La loi sur les professions des soins de santé mentale : enjeux et dangers

Meeting organisé par le CMP du Service Social Juif.


Inscription gratuite et obligatoire à l’adresse suivante: cmp@servicesocialjuif.be
(Nombre de places limité)

Le mental et son traitement ne se laissent pas réduire à des critères scientifiques à la manière de la médecine du corps. Les taux de dépression ou de burnout chez un sujet ne se chiffrent pas à l’instar du niveau de sucre dans le sang d’un individu. Si la technique nous offre un regard sans médiation sur les organes et fournit des données objectives sur l’état d’un corps, l’évaluation d’un état mental ne peut se passer d’une médiation par la parole dont l’essence est subjective. Ainsi, mise à part l’approche comportementaliste qui prétend pouvoir soumettre le mental à des mesures de l’Evidence-Based Medicine (EBM), les multiples orientations dans le champ de la santé mentale considèrent que le passage par la parole est indispensable.

La loi sur les professions de santé mentale votée le 4 avril 2014 reflétait la complexité inhérente à ce champ
. Elle a été le résultat d’un travail long et minutieux impliquant une concertation sérieuse avec les différents acteurs du terrain. Elle a donné toute leur place aux diverses orientations de psychothérapies par la parole (systémique, humaniste et psychanalytique) aux côtés des thérapies cognitivo-comportementales. Ainsi, les différentes obédiences psychothérapeutiques ont trouvé à se loger dans ce paysage complexe.

Depuis le vote de cette loi et avant même qu’elle ne soit appliquée, des modifications y ont été apportées à l’initiative de la nouvelle Ministre de la Santé publique, Maggie De Block. L’actuelle version de la loi a été votée le 30 juin 2016. Ces modifications changent l’esprit de la loi de fond en comble. Sous prétexte de vouloir simplifier la version précédente, le champ de la santé mentale est soumis au seul critère de l’EBM rejetant ainsi l’importance de la parole et de ses effets dans la pratique de la grande majorité des travailleurs de la santé mentale. Le titre de psychothérapeute a été supprimé. La psychothérapie est réduite à un acte qui peut être exercé uniquement par des médecins, psychologues cliniciens et orthopédagogues, ou sous leur supervision.

Les décrets d’application de cette nouvelle version de la loi sont en train d’être rédigés. Ceux-ci se baseront sans doute sur un rapport du KCE (Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé) publié récemment sous le titre « Modèle d’organisation et de financement des soins psychologiques ». Les auteurs du rapport ne cachent pas être au courant du remaniement de la loi en cours au moment même où ils rédigent leur « modèle ». « Les professions de psychologue clinicien et d’orthopédagogue clinicien font actuellement l’objet d’une redéfinition dans le cadre d’un remaniement de l’A.R. n° 78 » écrivent-ils. Ainsi, ce rapport va main dans la main avec la dernière version de la loi, celle de 2016. De fait, seules les considérations financières ont présidé à l’élaboration de ce projet de réforme du champ ambulatoire de la santé mentale. Il y est précisé que « le prix de la détresse morale est lourd pour la société, notamment en termes d’absentéisme et de perte de productivité ». La question des remboursements des soins de santé mentale est au cœur de ce projet, avant toute considération clinique.

Tout laisse à penser que ce rapport a été écrit par des experts qui ne connaissent pas le travail de terrain dans le champ de la santé mentale. Il s’agit d’une « organisation » du traitement des psychopathologies qui ne sont pas prises en charge par les procédures mises en place par la réforme dite « Projet 107 ». En effet, le Projet 107 concerne essentiellement « les maladies psychiatriques formellement diagnostiquées » alors que le rapport récent du KCE vise le traitement des troubles légers de personnes qui n’ont besoin que d’un « petit coup de pouce professionnel ». Il s’agit de court-circuiter les questions subjectives et existentielles du sujet afin de lui donner le « coup de pouce » nécessaire pour le réintroduire dans le marché du travail et ceci en un nombre minimum de séances. Autrement dit, il s’agit de faire taire au plus vite la parole qui viendrait déployer ces questions.

Deux niveaux de prise en charge du patient sont proposés par ce modèle. Un premier, dit de 1ère ligne, directement accessible, pour des « problèmes psychiques courants et modérés ». Un deuxième, dit de 2ème ligne, pour « délivrer des soins spécialisés à ceux pour qui le premier niveau n’est pas suffisant ». L’accès à la 2ème ligne dépend d’une prescription par la 1ère ligne. Le nombre de séances sera très limité pour la prise en charge en 1ère ligne et un nombre plus conséquent mais toujours limité sera proposé en 2ème ligne. Ce modèle impliquera une formation spécifique pour les professionnels de chaque ligne ainsi qu’une mise en place d’une « mesure de qualité ».

Notons trois conséquences de l’application de la loi selon ce modèle élaboré par le KCE sur la suite de notre travail dans le secteur de la santé mentale :

  • Destruction du transfert : Tout travailleur de la santé mentale ayant la parole comme fondement de sa pratique et une connaissance de base de la clinique identifiera dans ce projet une méconnaissance profonde du rôle joué par le transfert. Quels que soient l’accrochage transférentiel et l’avancée du traitement, le patient devra prendre congé de son thérapeute à un moment ou à un autre pour des raisons purement bureaucratiques.
  • Disparition du titre de psychothérapeute. La disparation du titre de psychothérapeute aura comme pendant un monopole des médecins, psychologues et orthopédagogues sur la profession. Qu’en sera-t-il du travail de tout professionnel, non diplômé de médecine, orthopédagogie ou psychologie, formé à l’écoute?
  • Atteinte à la liberté de choix de l’orientation thérapeutique. Les effets de la parole demandent un mode d’évaluation beaucoup plus subtil que la statistique. De ce fait, la soumission au principe de l’EBM impliquera, à long terme, la disparition des pratiques thérapeutiques basées sur la parole des centres publics de santé mentale. Ainsi seront atteintes la liberté des praticiens à exercer selon leur éthique et celle des patients à choisir l’orientation de leur traitement.

Nous sommes en droit de penser que ces trois conséquences ne sont qu’une partie des effets que nous éprouverons une fois que les décrets d’application de la loi seront en vigueur. Lors du Meeting du 21 octobre, nous vous invitons à venir débattre de l’ensemble de ces effets et envisager les mesures que nous pourrions prendre en tant que travailleurs de la santé mentale afin de mettre notre champ à l’abri des conséquences nocives de cette réforme sur notre profession.

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