Le pair-aidant : un collègue ordinaire

« C’est extrêmement valorisant de retrouver un travail, après plusieurs années de galère, un travail dans lequel je peux apporter de l’innovation, de la connaissance et de la réflexion à partir de ce que j’ai développé ». Stéphane Waha est pair-aidant et formateur, il fait partie du projet Peer and Team Support (PAT) de l’asbl En Route et du SMES. [1] Depuis deux ans, ce programme développe des formations à la pair-aidance. Objectif : accompagner des groupes souhaitant valoriser le savoir expérientiel des personnes, anciennes bénéficiaires de services sociaux ou de santé, qui ont cheminé vers le rétablissement, en les intégrant pleinement à leurs équipes.

Le SMES, engage depuis 2015, un pair-aidant, en tant que salarié. C’est l’une des premières organisations à avoir eu recours à la pair-aidance en Belgique francophone. Eclairage avec Muriel Allart, coordinatrice du projet SMES Housing First. Par Adeline Thollot, CBCS asbl, 5 mars 2022.

CBCS : Muriel Allart, pourquoi le SMES a-t-il fait le choix de la pair-aidance ?

On était subventionné depuis 2013 pour mettre en place un programme Housing First, en Belgique. Dans la méthodologie, intégrer un pair-aidant dans les équipes, faisait partie des conditions. Lorsque l’on a commencé en 2015, on s’est tout de suite aperçu de la plus-value et de l’intérêt de ce poste, de ce que cela apportait à notre public et à l’asbl. Il y avait une réelle volonté d’intégrer des personnes concernées sur le terrain, dans le comité de pilotage et jusqu’aux organes de décision. En parallèle, on a commencé à communiquer sur tout ce que pouvait apporter la pair-aidance : on a rencontré beaucoup d’intérêt de la part des acteurs du secteur social-santé, mais ils avaient du mal à se projeter sur une mise en place concrète de la pair-aidance dans leurs équipes. Face à ces questionnements, le SMES, en partenariat avec le Forum – Bruxelles contre les inégalités, a souhaité faire un état des lieux en Fédération Wallonie-Bruxelles et guide méthodologique.

CBCS : En quoi les pair-aidants sont-ils différents des experts du vécu ?  

En Belgique francophone, les experts du vécu sont essentiellement présents dans le domaine de la pauvreté. Ce projet vient initialement du service de lutte contre la pauvreté, au niveau fédéral, qui a mis en place un service d’experts en la matière. Bien que le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté en ait engagé, Ils sont essentiellement détachés dans des administrations pour des missions assez précises : faciliter l’accueil du public, améliorer les protocoles pour qu’ils soient plus accessibles, etc. Les pair-aidants, quant à eux, peuvent avoir une expertise dans différents domaines : en matière d’assuétudes, de santé mentale ou des expertises plurielles. Dans les projets Housing First, les pair-aidants ont parfois une expérience cumulée, de vie en rue et d’addictions.

« Être pair-aidant demande d’être rétabli, car raconter régulièrement les périodes difficiles de sa vie est confrontant »

Muriel Allart, coordinatrice du projet SMES Housing First

CBCS : Comment devient-on pair-aidant ?

Il existe une formation à la pair-aidance à l’UMons, mais on a constaté, lors de la cartographie réalisée avec le Forum – Bruxelles contre les inégalités, que la plupart des pair-aidants n’étaient pas passé par une formation. Ce n’est donc pas une condition sine qua non pour pouvoir travailler comme pair-aidant. L’un des critères essentiels par contre, c’est d’être rétabli depuis assez longtemps, car c’est confrontant d’être tout le temps ramené aux périodes difficiles de sa vie et fatiguant de devoir raconter son histoire. Il faut aussi que la personne soit un minimum sociable, nos métiers demandent de l’échange et de la communication. Enfin, le pair-aidant doit pouvoir partager son expérience, sans pour autant en faire une généralité, il doit rester à l’écoute de l’expérience de l’autre. C’est là-dessus, je pense qu’un soutien est nécessaire. Ce soutien peut prendre la forme d’une formation, mais il peut aussi être l’objet d’une supervision individuelle ou d’une intervision pour échanger entre pair-aidants.

CBCS : Comment expliquez-vous l’intérêt croissant pour la pair-aidance ?

Ce qui a été démontré par de nombreuses études, c’est qu’ils apportent une plus-value que beaucoup de professionnels n’ont pas. En plus de nouer des contacts plus facilement avec des publics qui ont des pratiques tabous ou illégales, les pair-aidants communiquent plus facilement, car ils partagent un même langage, des mêmes codes, dans des situations qui génèrent encore de la honte ou de la culpabilité. Ils ont des outils pratiques qui permettent de se sortir de situations difficiles et connaissent les groupes de soutien, d’entraides, et leur fonctionnement interne, mieux que les professionnels qui n’y sont jamais allés. En développant ces nouvelles approches, les professionnels sont poussés à sortir de leur posture de savoir et à remettre en question leurs pratiques. Via les dispositifs de pair-aidance, les asbls peuvent plus facilement fonctionner sur une complémentarité des savoirs : les savoirs académiques, professionnels et expérientiels. Enfin, les pair-aidants sont générateurs d’espoir, ils sont la preuve que l’on peut aller mieux, même lorsque l’on a rencontré de grosses difficultés au cours de la vie.

CBCS : Les pair-aidants ont-ils le même statut que les autres travailleurs, notamment au niveau salarial ?

En 2019, au moment de l’état des lieux, nous avions découvert que peu de personnes étaient rémunérées, et ce, qu’elles soient expertes du vécu ou pair-aidantes. Du côté des experts du vécu, les personnes engagées par le fédéral ou par le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté étaient pourtant bien rémunérées dans le cadre d’un contrat de travail. Au contraire des pair-aidants, majoritairement bénévoles.

Aujourd’hui, les associations promeuvent une rémunération, et depuis un an, un groupe de travail intersectoriel se réunit régulièrement pour réfléchir au statut des pair-aidants. Certains d’entre eux ne souhaitent pas être rémunérés, car ils sont à la mutuelle et veulent garder leur allocation, mais la plupart ont envie d’avoir un salaire correct. De plus, la pair-aidance est présente dans la déclaration de politique gouvernementale de la région bruxelloise qui souhaite aussi son développement.

Pour les associations qui veulent concrètement se lancer dans l’engagement de pair-aidant, le guide créé conjointement par le SMES et le Forum – Bruxelles contre les inégalités, donne des outils pratiques : à partir des besoins de l’asbl, de l’identification des craintes, l’équipe peut définir au mieux la fonction précise pour laquelle elle souhaite engager un pair-aidant et trouver des financements. Idéalement, le pair-aidant doit avoir la même place que ses collègues et ne pas occuper une sous-fonction, leur rémunération doit être suffisante et ils doivent pouvoir bénéficier d’un soutien quand cela est nécessaire. Finalement, être attentif au bien-être et à la santé des pair-aidants, ce sont les questions classiques que l’on se pose pour tout travailleur. Il faut normaliser cette fonction, afin de pouvoir les considérer comme des collègues ordinaires.

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