Le destin précaire des ACS bruxellois

Le dispositif ACS – 9 945 emplois d’Agents contractuels subventionnés au profit d’associations et de pouvoirs locaux – ne sera plus un soutien structurel aux secteurs socioculturel et social-santé, mais un levier des politiques d’activation.

DERNIÈRE MISE A JOUR : 31/03/2015 Nous connaissions depuis 2013 la ferme volonté de réformer le dispositif ACS. Nous en avons eu confirmation lors de la lecture, en juillet dernier, de la Déclaration de politique générale de la nouvelle majorité régionale. D’un indéfectible optimisme, nous étions persuadé que cette réforme ne serait pas envisagée sans, concomitamment, trouver une solution pour éviter que la qualité des services non marchands à la population ne soit impactée. Quelle naïveté … C’est que la machine s’est emballée. Un article dans le quotidien Le Soir, le 29 janvier ; la réponse du Ministre de l’Emploi, Didier Gosuin à une question orale en Commission des Affaires économiques, le 12 février ; et un courrier d’Actiris envoyé à l’ensemble des employeurs bénéficiant de conventions ACS, le 24 février : on en sait maintenant beaucoup plus sur les intentions, la méthode et l’échéancier. Tout ce qui est annoncé n’est pas négatif et on applaudit l’évaluation des politiques publiques, mais, dans son ensemble, la réforme peut potentiellement faire très mal à nos secteurs sociaux et de santé. Et quand on sait que le secteur Non Marchand n’est représenté au sein du Comité de gestion d’Actiris que depuis janvier de cette année [1], et n’a de toute manière pas eu voix au chapitre, n’y-a-t-il pas là suffisamment d’éléments pour justifier une concertation sociale tripartite (représentants des travailleurs, représentants des employeurs des secteurs concernés et représentants du gouvernement) ? Poser la question, c’est y répondre !

Que dit la déclaration de politique régionale ?

Celle-ci expose qu’ « une réorganisation plus importante de la politique des agents contractuels subventionnés (ACS) est envisagée par le Gouvernement a la suite de la 6eme Réforme de l’Etat. Tout d’abord, le Gouvernement dégagera les moyens nécessaires aux fins de procéder à une analyse de l’ensemble des ACS poste par poste actuellement attribués ainsi que la qualité du service presté. L’objectif de cette analyse est de maintenir une politique qui active mieux les publics visés vers les lieux qui en ont le plus besoin ainsi qu’une éventuelle réaffectation des moyens budgétaires vers la politique plus générale d’activation. Elle devra également partir de la volonté du Gouvernement qu’à l’avenir, les ACS seront avant tout une politique d’activation des chômeurs, ce qui signifie qu’un poste ACS doit être un tremplin vers un emploi durable. C’est pourquoi, le budget consacré aux ACS sera dorénavant mis en synergie avec les moyens de la garantie pour la jeunesse et l’activation des chômeurs (compétence nouvellement transférée) ».

Qu’est-ce qui change au 01 mars 2015 ?

Le 22 janvier 2015, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, conformément à cette déclaration de politique régionale, a chargé Actiris de la mise en œuvre de nouvelles dispositions administratives à partir du 1er mars 2015.
  • Dispense ministérielle pour l’octroi des primes à 100% : II n’y aura plus de dérogation ministérielle pour l’octroi de la prime ACS à 100%. L’adaptation de la prime versée par Actiris se fera lors de chaque renouvellement de poste. Seuls les employeurs appartenant aux secteurs prioritaires, à savoir ceux liés à l’emploi, à la formation et à la petite enfance pourront encore bénéficier de la dispense si le Département Inspection d’Actiris l’estime pertinent sur base d’une analyse financière.
  • Versement des avances : le système des avances octroyées dans le cadre des subventions ACS a été revu. Plus aucune avance ne sera octroyée pour les nouveaux engagements à partir du 1er mars 2015. Actiris ne versera plus d’avance salariale lors de toute nouvelle occupation d’un poste ACS. Actiris continuera à récupérer les avances déjà versées lors de chaque départ de poste.
  • Postes non pourvus dans les délais : les demandes de prolongation du délai d’engagement, qui est actuellement de 6 mois, ne seront plus acceptées par Actiris. Passé ce délai, les postes inoccupés seront perdus.

Evaluation

Le Gouvernement a chargé Actiris de réaliser une évaluation en profondeur de tous les postes ACS. Cette évaluation sera réalisée par le Département Inspection d’Actiris tout au long de l’année 2015. L’objectif de cette évaluation vise, entre autres, à vérifier la qualité du service presté ainsi que l’adéquation des moyens mis à disposition via un ou des postes ACS et les fonctions/tâches reprises dans les conventions liant les bénéficiaires à Actiris. Une présentation de cette évaluation est prévue pour le 1e trimestre 2016 et la proposition d’adaptation des dispositifs légaux sera déposée au gouvernement en septembre 2016.

Quelle sont les critères d’évaluation ?

La méthodologie est celle de l’analyse de risque afin de classifier les asbl à haut, moyen ou faible risque. Les critères retenus pour identifier le niveau de risque des asbl sont les suivants :
  • les constats faits par le Département programmes d’emploi ;
  • les dettes constatées au niveau de l’ONSS et du précompte professionnel ;
  • une rotation importante du personnel ACS ;
  • le retard de paiement des salaires du personnel ;
  • la non-déclaration à Actiris d’autres interventions dans les coûts salariaux des ACS, provoquant un cumul de subventions ;
  • des lacunes importantes dans le transfert des informations à Actiris ;
  • les résultats des dernières évaluations (les asbl pour lesquelles l’avis de la précédente évaluation était défavorable, les asbl pour lesquelles l’avis de la précédente évaluation était sous réserve, pour des raisons administratives, les asbl pour lesquelles la dernière évaluation date de cinq ans minimum et les asbl qui n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation) ;
  • les plaintes/informations “alarmantes” (les asbl pour lesquelles une ou des plaintes ont été traitées et jugées fondées, les asbl pour lesquelles des informations ont été communiquées à l’inspecteur via des tiers, les asbl qui ne respectent pas les activités autorisées et approuvées par Actiris pour lesquelles le poste ACS a été accordé, les asbl dont le projet évolue vers une activité de type commercial reposant, pour partie ou tout, sur les activités du travailleur ACS) ;
  • le respect des dispositions légales (dépôt des comptes et publication des Statuts).
Les asbl qui ne satisfont pas à ces critères doivent être prioritairement évaluées. Est considéré comme étant :
  • à haut risque, toute asbl pour laquelle une information obtenue via l’analyse des critères ci-dessus donne un indice important de problèmes ;
  • à risque moyen, toute asbl pour laquelle aucune information d’analyse ne permet d’avoir une idée précise du bon ou mauvais fonctionnement de l’asbl ;
  • à risque faible, toute asbl pour laquelle l’information analysée permet d’être rassuré sur le bon fonctionnement de l’asbl.
Le 12 février dernier, en Commission des Affaires économiques, le ministre Gosuin indiquait que 351 asbl sont considérées comme étant à haut risque. Pour toutes les asbl, le rapport d’évaluation sera complété par deux questions plus qualitatives :
  • Quel est le public bruxellois bénéficiant des services offerts par l’asbl ?
  • Les activités menées par les travailleurs ACS justifient-elles l’effectif octroyé au niveau du temps de travail (adéquation entre l’objet social de l’asbl et les moyens mis à disposition de l’asbl via des ACS) ?
Pour tenir les délais, le Département Inspection sera temporairement renforcé. Les inspections se font soit sur rendez-vous, soit à l’improviste. En cas de manquement constaté, un courrier sera envoyé à l’employeur lui demandant les informations nécessaires et cela dans un certain délai. C’est seulement après la réception de la réponse de l’employeur et après étude de celle-ci que l’analyse et le rapport d’évaluation sont clôturés.

Une dévalorisation de l’emploi public !

En 2013, on recensait 9.945 postes ACS auprès de 1.312 employeurs. Chaque ACS coûte 30.000 euros par an à la Région. En tout, le montant consacré à cette politique représente 63 % du budget de l’emploi et 5 % du budget total de la Région. C’est un dispositif important et l’évaluer est positif. Ce qui l’est moins, c’est le ton suspicieux (toute asbl pour laquelle aucune information d’analyse ne permet d’avoir une idée précise du bon ou mauvais fonctionnement de l’asbl est une situation « à risque »). Ce qui l’est moins également, c’est la dévalorisation de l’emploi public. Didier Gosuin (LeSoir.be) : … alors que le but était d’aider à la mise à l’emploi des jeunes, on voit que 12% des ACS le sont depuis plus de 20 ans. « On ne peut pas prendre quelqu’un et le laisser toute sa vie avec un contrat ACS. Cela veut dire que pour un emploi exercé depuis 20 ans, la Région a déboursé 600.000 euros. On peut faire beaucoup d’autres choses avec cet argent. » Nous pourrions avancer que ces 600 000 euros ont été très bien utilisés, au contraire. Le programme ACS permet au secteur non marchand de – notamment – utilement compléter son cadre agréé, au bénéfice de la population. Ne perdons pas de vue également qu’aujourd’hui un nombre certain de cadres du social et de la santé sont engagés par leur association sous statut ACS parce que les moyens financiers dont elles disposent ne leur permettent pas de faire autrement. Didier Gosuin (Commission des Affaires économiques) : « Il me semble en effet que les asbl qui ne peuvent pas financer 5% de leur projet ne sont pas crédibles. Il s’agit souvent d’asbl visant à créer leur propre emploi. Un pourcentage de 5% ne représente guère que 1.250 euros par an. » Créer de l’emploi subventionné dans le Non Marchand n’est plus d’actualité. L’emploi subventionné dans le Non Marchand, c’est un tremplin, l’acquisition d’une expérience dans le monde du travail, qui doit être de la plus courte durée possible, vers un « vrai » emploi. Créer son job d’indépendant dans le secteur commercial, ça, par contre, c’est top. Les petites associations émergentes qui innovent pour répondre aux besoins de populations, souvent les plus fragilisées par les politiques d’austérité, apprécieront. En rupture totale avec la philosophie de 1996 [2], cette réforme dispose que la personne engagée sous statut ACS est une demandeuse d’emploi « activée ». Rappelons qu’en 1996, rendre l’emploi ACS plus stable, moins précaire, a été une volonté politique de soutien au Non Marchand, et non une dérive du système. Bref, l’Etat créait de l’emploi. Les politiques d’activation n’ont, elles, jamais créé un seul « vrai », « bon » emploi !

Le mauvais choix !

Les rapports sectoriels des organismes de coordination social-santé font à l’unisson état non seulement d’un accroissement, mais surtout d’une complexification de la demande des usagers des services, qui implique des travailleurs sociaux de plus en plus formés, motivés et expérimentés pour y répondre adéquatement. La perte d’emplois de qualité à laquelle les associations vont être confrontées avec la précarisation du statut ACS doit être compensée. Et cette compensation risque de coûter plus cher au trésor public que le dispositif actuel, vu les réductions de cotisations ONSS patronales dont bénéficie le statut ACS. Peut-on tout à la fois demander aux différents secteurs du social, de la santé et d’autres directement concernés, de sans cesse mettre au travail la qualité de leurs services, de se professionnaliser, et en même temps continuellement fragiliser les équipes de professionnels qui les composent, constamment les sacrifier au profit de politiques plus visibles, aux retombées plus médiatiques, mais à l’efficacité contestable ? Poser la question, est-ce y répondre ? Alain Willaert, CBCS asbl

Réaction de la FGTB

Emploi subsidié : la FGTB se méfie de Didier Gosuin, MATHIEU COLLEYN, La Libre Belgique, publié le jeudi 26 février 2015 à 21h36 – mis à jour le vendredi 27 février 2015 à 08h20 Pour Eric Buyssens, du service d’études, “10.000 agents bénéficient, par ce biais, d’un emploi de qualité et remplissent des missions d’intérêt général ! Sachant que les dernières réformes importantes remontent à plus d’une douzaine d’années (2002), une remise à plat de cet important dispositif s’avère indispensable. Mais certainement pas au détriment des travailleurs en place et des services qu’ils rendent à la collectivité ! Avec la régionalisation des droits de tirage et des réductions ONSS, la Région dispose désormais de tous les leviers nécessaires. Pour la FGTB, la Région doit saisir cette opportunité pour rendre le système ACS plus transparent et plus efficace, mais surtout pour normaliser les postes actuels. C’est tout le contraire de ce que semble vouloir faire le gouvernement bruxellois. Une telle normalisation des emplois ACS viserait, dans le secteur public, à les ouvrir à une possible statutarisation et, dans le secteur associatif, à les intégrer dans les politiques sectorielles du non-marchand.

Avis d’initiative du Conseil économique et social

Le CES de la Région bruxelloise a rendu un avis d’initiative, le 19 mars 2015. Un pur produit de compromis, poli jusqu’à la moindre virgule, qui affirme tant la nécessité de réformer le dispositif ACS que le besoin en personnel qualifié dans la durée du secteur Non Marchand. Et de prioriser une piste : celle de faire supporter par les enveloppes budgétaires sectorielles le poids des emplois, leur assurant ainsi la pérennité requise. Sans pour autant donner de piste concrète pour ce faire, alors même que les budgets concernés sont déjà insuffisants pour répondre à la demande aujourd’hui …

Sources :

ACS : remettre au travail des chômeurs ou soutenir la qualité du secteur non marchand ?, Alain Willaert, CBCS asbl (26/06/13) Evaluer les bénéficiaires de postes ACS, Vanessa Lhuillier, LeSoir.be, mis en ligne jeudi 29 janvier 2015, 11h50 Question orale de Mme Marion Lemesre à M. Didier Gosuin, ministre du gouvernement de la Région de bruxelles-capitale, chargé de l’emploi, de l’économie et de la lutte contre l’incendie et l’aide médicale urgente, concernant “la mise en œuvre du processus d’évaluation des emplois ACS”, Commission des Affaires économiques et de l’Emploi, réunion du 12 février 2015

Sur le même sujet

ACS: un virage en douceur?, Julien Winkel in Alter Echos n°398 (01/03/2015) Interpellation de Zoé Genot à Didier Gosuin sur la réforme des ACS – Commission des Affaires économiques du 05/03/2015

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