et de la fédération des CPAS bruxellois. La VGC y est invitée.

L’Observatoire s’est vu confier la mission de déterminer la méthodologie d’évaluation du PSSI et le CBCS de contribuer à l’évaluation qualitative et le suivi de la mise en œuvre du PSSI.

CE QUI NOUS SEMBLE NÉCESSAIRE

Pour revenir à l’objectif du PSSI et, au-delà du PSSI pour arriver à inverser la tendance baissière du bien-être bruxellois, il nous semble nécessaire, à ce stade de l’étude et des réflexions, de :

  1. Agir visiblement et efficacement sur le terrain. Traduire les résultats de la recherche en actions et programmer l’offre de base sur le territoire bruxellois.
  2. Renforcer les acteurs de première ligne. Financer les équipes pour la coordination et pour la mise en place des services devant répondre à l’offre de base. L’offre minimale et accessible proche des Bruxellois est essentielle pour permettre une prise en charge plus rapide des problèmes social-santé et ainsi éviter une aggravation des problèmes, une saturation des services, un afflux hospitalier et une élévation globale des coûts de prise en charge. Le  coût de ce financement doit être évalué à long terme, en comptant les économies réalisées par une prise en charge anticipée.
  3. Déployer la recherche sur l’offre de base. Continuer à concrétiser les principes contenus dans le PSSI et ce principalement au niveau de l’offre de base et des quartiers. Les résultats de la recherche sur trois quartiers devraient être testés sur de nouveaux quartiers, ce qui permettra à la fois d’ajuster les résultats et d’apporter des éléments sur de nouveaux quartiers. L’approche par touches successives permet ainsi d’avoir des résultats actionnables avec un investissement financier limité (100.000€ pour la recherche en cours).
  4. Définir un plan d’implémentation du PSSI. Ce plan définira l’implémentation étape par étape et le budget à prévoir, sur base de toutes les informations disponibles et notamment la recherche en cours. Il clarifiera aussi la gouvernance. Il faut rappeler ici qu’il faut compter avec une période de transition. Le financement devrait être assuré sur toute la période de transition, avec une période minimale garantie de deux ans afin de s’assurer d’un résultat.

Afin d’accompagner ce changement, il sera nécessaire d’organiser les compétences ministérielles de manière cohérente, notamment en liant social et santé et idéalement logement. En effet, de nombreuses problématiques sociales et santé trouvent leur origine dans des problèmes de logement. Il s’agit de répondre à la question de prendre action sur les causes ou les symptômes. La transition requiert un changement d’un modèle sectoriel vers un modèle territorial qui devra se refléter dans les textes gouvernant le social-santé. Et enfin, la transition suppose également un financement adéquat qui permette de désaturer les services et ainsi conduire à une prise en charge rapide tant par l’associatif que par les services publics.

POUR ALLER PLUS LOIN

L’onglet dédié aux politiques social-santé intégrées sur le site du CBCS : https://cbcs.be/revue_bis/bis-180/

La note de vision politique du CBCS présentée au Parlement bruxellois francophone : https://cbcs.be/note-de-vision-social-sante-du-cbcs-les-grandes-lignes/

Contacts : Jacques Moriau (Jacques.Moriau@ulb.be), Karine Boussart (kboussart@cbcs.irisnet.be) et Valentina Marziali (vmarziali@cbcs.irisnet.be)


[1] SPF Economie, Statistics Belgium SPF Economie, Quality report Belgian SILC

[2] https://stat.mi-is.be/fr/dashboard/ris_cities?menu=map

[3] https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-de-grapa-chez-65-ans-plus/  et Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse, Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale (2024), Zoom sur les

communes et Vivalis.Brussels

[4] SLRB, enquête 2018, observatoire des loyers, M-L. De Keersmaecker en collaboration avec Sonecom

[5] https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/mortalite-foeto-infantile

[6] Enquête Solidaris, renoncement aux soins pour des raisons financières, mars 2024, Belgique francophone

[7] KCE report 352B, évaluation de la performance du système de santé : soins des personnes vivant avec des maladies chroniques, KCE, 2022

[8] Organisation de l’aide et des soins de première ligne en région bruxelloise, note de vision politique de l’inter-fédération ambulatoire, E. Wetz, J. Moriau, A. Willaert, CBCS, 2020

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