Anticiper les crises de l’accueil des réfugiés ?

Depuis le démantèlement du camp de réfugiés au parc Maximilien, en octobre 2015, le politique n’a pas changé de stratégie. Il ouvre un lieu pour le refermer aussitôt (pré-accueil WTC III, Mont des Arts,…), pour en ouvrir ailleurs et le refermer à nouveau. Au fil des effets d’annonce. Sans horizon. Quel regard portent les travailleurs sociaux sur la question ? Comment fonctionner dans cet état de crise permanent ? Avec quels moyens ? Et avec qui ? Tour de la question avec divers acteurs de terrain.

Une politique de la discontinuité

002-2.jpg Rue de l’Ermitage, la porte d’une vieille maison bruxelloise comme tant d’autres, s’ouvre sur un hall d’entrée qui sert de salle d’attente. Quelques fauteuils dont l’un au tissu fortement élimé semblent paisiblement attendre les prochains arrivants. On devine la lumière qui vient du jardin. C’est entre ces 4 murs que le Service de Santé Mentale, Ulysse, assure un accueil, un suivi pour personnes en précarité de séjour et en souffrance psychologiques [1]. La structure est sur le point de terminer une recherche-action sur les effets des nouvelles crises de l’accueil (sortie en juin 2016). C’est sur base des résultats d’une telle recherche que l’association avait vu le jour en 2001-2002. « Nous avions la volonté de réévaluer, d’analyser la situation en termes de besoins en santé mentale des publics exilés, réfugiés », explique Alain Vanoeteren, directeur. « L’idéal serait de faire une véritable étude socio-historique de l’évolution des politiques sur le sujet sur les 10 ou 20 dernières années, mais c’est quasiment impossible à notre niveau », ajoute-t-il, tant il existe une précarité en termes de projets sur le long terme. A moins d’engager un sociologue ou un historien qui soulignerait, à travers le temps, cette réduction, voire cette absence de projets, de perspectives ». Selon lui, les politiques se résument à « une politique de petits pas, d’effets d’annonce. Rien n’est construit par rapport au vrai enjeu important de société qui est en train de se jouer. Si ce n’est des effets de presse… Ceux qui ont un tout petit peu une logique de continuité, ce sont les citoyens [2] et quelques associations de terrain », affirme-t-il. A ce sujet ajoute-t-il, « il est important de relever que les autorités bruxelloises, et notamment la Ministre Jodogne (responsable de la politique de santé à la COCOF), pallient aux manquements d’une problématique qui concerne l’Etat fédéral. Alors que nous recevons avant tout des demandeurs d’asile, plus de 50 % de notre financement est assuré par la COCOF, c’est le seul financement qui est pérenne, et nous avons été encouragés à réévaluer les moyens que nous nécessitons en complément depuis la crise. Nous attendons toujours des initiatives de ce type au niveau Fédéral, mais c’est le contraire qui se produit, notre financement direct du fédéral, déjà limité, s’est vu réduit au tiers de ce qu’il était il y a 2 ans ». « On nous pousse à faire des projets (interculturalité, citoyenneté, accompagnement psy des public vulnérable,…) dans un cadre plus ou moins strict, avec une temporalité réduite (projets qui durent de 6 à 18 mois). On gagne pas mal de moyens grâce à ce type de projet, 30 à 40 % de notre budget », reconnaît-il, « mais cette manière de procéder va à l’encontre de notre logique de travail qui repose sur une logique de continuité, de pérennité des actions mises en place ». A titre d’exemple, il cite Fedasil et son appel au financement de projets d’accompagnement psychologique auprès de personnes qui rentrent en demande d’asile. …A condition que ces personnes dépendent de Fedasil. « Mais que fait-on des autres ? », s’interroge Alain Vanoeteren, et que se passe-t-il quand ces gens ne dépendent plus de Fedasil, quand ils sont reconnus réfugiés ou déboutés, privés de tout droit ? »… Ulysse refuse catégoriquement de s’inscrire dans une telle logique ! Ou alors, il s’arrange pour avoir recours, en parallèle, à un autre financement qui permettra la prise en charge auprès de ces personnes exclues du système. « C’est une position très délicate à tenir », avoue le responsable, « mais c’est la seule manière de rester conséquent, d’offrir des projets qui permettent réellement de s’arrêter et pour lesquels l’accueil est inconditionnel ». En d’autres mots, l’accès au SSM Ulysse ne dépend pas de l’obtention de tel ou tel type de papier, de l’entrée dans tel type de procédure ou encore de la capacité à parler telle ou telle langue. « Le découpage dans lesquels sont systématiquement pris les nouveaux arrivants, notamment au niveau de l’hébergement, est tout simplement schizophrénique alors qu’ils sont déjà traumatisés par ce qu’ils ont vécu ! », dénonce le directeur.

L’urgence qui fractionne

Lors de la rencontre organisée par La Plateforme bruxelloise sur les réfugiés [3] en mars 2016, la question du logement était à l’honneur. Diverses organisations de terrain (BON, Caritas, Ciré, Convivial, …), inquiètes, étaient là pour échanger autour de leurs initiatives et projets. Les constats vont dans le même sens. « Les moyens des organisations sont limités, observe Mentor Escale, on ne donne plus de subventions structurelles mais plutôt des subventions ponctuelles afin de réaliser un certain projet ». Avec pour conséquence directe de devoir « cibler davantage ses actions et de se centrer sur l’urgence. Nous n’avons plus les moyens de travailler avec la totalité de notre public cible ». Le travail social sur base de projets ponctuels a pour résultat d’augmenter le nombre de critères d’accès pour avoir droit à tel service dans tel accompagnement. Et crée de plus en plus de personnes « hors-case »… 010-r90.jpg L’association Pigment qui travaille avec des personnes sans titre de séjour souligne combien « le groupe des réfugiés non reconnus est fortement ignoré par la politique ». Il est néanmoins réel et constitue ce qu’on surnomme la « vingtième commune de Bruxelles ». Les seules portes qui leur sont encore ouvertes sont ces initiatives de solidarité citoyenne, réalisés avec les moyens du bord « dont nous, associatif, avons beaucoup à apprendre parce qu’elles partent des réalités du terrain » souligne une travailleuse sociale (lire l’article du CBCS à ce sujet). Ou ces quelques structures qui, comme Ulysse, « jouent » avec les cadres pour lutter contre les découpages en tout genre. Mais accueillir les gens qui ne sont pas accueillis ailleurs implique, comme on l’a vu, un fonctionnement particulier. « Nous n’hésitons pas à recourir au financement public, mais nous l’utilisons à la manière d’un patchwork, précise Alain Vanoeteren, nous allons pêcher dans l’étang régional, fédéral, européen, voire même à l’ONU. Mais aussi en Communauté française, on s’adresse à des fondations, on a rentré un projet « Viva for life »,… Le maître-mot : « ne pas nous laisser enfermer dans des cadres qui ne nous correspondraient pas, et ce dans le souci de conserver notre liberté ». Le directeur d’Ulysse admet cependant ne pas être complètement indépendant de toute contingence : « un tel équilibrisme n’est cependant possible que parce que 50 % du financement est à long terme garanti par notre agrément comme Service de Santé Mentale par la Cocof. Par ailleurs, nous accueillons un public qui ne peut pas payer ses séances de psychothérapie pour lequel nous devons en plus payer des frais de déplacement et d’interprétariat. En conséquence, pour rester viable, nous devons veiller à avoir 30 à 40 % de patients qui viennent de réseaux officiels de l’accueil qui eux, payent les consultations de leurs usagers. Il avoue aussi une seconde raison à ce pourcentage : « ne travailler qu’avec des gens déboutés ou sans-papier en accompagnement psy, c’est trop dur ».

Anticiper, former, sensibiliser

La question de l’accueil des réfugiés risque pourtant de s’assombrir encore. « On prévoit un accroissement réel de la population de réfugiés au cours de l’été 2016, s’inquiétait la Plateforme bruxelloise sur les réfugiés, or il existe déjà actuellement un manque structurel de logements salubres au loyer abordable dans la capitale. (…) Nous devons signaler aux politiques qu’il y aura, dans les mois qui viennent, d’autres vagues migratoires et que les organisations seront débordées. Nous devrions être pragmatiques et anticiper ce moment ». Mais face à une politique de l’autruche, comment avancer ? Comment se préparer ?… Pour le directeur d’Ulysse, il y a beaucoup à faire du côté de la formation et de la sensibilisation. C’est essentiel, selon lui, de comprendre ces personnes exilées, d’informer sur ce qui existe, vers où les orienter, … Construire des outils à destination des personnes en exil elles-mêmes afin qu’elles se les approprient et puissent faire réseau. Autre cheval de bataille : encadrer les personnes qui veulent aider sur le terrain, qu’ils soient citoyens, professionnels,… Dans cette direction, Ulysse a mis en place une offre de formation à destination des travailleurs des secteurs social, médical, paramédical, associatif,… [Les offres de formations d’Ulysse et du réseau « santé Mentale en Exil », [en version PDF. . Le réseau « Santé Mentale en Exil » s’est créé en 2007 et est composé de 14 associations qui proviennent de secteurs divers (hébergement, santé mentale, maisons médicales, toxicomanie, interprétariat,…) répartis dans tout Bruxelles. ]]. Si elle est relativement conséquente, « elle n’a pas l’impact qu’elle devrait avoir, déplore cependant le SSM. L’ensemble du processus est sur nos épaules, de sa conception à la diffusion, en passant par la gestion du coût, le mailing, l’impression, etc. Tout garde une forme de tension : il faut que l’opération soit rentable alors que l’ensemble du processus est assuré par des professionnels qui ne sont pas payés pour ce type de mission. « Ce qu’il nous faudrait, c’est avoir un financement pérenne, réservé à un pôle formation, pour pouvoir proposer une offre à très bas prix », explique Alain Vanoeteren. Une demande a été adressée en ce sens à la Ministre Jodogne. Vu son accueil favorable, Ulysse espère pouvoir gérer une « coordination exil » en santé mentale dans les mois qui viennent. Enfin, dernier chantier à mettre en place en urgence : développer un accueil et un accompagnement avec des professionnels dans d’autres services ambulatoires bruxellois. « Nous sommes loin d’avoir toujours les réponses, précise Ulysse, mais c’est au moins offrir aux personnes des lieux où poser leurs questions et avoir la possibilité de réfléchir ensemble… Développer un accueil qualitatif pour les gens qui arrivent, c’est gagner sur tous les terrains, poursuit-il, parce que ce sont des gens qui, très souvent, représentent des nouvelles ressources pour le pays. Pour peu qu’ils soient en santé, se sentent acceptés et sentent un avenir pour eux ici, ces candidats réfugiés sont un trésor pour notre pays. Si seulement nous prenions un peu le temps et les moyens pour les recevoir, les « remettre en marche »… 009modifie.jpg Pour Alain Vanoeteren, « c’est désespéré et désespérant » de constater combien les politiques ne vont pas dans ce sens-là : « l’accueil est minimal, on décourage les gens, les conditions de vie sont mauvaises. Au moment de l’accueil, les gens sont reconnaissants, très souvent prêts à développer une connaissance maximale du pays qui les accueille. On rate des occasions par centaines, voire par milliers… ». En d’autres mots, « quand va-t-on changer la politique d’accueil et la procédure d’asile pour qu’elles deviennent conséquentes, humanistes et visionnaires ? », interpelle le directeur d’Ulysse. [4] Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl (12/05/2016) RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL DU DOSSIER

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