Un réseau de la petite enfance comme garantie de qualité pédagogique ?

« Nous sommes dans une société qui prône la qualité », constate Christine Redant du Réseau Coordination Enfance ou RCE, regroupement d’associations de terrain qui exercent notamment dans le domaine de l’accueil de l’enfant. « Or les parents, pourtant premiers éducateurs de leurs enfants, se retrouvent face à ‘un mieux que rien’ : en termes de lieux d’accueil préscolaire, ils n’ont plus la possibilité de choisir. Et le problème se prolonge même à l’école. C’est ce qui m’embête le plus actuellement, cette absence de choix sur le projet pédagogique alors que c’est l’essentiel », s’indigne-t-elle. Grâce une mutualisation des ressources, c’est ce que le réseau tente de préserver : le choix malgré la pénurie. Entretien avec Christine Redant, responsable du Réseau Coordination Enfance.

Faire ensemble plutôt que séparément.
Faire ensemble plutôt que séparément.

A sa création en 1997, c’est la mise en péril d’un subside, le Fonds d’équipements et de services collectifs ou FESC [1], qui constitue la clé de voûte du Réseau Coordination Enfance. « Le seul moyen de préserver le subside était de se mettre ensemble », se souvient la coordinatrice. 15 ans plus tard, si ce subside les rassemble toujours – il représente notamment 15 animateurs détachés dans les associations partenaires-, c’est aujourd’hui une mutualisation des ressources au sens large qui les unit, qu’elles soient humaines, pédagogiques ou financières.

Neuf associations font partie du Réseau dont sept accueillent des enfants. Trois d’entre elles s’occupent plus spécifiquement de la petite enfance, de 0 à 3 ans, voire 6 ans. Elles sont toutes très différentes, de par leur histoire, leur fonctionnement : les Amis d’Aladin est une maison d’enfants, la plus ancienne, pour répondre aux besoins des femmes en formation. En tant que maison d’enfants, elle est agréée par l’ONE, mais pas subsidiée, elle fait appel à différents subsides pour pouvoir survivre. Les hirondelles est, à l’origine, une maison d’enfants devenue une maison communale d’accueil de l’enfant (MCAE). Depuis l’an dernier, la structure a déménagé rue Saint-François dans le cadre d’un contrat de quartier, ce qui a offert la possibilité d’ouvrir une seconde MCAE, Les Arlequins. Et enfin, Atout couleur est une crèche d’associations (Gaffi et la Maison Rue verte) qui s’est peu à peu ouverte à l’extérieur.

Du « sur mesure »

Au-delà de ce réseau fermé d’associations, le RCE organise, depuis 2002, en convention avec la commune de Schaerbeek, la coordination extrascolaire de la commune, ce qui permet de travailler sur la continuité de l’accueil. Dans ce cadre, « les structures 6-12 ans ont développé un accueil 3-6 ans pendant les vacances et les 0-3 ans un accueil 3-6 ans », explique la responsable, « parce que, là aussi, il existe des manques ». Mais cette adaptation et cette ouverture des structures à un moment de l’année nécessitent aussi des formations. « Nous avons créé des modules pour pallier le manque de compétences des intervenants vis-à-vis de ces tranches d’âge auxquels ils ne sont pas toujours habitués de travailler ». Pour Christine Redant, la richesse d’être en réseau, c’est de permettre ces réflexions à la fois sur le développement de la formation continuée, la professionnalisation du secteur, la qualité du travail. « Nous réfléchissons la formation de manière tout à fait différente », souligne la responsable, « nous créons des modules de formation qui répondent précisément aux besoins de nos différentes structures plutôt que de se servir dans des catalogues ».

Aller chercher les ressources au moment où il faut.
Aller chercher les ressources au moment où il faut.

Quelques exemples concrets : réflexions menées autour de la formation « auxiliaire de l’enfance », création de modules de formation sur les étapes de développement de l’enfant de 0 à 3 ans. Mais aussi la réalisation d’un module d’éveil artistique pour les 0-3 ans commune aux 3 structures (voir photos). En 2012, une journée pédagogique basée sur les pratiques de chaque structure a eu lieu. « L’idée est peut-être de déboucher sur une matinée d’étude à partir de ces échanges… Mais tout prend du temps », précise la responsable du réseau, « parce que ce qui se fait en partenariat doit mûrir, se construire ».

L’un des derniers projets mis en place en collaboration avec l’un de ses partenaires privilégiés, la Cobeff, coordination bruxelloise pour l’emploi et la formation des femmes : une nouvelle formation à destination des cuisinières des lieux d’accueil 0-3 ans. « Elle se déroule actuellement pour la troisième fois », se félicite la responsable. D’abord construite comme un petit laboratoire pour les partenaires du réseau, elle est aujourd’hui ouverte à l’extérieur. Pour cette troisième édition, elle accueille 4 personnes des crèches de Schaerbeek, 2 des crèches de Saint-Josse,… C’est aussi la richesse du Réseau : aller chercher les ressources au moment où il faut, là où elles sont, mais pouvoir aussi les faire circuler ; diffuser les expertises, les expériences, les possibilités. De bas en haut, et inversement.

D’où venons-nous ? Vers où allons-nous ?!

Dans cette logique, chaque structure garde son indépendance. Le Réseau fait partie de l’AG de chacune d’entre elles, mais ne s’implique pas directement dans leur quotidien, il garde une vue globale et extérieure sur le projet de chacune. Parce que les liens sont riches, mais aussi difficiles : « Nous partageons les mêmes valeurs, mais nous n’avons pas pour autant les mêmes modes de fonctionnement, il faut gérer le personnel en commun (cf. 15 animateurs détachés via le FESC), etc. ». Pour toutes ces raisons, il est parfois nécessaire de réajuster les missions et perspectives, au fil du temps. De se reposer certaines questions essentielles telles que « d’où on vient ? », « que veut-on ? » et « partage-t-on encore les mêmes valeurs aujourd’hui »?…

A travers ces questionnements, le réseau se dessine au fil des années. « S’afficher en tant que centre de ressources, c’est un choix, une orientation qui s’est imposée à un moment de l’histoire du réseau », témoigne Christine Redant, « pour ne pas être réduit à la coordination d’un subside. Et aujourd’hui, nous avons réellement atteint la phase de formalisation ». Parfois plus pédagogique, à d’autres moments, plus politique, selon les besoins du secteur : « nous n’avons pas mal bataillé pour faire reconnaître le concept d’accueil atypique, tel que les haltes accueil ». Un certain nombre de lieux d’accueil sont dits « atypiques », ce qui signifie qu’ils ne correspondent pas à l’accueil traditionnel, tel que reconnu et subsidié par l’ONE. Une étude est actuellement en cours pour établir un état des lieux en la matière, en vue d’une meilleure reconnaissance.

Les contrats de quartier : un levier pour créer des places d’accueil ?

Au-delà de tous ces projets pour améliorer la cohérence et la qualité du travail en milieu d’accueil, le Réseau ne peut, bien entendu, faire fi du contexte de pénurie de places d’accueil dans lequel le secteur de la petite enfance est actuellement plongé. D’autant plus à Bruxelles. « C’est clair que les structures qui existent fonctionnent avec des listes d’attente infernales. Et, il n’y a toujours pas de programmation[2] On pourrait s’arrêter à ce tableau noir », fait remarquer la responsable, « mais il existe toujours de petites ouvertures…». A partir de ce manque de place en crèche, le Réseau s’est dit : « créons autre chose ! Même si les milieux d’accueil partenaires sont très différents, nous tentons de saisir les opportunités. Ce qui signifie que tout le monde ne participe pas aux mêmes projets, tout le monde ne partage d’ailleurs pas toujours les mêmes vues. Actuellement, nous travaillons sur des projets liés à des contrats de quartier. Ce n’est pas purement un projet réseau, mais plutôt un partenariat noué par l’expertise dont nous bénéficions ».

La première occasion à saisir s’est dessinée du côté de La Maison de Quartier d’Helmet (MQH), une des associations partenaires du RCE. Située sur le territoire du contrat de quartier « Helmet Quartier durable », l’idée était d’envisager un lieu de co-accueil, à savoir deux accueillantes qui se partagent un même milieu d’accueil. Et proposer de la sorte « un accueil plus petit, plus familial, plus occasionnel, répondant davantage à une demande de quartier », se souvient Christine Redant. « On rêvait un peu de pouvoir développer d’autres types d’accueil dans le cadre des contrats de quartier ». Mais suite à une étude de faisabilité réalisée par îles ASBL (initiatives locales pour l’emploi à Schaerbeek), ils décident de ne pas aller sur ce terrain-là. « C’était absurde », raconte la coordinatrice, « nous étions dans une logique de formation et d’insertion et nous allions placer les gens dans des statuts d’emploi précaires. Même avec la création d’une structure faîtière, c’était impossible de construire des emplois stables ». Le même type de projet, lancé en partenariat (RCE, Cobeff, MQH) autour du contrat de quartier « Coteaux-Josaphat », tombe à l’eau pour les mêmes raisons.

Tout à recréer, réinventer.
Tout à recréer, réinventer.

Le RCE est alors mandaté pour chercher d’autres pistes : halte accueil et maison communale de l’enfance (MCAE). « Peu importe que ce soit l’une ou l’autre formule », précise-t-elle, « le but est d’être reconnu dans la programmation ONE pour ouvrir de nouvelles places d’accueil 0-6 ans ». Grâce notamment à l’obtention de postes ACS (agents contractuels subventionnés), seul élément qui permette de vivre, selon elle. « A Schaerbeek, le 3-6 ans est extrêmement déficitaire », insiste Christine Redant. L’idée serait d’accueillir des enfants entre 3-6 ans pendant les vacances et entre 0-3 ans pendant l’année. Les nouvelles structures seraient en lien avec les crèches de Schaerbeek. « L’idée n’est pas de créer pour créer ! », s’exclame-t-elle, « on ne vient pas se batailler sur un même terrain ». Mais l’enjeu du projet se situe dans cette volonté de se greffer aux crèches communales existantes tout en conservant leur particularité : le soutien aux familles, à la parentalité.

Face à ce projet, la Région bruxelloise applaudit à deux mains, mais… n’apporte que des incertitudes : un moratoire existe pour les nouveaux postes ACS. Et du côté de l’ONE, la programmation se fait attendre. Mais le réseau continue à faire son travail de prospection, se tourne vers d’autres acteurs, se base sur sa propre expertise : « je pars des pratiques professionnelles existantes au sein de notre structure pour nourrir ces nouveaux projets ». Le réseau permet aussi de se situer dans un partenariat « inter quartier » : Helmet, Côteaux-Josaphat. L’idée est que ce type de projet soit dupliqué. « Le fait d’être en réseau permet d’abord d’aller chercher l’expertise auprès de nos partenaires, mais surtout d’avoir cette pensée de partenariat et de provoquer les ouvertures là où il n’y en a pas », résume la coordinatrice.

Et les attentes du côté des politiques de la Petite enfance ? « Un refinancement bien sûr ! Mais aussi une reconnaissance des initiatives qui existent. Ces dernières années, les politiques financent la création de nouvelles places, et ne sont pas dans le soutien de l’existant », déplore la coordinatrice du RCE. Plus énervant encore, cette « absence de programmation depuis 2008 dans un contexte de pénurie de places d’accueil ! ». Et la crainte de Christine Redant est de voir arriver une nouvelle programmation, « avec des cases bien précises pour telle et telle commune… ». Or pour elle, « tout est à recréer, à réinventer ».

Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, 29/4/13

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