La Maison des Migrants, la maison des « hors-circuits »

A deux pas de la place Stéphanie, juste après la boutique de robes de mariée chics, après le coin, une banale entrée de garage au 102, rue du Prince Royal. Passé le porche, la hauteur et l’énormité du bâtiment surprennent. 11.000 mètres carrés au total. Une superposition d’étages à l’identique, des murs gris qui semblent s’élancer vers le ciel… Rien de bien chaleureux.


Et pourtant, dès la porte de l’immeuble franchie, la convivialité du lieu étonne. Dans cet ancien immeuble de bureaux, des sans-papiers bénévoles ont remplacé les travailleurs salariés, des matelas ont fait place au mobilier de bureau. Mais pas que. Le lieu est loin d’être juste un lieu d’hébergement d’urgence pour réfugiés. Visite insolite.

Projet vertigineux…

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« Mais où est Rambo ? », s’enquiert Anissa, une bénévole, guide improvisée de la maison. Au rez-de chaussée, la visite débute par la rencontre avec le dindon et les deux poules, installées dans un petit amas de branches dans une petite cour intérieure. C’est à travers le bouche à oreille que cet immense bâtiment vide a été découvert début novembre 2016, raconte Anissa. Après des négociations pour un contrat de bail dit « précaire » avec les propriétaires privés, il a très vite fallu penser l’organisation du lieu. « Comment va-t-on faire pour vivre tous ici ? Comment répondre aux premiers besoins ? Boum Diene, autre bénévole, poursuit : « c’est la quatrième occupation que nous organisons, mais c’est la première de cette ampleur. Et le projet a démarré tellement vite… C’est la première fois que je sentais la peur », se souvient-il. «Tu rentres dans un bâtiment qui est vide, où il n’y a rien… Puis, tu commences à rêver de mettre en place plein de choses. Et en même temps, tu dois revenir à la réalité, garder les pieds sur terre… ». Au début, Ils étaient 40 à 50 bénévoles pour accueillir les premiers réfugiés, entamer l’organisation du quotidien dans le bâtiment, l’ouverture des premières activités.

Au fil des couloirs, le lieu se laisse découvrir : l’espace pour les enfants, le coin friperie, le coin mercerie où l’on peut repriser ses vêtements, l’atelier coiffure tenu par un sans-papier, l’espace « sécurité » du bâtiment composé d’un groupe d’habitants qui s’en occupe sous forme de tournante. Même principe pour le nettoyage, la cuisine, etc. Ce sont les habitants du lieu qui investissent quelques heures de leur temps dans le projet. Sans obligation ni pression. C’est la première spécificité du lieu : l’auto-gestion. La maison ne dépend d’aucune structure associative, d’aucun subside communal, régional ou encore fédéral. Si la maison a des contacts avec d’autres structures pour l’envoi des personnes dans le besoin – le pré-accueil de la Croix-Rouge (WTC III), SOS Jeunes (envoi de Mineurs Non Accompagnés),… – elle n’a signé aucun partenariat officiel avec l’une ou l’autre ONG. Et n’accepte que des dons en nature.

« Le parc n’existe plus, la maison est là ! »

Boum Diene et Anissa, à l’initiative du projet et impliqués dans la lutte des sans-papiers depuis de nombreuses années, expliquent ce choix. « Au vu d’expériences précédentes [1], nous préférons conserver notre indépendance et aller jusqu’au bout de ce que nous voulons faire. Par exemple, si nous avions eu un partenariat avec la Croix-Rouge, nous n’aurions jamais pu accueillir des gens qui n’ont pas encore introduit leur demande d’asile ». Or, entre ses murs, la maison abrite deux types d’habitants : des sans-papiers (environ 120, au moment de l’interview, en février 2016) qui ne peuvent être accueillis en hébergement d’urgence et des demandeurs d’asile (environ 70), en pré-accueil, mais qui ne peuvent être reçus par la Croix-Rouge puisqu’ils ne sont pas encore passés à l’Office des étrangers). « Si le demandeur d’asile arrive un vendredi, il reste sans rien jusqu’au lundi matin avant d’espérer avoir une première interview » (lire l’article du CBCS sur le pré-accueil).

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« Suite à la fermeture du parc Maximilien, le collectif des sans-papiers a voulu continuer la lutte dans un autre lieu [2], un lieu qui puisse mettre la cause des sans-papiers et des demandeurs d’asile sur le même pied », témoigne Boum. C’est une seconde spécificité de la Maison des Migrants : elle se définit comme espace de solidarité et de rencontre dédié à la question migratoire en général. « Pour nous, sans-papier, demandeur d’asile, clandestin, illégal,… c’est une même réalité ! », s’exclame Boum. « Ce sont des gens pour qui il n’existe aucun projet. Les seules portes encore ouvertes, c’est l’aide médicale urgente. Et encore ! »

« Actuellement, on ne voit plus les gens qui dorment dehors, poursuit-il, mais si nous fermons nos portes, nous, le WTC III, le Samu social, alors nous allons à nouveau observer des camps qui se recréent à l’extérieur… [3] On parle pourtant de plus de 200.000 demandeurs d’asile qui deviendront eux-mêmes plus tard des sans-papiers. Les demandes de régularisation ne passent plus… On ne voit plus de solution. En fait, on ne donne rien. A partir du moment où ils n’ont même pas la possibilité de s’inscrire dans une école pour apprendre, de quelle intégration parle-t-on ? », s’interroge Boum.

D’où, cette idée d’une maison qui ne demande rien à personne, mais qui accueille, largement. Sans condition. Sans distinction. Ou presque. « Nous n’avons jamais refusé des demandeurs d’asile, par contre, des sans-papiers, c’est déjà arrivé », témoigne Boum. On ne veut pas accepter des gens qu’on ne pourra pas gérer. Ils doivent d’abord venir participer à l’une ou l’autre activité, donner un coup de main, histoire de donner confiance, de se créer une place dans la maison »…

En construction…

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Et de la place, il y en a ! Maintenant, est-ce que 4 murs et un toit suffisent ?… « Ces gens ont vécu dans des tentes de fortune, sous la pluie, la misère… », rappelle Boum. « L’idée est de leur offrir un peu de chaleur et un lieu digne ». Au premier étage, des matelas sont posés à même le sol, de larges tissus sont accrochés au plafond pour créer un semblant d’intimité. « C’est provisoire, explique-t-il, nous souhaitons construire des cloisons en dur. Même si la maison fonctionne, tout reste à améliorer, il y a encore du boulot ! ».

Au détour des étages, tel un gigantesque labyrinthe, se déploient effectivement des espaces, dédiés à diverses activités, mais encore à l’état d’ébauche : atelier dessin, théâtre, informatique, média (voir les numéros du Journal télévisé de la MdM). Bibliothèque en construction, cours de français, néerlandais, arabe,… dans des pièces qui respirent souvent le vide. Toutes les activités sont ouvertes à tous, aussi bien aux habitants qu’aux personnes extérieures : « les nouveaux ateliers sont les bienvenus », précise Boum, « des associations du quartier en animent certains. [4]

Donner la liberté

Chaque nouvelle initiative est proposée à la vingtaine de de bénévoles qui compose actuellement le comité de gestion de la maison. « Tous les lundis, nous nous réunissons pour passer en revue les différentes questions, projets. Toutes les nationalités y sont représentées », précise Boum. Maroc, Algérie, Tunisie, Syrie, Irak, Kurdistan, Amérique Latine,… La liste est impressionnante. « C’est important de rendre le projet dynamique, que les habitants se sentent impliqués. Mais nous sommes opposés à un règlement qui oppresserait les gens », précise Boum. « Une AG des habitants permet, une fois par semaine, de faire circuler les informations, en plus de l’informel. Nous avons aussi un règlement d’ordre intérieur à signer avant d’entrer, il constitue le minimum vital pour vivre ensemble ». Ici, il y a plus de 50 nationalités. Et pourtant, il n’y a jamais eu de conflit ou de bagarre », témoigne-t-il. Comment vivre dans une telle proximité avec autant de diversité ? Comment la gérer au quotidien ?… Le secret est très simple, selon Boum, il suffit de « donner la liberté, c’est tout ! Il ne faut pas compliquer les choses. Ils ont connu la misère, la guerre, la route, les arnaques,… On évite de fonctionner comme à l’armée : « Tu rentres quand ? Tu sors quand ? »… Ici, pas question ! Ni badge ni carte d’entrée à l’inscription, mais on informe simplement de certains détails pratiques du quotidien [5], le principe est de laisser chacun libre et de veiller à rester proche des habitants. Donne-leur la liberté parce que c’est ce à quoi ils aspirent : la liberté d’être tranquille. De dormir tranquille ».

La visite se poursuit par le sous-sol : au milieu d’une vaste cantine improvisée, un groupe d’hommes invite à venir partager un poulet aux légumes encore fumant. A nouveau, le lieu est immense, le mobilier peu présent. Juste quelques tables et chaises semblent délaissées çà et là, un coin cuisine permet de faire à manger à partir d’invendus (lire à ce sujet sur le Collectactif, Bis n°173). Mais ce sont surtout les rires du groupe attablé qui emplissent l’espace, le réchauffent.

Au bout du couloir, un local, plus petit, sert de cabinet médical. Un bureau, une table d’auscultation entourée d’un rideau de draps blancs. « Un médecin bénévole vient soigner les habitants ». Deux douches seulement sont disponibles pour l’ensemble de l’immeuble. « Chacun a droit à 10 min de douche par jour, pas plus. Certains prennent leur douche chez des amis… Idéalement, on aimerait en ajouter d’autres ». Encore un chantier en construction.

« Le train est en marche »…

La visite en compagnie de Boum et Anissa se termine par une escale dans l’un des salons de la maison : rangée de fauteuils élimés, chaises poussiéreuses, parfois bancales, guirlande de lumières… L’idée de fête s’installe doucement. « Ce soir, c’est la projection du documentaire ‘Le silence des hommes’… ». Mais, au fait, comment avoir une vie en dehors de ce projet, en tant que bénévole ? « Tu n’en as pas », répond Anissa, avec un sourire malicieux ; « c’est la galère », renchérit Boum. « Mais nous ne sommes pas là jour et nuit », se rattrapent-ils aussitôt. D’autres prennent le relais. Le train est en marche, il n’a pas commencé avec nous, il ne va pas s’interrompre avec nous. Si un moment, on ne peut plus, si un jour on devient complètement raciste, on arrête », affirment-ils tous deux en riant.

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La situation s’aggrave, sans conteste, mais leur motivation reste, elle, intacte. « Si tu baisses les bras, c’est foutu. A l’image des habitants de cette maison, il faut continuer à penser à son avenir, créer son propre projet, voir un peu l’avenir en rose, c’est avec cela qu’on vit ». Pour les deux bénévoles, « les politiques, à un moment donné, vont être obligés de trouver des solutions. Si des gens ont décidé de venir, ils vont continuer à le faire. Ils prendront juste toujours plus de risques pour atteindre leur destination… Dans cette maison, certaines personnes ont aujourd’hui 50, 60 ans. Elles sont arrivées à l’âge de 20 ans et n’ont pas arrêté, depuis, de lutter pour avoir ce droit de pouvoir commencer à vivre ».

Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl (12/05/2016)

!!! APPEL AUX DONS !!!

La Maison des Migrants manque de tables, de chaises, d’ordinateurs, d’imprimantes, de bureaux. Les vêtements pour hommes et garçons sont aussi les bienvenus. Prendre contact avec Anissa au 0476/63 30 72.

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