L’ASBL Casa legal, innovation sociale en matière d’accès à la justice, saluée jusqu’à l’étranger et financée en tant que projet pilote depuis 2023 par le ministère de la Justice, est aujourd’hui menacée de disparition. En cause : l’incertitude qui plane sur la reconduction de son subside fédéral en 2026. Une décision paradoxale, alors même qu’une étude interuniversitaire de grande ampleur vient d’être lancée pour évaluer son impact et la pertinence de la réplication du modèle.
Face à cette menace, une carte blanche portée par Elise Dermine, Damien Vandermeersch, et Steven Gibens et signée par plus de 1600 personnes — dont des professeurs de droit, des avocats, des magistrats, des chercheurs et des acteurs de terrain (secteur médical, associatif) – a été publiée dans le journal Le Soir. Elle appelle la ministre de la Justice, Annelies Verlinden, à ne pas sacrifier ce projet pionnier à destination d’un public qui ne bénéficie pas encore d’un accès effectif à la justice.
Quelques chiffres
60% sont des prises en charge de victimes de violences intrafamiliales et d’exploitation.
982 demandes adressées à Casa legal depuis janvier 2025 dont plus de 600 femmes.
240 situations prises en charge actuellement (avec de multiples problématiques).
1/3 des personnes suivies par Casa legal n’ont jamais vu d’avocats ou pas depuis 3 ans.
1/5 des personnes ont été remises à l’emploi grâce à l’accompagnement de Casa legal.
Créée en 2019 par des avocates du barreau de Bruxelles, Casa legal est la première ASBL belge qui réunit avocats, assistants sociaux, médiateurs, juristes et psychologues. Sa mission : offrir un accompagnement intégré aux justiciables les plus vulnérables — victimes de violences, sans-abris, parents solos en difficulté, malades isolés. Son public cible est clair : les justiciables en situation de crise, qui font face à plusieurs difficultés juridiques, sociales et psychologiques en même temps.
Ce travail sur mesure et multidisciplinaire permet aux personnes qui en bénéficient de redevenir des sujets de droits et de renforcer leur pouvoir d’action.
Un besoin unanimement reconnu
Plusieurs études belges ont mis en lumière les limites du système d’aide juridique actuel qui est incapable de répondre aux situations de crise multidimensionnelles. En 2022, des experts ont appelé à une réforme urgente : développer une approche multidisciplinaire et préventive. Une recommandation reprise dans l’accord de gouvernement 2024-2029 et soutenue par l’opposition. Casa legal est le premier projet-pilote à tester cette approche en Belgique.
Un investissement modeste pour une économie intelligente et un impact social réel
Cet accompagnement global des justiciables les plus vulnérabilisés permet d’éviter les procédures longues et coûteuses, ainsi que des situations critiques telles que des hospitalisations, des placements d’enfants, et des expulsions.
Le modèle repose sur une logique préventive : un investissement modeste en amont pour limiter les dépenses en aval. Les subsides actuellement alloués à l’association représentent 0,0004 % du budget de la Justice et 0,5 % de celui de l’aide juridique. Un soutien budgétaire limité, mais qui produit déjà des effets concrets sur le terrain et qui ouvre des perspectives prometteuses pour améliorer l’accès à la justice en Belgique…
Une recherche scientifique en cours compromise
La Région de Bruxelles-Capitale finance actuellement une étude scientifique ambitieuse, Scala Legal, portée par l’ULB et l’UCLouvain. Pendant trois ans, elle évaluera l’impact réel de Casa legal, réalisera une analyse coûts-bénéfices et proposera des pistes d’amélioration et/ou de duplication du modèle. Interrompre Casa legal maintenant, ce serait non seulement gaspiller l’argent public déjà investi mais aussi priver la Belgique d’un retour scientifique précieux sur le seul projet-pilote qui existe en la matière.
Un projet menacé pour de mauvaises raisons
Casa legal est actuellement menacée à la suite de contestations formulées par certains barreaux et d’un recours initié par l’Ordre des barreaux néerlandophones de Belgique (OVB) devant la Cour constitutionnelle pour faire annuler son financement. Cette démarche ne remet pas en cause l’utilité du projet ni son impact budgétaire. Cependant, elle traduit une certaine conception de l’avocature et surtout une méconnaissance du caractère spécifique du projet et de sa nature. À l’instar des premières maisons médicales dans les années 1970, cette initiative suscite des résistances corporatistes. Malgré ces réticences, le Barreau francophone de Bruxelles quant à lui, ainsi que de nombreuses associations de terrain mesurent au quotidien la valeur ajoutée de Casa legal et soutiennent son activité. Toujours est-il que face à ces contestations, le subside pourrait ne pas être reconduit en 2026, ce qui entraînerait la fin du projet-pilote.
Une question de vision
Casa legal s’inscrit dans une dynamique d’innovation en matière d’aide juridique et de lutte contre la pauvreté. Des initiatives similaires ont déjà fait leurs preuves à l’étranger (Bronx Defenders aux USA, Law Centers au Royaume-Uni…). La ministre de la Justice elle-même défend l’importance d’une vision à long terme pour moderniser la justice et améliorer son accès. Casa legal incarne précisément cette vision : investir aujourd’hui pour une justice plus efficace et accessible pour toutes et tous demain.