Comment l’État Social Actif piège certains jeunes dans une double-contrainte (…)

Comment l’État Social Actif piège certains jeunes dans une double-contrainte contre-productive : témoignage d’une praticienne-chercheuse. Interview de Manon Lengler par Delphine Huybrecht, septembre 2015


Manon Lengler est anthropologue de formation. Depuis deux ans et demi elle travaille à la Mission Locale de Schaerbeek. Praticienne-chercheuse[1], conseillère en insertion et chargée de projet, elle a repris une formation en « Santé mentale en contexte social » et consacré son travail de fin d’étude à la souffrance des jeunes demandeurs d’emploi qu’elle accompagne.

Le GRAIN l’a rencontrée afin qu’elle expose sa démarche et fasse part de son témoignage sur le désarroi des jeunes à qui on refuse une place et un rôle dans la vie professionnelle à une époque où le travail n’a jamais été aussi valorisé.

La totalité de son travail de recherche est consultable sur le site du Grain asbl

Qu’est-ce qu’être jeune inscrit dans des problématiques d’exil et de précarité sur le marché de l’emploi bruxellois ? Comment ces jeunes se représentent-t-ils le marché du travail ? Quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent ? Qu’est-ce que la confrontation de l’activation et des vécus des jeunes nous apprend sur notre société ? Toutes ces questions, Manon Lengler a tenté d’y répondre au travers d’une recherche dont on peut synthétiser ainsi la question de départ : « En contexte d’activation, quel est le rapport à l’emploi des jeunes touchés par l’exil et la précarité ? ».

En toile de fond de la réflexion de notre praticienne-chercheuse, on trouve le constat que nous sommes face à un contexte social relativement explosif combinant trois éléments qui concourent à une situation difficile : d’une part, un marché du travail qui se dérégule et qui n’emploie quasiment plus de main d’œuvre peu qualifiée, d’autre part des jeunes bruxellois qui quittent relativement tôt l’école ou se retrouvent relégués dans des filières qui ne les qualifient pas suffisamment et enfin, troisième pied du tripode, un secteur associatif mis sous pression des « chiffres » de « sorties positives ».

En toile de fond : l’État social actif

L’idée de la mise en place d’un État social actif qui replacerait l’État providence (que la Belgique avait mis en place à la fin de la seconde guerre mondiale) est portée au tournant du XXIème siècle par le Ministre socialiste flamand des Affaires sociales de l’époque, Franck Vandenbroucke. Si l’État providence reposait sur un accord de solidarité sociale, sur un compromis entre travail et capital pour le partage des fruits de la croissance économique, et veillait à indemniser les chômeurs considérés avant tout comme des victimes d’une situation de sous-emploi, l’État social Actif n’envisage plus l’accès aux droits sans réciprocité. Le chômeur est désormais tenu de prouver qu’il recherche un emploi, sinon il se retrouve sanctionné.

Comme l’écrit Jean Faniel : « Depuis 1945 (et auparavant quand les caisses syndicales indemnisaient leurs affiliés au chômage), les chômeurs sont tenus d’accepter toute offre d’emploi dite convenable. Ils peuvent être exclus du droit aux allocations en cas de refus ou d’abus. Les syndicats n’ont jamais remis cette obligation en cause. Corrélativement, les employeurs sont collectivement responsables de fournir du travail aux salariés et les pouvoirs publics doivent tout mettre en œuvre pour assurer le plein-emploi et favoriser la rencontre entre les offres d’emploi et les chômeurs.

Depuis 2004, les chômeurs doivent démontrer qu’ils recherchent activement du travail. Cette preuve qu’ils doivent fournir et le caractère contractuel de la relation soulignent que la responsabilité de la situation de chômage et de la capacité à retrouver un emploi pèse désormais essentiellement sur le chômeur lui-même et n’est plus partagée par les employeurs et les pouvoirs publics.

Mais il y a plus. Quelles sont les obligations que l’ONEm impose lors de la signature du contrat ? L’ONEm ne propose aucune offre d’emploi, ni aucune formation spécifique au chômeur contrôlé. On l’a dit plus haut, ce n’est pas son rôle mais celui des organismes régionaux ou communautaires de placement et de formation. L’ONEm fait prendre des engagements aux chômeurs : envoyer autant de candidatures spontanées, répondre à autant d’offres d’emploi, s’inscrire dans autant d’agences de travail intérimaire […]. Cela signifie donc que l’ONEm pousse très concrètement vers des formes d’emploi précaire, parfois fort éloignées du contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein qui était progressivement devenu la norme en matière d’emploi. Cela signifie également que des critères relativement standardisés et quantitatifs sont appliqués aux chômeurs, indépendamment de leur profil personnel ou de leur situation familiale. Depuis 2004, le nombre de sanctions prononcées s’est accru chaque année. doivent tout mettre en œuvre pour assurer le plein-emploi et favoriser la rencontre entre les offres d’emploi et les chômeurs »[2].

Ainsi, les Missions Locales, autrefois tenues principalement à des obligations de moyens (mise en œuvre d’actions et de stratégies pour mettre en projet et outiller le chercheur d’emploi) vont dorénavant voir leurs subsides de plus en plus conditionnés par des obligations de résultats annuels. En d’autres termes, elles devront avoir atteint 55% de « sorties positives »[3].

Les jeunes rencontrés en Missions locales (qui partagent pas mal de points communs avec le public accompagné en général) rassemblent pour la plupart les caractéristiques suivantes :

« Absence de diplôme, surreprésentation des jeunes issus de l’immigration, expérience nulle ou très sporadique de l’emploi, et sur le plan de leur « profil attitudinal et comportemental » (langage, apparence vestimentaire, « savoir être ») une inadéquation forte par rapport aux critères et exigences de base de l’emploi.[4]» (…) (Lire l’interview dans son intégralité sur le site du Grain asbl)

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