IEB perd 50% de son budget : réaction et analyse

La subvention accordée par la ministre régionale de l’Environnement à Inter-Environnement Bruxelles fond comme neige au soleil : de 160 000 à 80 000 €. Son conseil d’administration et ses travailleurs réagissent et analysent la décision.


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Austérité, austérité… comme seule rengaine?

Aujourd’hui, 41 ans après sa fondation, Inter-Environnement Bruxelles, fédération d’environ 70 comités d’habitants, collectifs et associations, apprend que le soutien financier qui lui était accordé pour son action environnementale sera considérablement diminué. Plusieurs de ses travailleurs sont menacés de perdre leur emploi. La faute, dit-on, à l’austérité généralisée qui « oblige » les ministres à réduire les budgets qu’ils allouent aux associations de l’ordre de 15%. Sur un air bien connu, il n’y a, dit-on du côté politique, pas d’alternative. Et pourtant, à l’image de la Grande Parade de ce dimanche 29 mars, les associations n’ont pas fini de se mobiliser pour démontrer que c’est faux, et pour dénoncer ce qu’implique et engendre l’application de ce qui devient un dogme.

Pour IEB, la réalité est encore plus sombre car ce ne sont pas 15%, ni 20%… mais 50% du budget alloué précédemment qui devraient disparaître !

Du côté de la ministre de l’Environnement et de son administration, on justifie : IEB ne se consacrerait plus assez à l’environnement. Leur conseil : qu’IEB aille solliciter un soutien du côté du Ministre-Président qui a en charge le Développement territorial et la Politique de la Ville, matières qui correspondraient mieux au profil de ses activités.

Pas assez d’environnement ?

Le reproche adressé à IEB au sujet de « l’environnement » dépend de ce que l’on considère comme relevant des préoccupations environnementales. Si l’environnement urbain se réduit à verduriser les façades de Bruxelles, à planter des arbres et à promouvoir les potagers urbains comme outil de convivialité, alors, il est possible qu’IEB ne « fasse » pas uniquement « dans l’environnement ». Si, au contraire, il s’agit aussi d’œuvrer pour que les habitant-e-s de Bruxelles soient mis au courant des projets qui risquent de porter atteinte à leur cadre de vie, pour les rendre capables d’en comprendre les enjeux, pour leur permettre de contribuer collectivement au développement de leur ville; s’il s’agit aussi de quantifier le bilan d’émissions de carbone des grands chantiers bruxellois, de montrer le potentiel sous-évalué d’une voie d’eau historique, de réfléchir aux implications en terme de mobilité des grands projets urbains ; s’il s’agit aussi de dénoncer les inégalités d’accès à un environnement sain, de débattre du rôle et de la place des friches dans l’espace urbain… alors « faire dans l’environnement » signifie bien davantage. Pour nous comme pour tant d’autres de par ce vaste monde en train de se réchauffer, toute cette diversité d’actions relève nécessairement de l’environnement qu’il est de notre responsabilité de comprendre au sens large, bien au-delà de ce que certains réduisent à de la « nature en ville ». Pour nous, l’environnement n’exclut ni le politique, ni l’économique, ni le social. L’ “Environnement“ qui est au centre du nom de notre fédération, et nos activités qui se sont déployées sur plus de 40 ans, en témoignent.

Voilà des mois qu’on nous balade
Le conseil qui nous est fait par la ministre et son administration d’aller voir ailleurs pour obtenir quelque soutien financier est lui aussi surprenant.

En effet, il y a peu, après des mois de sollicitations auprès des uns et des autres (entendez les différents cabinets), un courrier a été adressé à l’ensemble des ministres et secrétaires d’Etat du Gouvernement. Resté sans réponse, il appelait précisément à une résolution globale de la question du soutien accordé à IEB, une association qui, comme quelques autres à Bruxelles (le BRAL par exemple), mène une action transversale (oserait-on dire « environnementale » ?) Le devenir urbain qui nous préoccupe dans sa globalité n’est pas réductible à l’organisation segmentée des compétences ministérielles ; dans une entité territoriale où ville et Région ne font qu’un, cela ne peut être envisagé autrement.

Demander une reconnaissance transversale pour les différents métiers que nous pratiquons n’est pas neuf. IEB n’a de cesse de le revendiquer, particulièrement depuis 2008, année d’adoption de l’ordonnance relative au subventionnement des associations et des projets ayant pour objectif l’amélioration de l’environnement urbain et du cadre de vie en Région bruxelloise. Cette ordonnance permet aux associations bruxelloises œuvrant dans les matières environnementales d’obtenir un agrément (et un subside pluriannuel) dans les différentes compétences dont elles relèvent. Le Gouvernement précédent, s’appuyant sur une lecture restrictive de l’ordonnance, a considéré qu’une association ne pouvait être reconnue que dans une seule des compétences. Par défaut, IEB n’a donc été reconnue qu’en environnement alors qu’elle plaidait pour une reconnaissance pour son action en urbanisme, en mobilité et en logement. La nouvelle Ministre, pas plus que l’ensemble du Gouvernement, ne peut ignorer ce fait puisque nous leur avons rappelé à plusieurs reprises les rétroactes de la situation actuelle. Nous renvoyer unilatéralement aujourd’hui vers ce que le Gouvernement précédent nous a refusé sans reconsidération préalable de cette lecture restrictive est d’une grande violence.

Quelles sont les intentions du Gouvernement ?

Cette coupe significative dans les moyens d’IEB et le renvoi d’IEB vers d’autres cabinets (qui répondent aux abonnés absents depuis des semaines) interpelle donc à plusieurs égards.

Non seulement car ils participent de façon générale à l’assèchement des moyens du secteur associatif, qui n’est pas celui où la débauche de moyens est la plus flagrante, mais aussi car ils font douter de l’engagement du Gouvernement en matière environnementale. Le Gouvernement réduirait-il l’environnement à la « biodiversité et la nature en ville »… ? Qu’il le dise et l’assume alors publiquement face à tous ceux qui tentent d’affronter les colossaux enjeux environnementaux de notre époque.

De plus, les arguments invoqués pour réduire la « manne » d’IEB contribuent au détricotage des acquis de l’Ordonnance de 2008 qui visait à assurer une certaine stabilité à l’action des associations environnementales. Quelle sera la prochaine étape ? La révision de l’Ordonnance ? L’imposition subite en 2015 d’une année transitoire avant réévaluation de l’octroi des subsides pluriannuels pourrait le laisser envisager. D’autant que cette modalité n’est prévue nulle part dans l’ordonnance précitée.

Enfin, le sort promis à IEB laisse songeur sur l’évolution politique de notre Région. On n’oserait croire que la liberté de parole et d’action d’IEB soit l’un des motifs pour lui couper les vivres. Rappelons ici que lorsque IEB se montre critique par rapport à certains projets qui sont menés par les autorités, c’est souvent quand nous pensons qu’ils avantagent excessivement les investissements internationaux et déterritorialisés plutôt qu’ils n’œuvrent au bien-être des Bruxellois-e-s les plus fragilisé-e-s dans un cadre plus endogène du développement territorial. IEB s’est toujours expliqué de ce ton et de ses actions critiques, qui sous la bannière « environnementale » sont au fondement de son existence depuis le début des années 1970. Si IEB a gagné la plupart des recours introduits en justice dans le but de faire respecter les procédures légales, c’est bien la preuve que sa critique n’est pas infondée. Il ne s’agit pourtant que d’une petite partie des activités, actions et réflexions de notre fédération.

Les associations subsidiées ont-elles le droit d’être critiques face à l’action des pouvoirs politiques ? Telle est la question. Les pouvoirs n’ont-ils vraiment aucun intérêt à ce que les voix critiques des citoyen-ne-s relayé-e-s par des associations fédératrices puissent être entendues dans l’espace publique ? C’est la même question… posée autrement.

L’avenir tout tracé : la concurrence entre les associations… et le privé

Face à l’appauvrissement généralisé des budgets consacrés à l’associatif (sans parler de celui des services publics), on nous dit que l’avenir de ce secteur serait dans le crowdfunding et le financement « par projet », deux modes qui, d’une part, vont eux aussi à l’encontre de l’esprit de l’Ordonnance de 2008 et, d’autre part, s’attaquent aux raisons d’être du secteur associatif. En effet, en promouvant la visibilité, le court terme, et la concurrence, trois attributs de la pensée managériale et économique du moment, ils empêchent l’action pérenne, la connaissance fine des terrains locaux, et l’indépendance des associations.

Le crowdfunding, c’est la possibilité d’aller chercher dans la poche des citoyens de l’argent qu’ils sont prêts à investir dans un projet qui leur semble intéressant. Autrement dit, il s’agit d’un soutien financier octroyé « à la carte » par les citoyens. Outre que cela pose la question de la transformation des modalités de redistribution aux associations des richesses produites, il faut souligner que cela ne permet que de rassembler des contributions marginales, à grands coups de publicité, de dépenses d’énergie et de moyens humains, pour financer des projets misant essentiellement sur la visibilité et l’opportunité. Exit le soutien structurel. Le financement « par projet » relève de la même logique à la différence qu’il peut être financé par les pouvoirs publics. Dans ce cas, les critères de sélection des projets ne dépendront-ils pas hautement de leur pertinence dans le bilan potentiel du/de la ministre concerné-e ? Plus grave encore, en ligne de mire, se profile l’idée que les associations seront mises en concurrence pour l’obtention de ces financements « par projet », concurrence entre elles mais aussi avec le secteur privé (bureaux d’étude, etc).

Les associations sont-elles devenues au mieux les faire-valoir des ministres et de leurs administrations ? Sont-elles devenues des bureaux d’études qui doivent être financés uniquement sur base de projets spécifiques sélectionnés par le pouvoir politique ? Les associations ont-elles pour vocation d’être au service des politiques ?

Ce n’est pas la vision que s’en fait IEB : pour nous l’action associative se réalise dans le temps long, elle s’appuie sur une réflexion qui s’élabore à partir d’un terrain, un terreau, un territoire dont elle connaît intimement le fonctionnement et les transformations. Cette connaissance, elle la met au service des habitant-e-s et du politique par une action au quotidien. Une action diversifiée, en réseau avec de nombreux acteurs, au service des collectivités et de la diversité urbaines. C’est cette action, essentielle à la vitalité démocratique de notre Ville-région, que les autorités politiques semblent vouloir défaire en ce moment.

Le Conseil d’administration et l’équipe des travailleurs d’Inter-Environnement Bruxelles

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