En ces temps de confinement, Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, ont décidé, une nouvelle fois, de donner de la voix à l’inexprimable du quotidien des patients internés et confinés. Ils vous proposent une série de brèves chroniques intitulées “Folie, internement et confinement” qui, peut-être, mais qui sait de quoi sera fait demain, donneront suite à leur « Petit essai impertinent sur l’internement ».
Il faut dépenser le mépris
avec une grande économie,
à cause du grand nombre
de nécessiteux.
François-René de Chateaubriand
Il n’y a évidemment pas de concours dans la souffrance, l’injustice ou les traumas. Il y a juste des inégalités sociales, des parcours de vie plus ou moins tragiques, des réalités plus ou moins tenables…
J’entends souvent que ce confinement va permettre aux Belges de revenir à des valeurs essentielles : la famille, le bien-être, la sérénité, le local, le bio, la nature et j’en passe. Espérons-le, bien entendu. Néanmoins, n’oublions pas que pour certains cet essentiel est inconnu, inexistant, manquant et ce indépendamment du Covid 19.
Je n’évoquerai pas ici la réalité des migrants expulsés du parc Maximilien, ni des sans-abris ou des personnes souffrant de toxicomanie, d’autres, plus qualifiés que moi s’en chargent déjà. Mais je voudrais vous emmener dans le service Baobab de la Clinique de la Forêt de Soignes, là où résident 26 patients internés libérés à l’essai, ils ont été enfermés, libérés et maintenant confinés…
12h00. Salle à manger, regroupement des patients et des soignants, la hiérarchie a quelque chose à annoncer … « C’est grave ? », « Quelqu’un a fait une connerie ? », « C’est jamais bon signe quand ils font ça ! », …. Les patients s’inquiètent, certains soignants aussi.
L’angoisse monte.
« Vu les circonstances de la pandémie, nous avons pris certaines mesures de sécurité qui seront opérationnelles dès demain »
« Les activités dans les structures extérieures seront suspendues » – jusque-là tout va bien.
« Nous insistons sur les mesures d’éloignement et d’hygiène » – pas accessibles à tout le monde mais ok, passe encore.
« Les week-end sont suspendus et les visites aussi » – là par contre, pour certains, c’est le drame…
« Mon frère arrive de France samedi, cela fait 4 ans que je ne l’ai plus vu » me confie Damian [1]Les prénoms ont été modifiés et empruntés à quelques artistes., abasourdi.
Marianne, elle, ne veut plus parler, elle ne verra pas son compagnon, seule bulle d’oxygène dans cette réalité d’enfermement. Seule option envisagée sous le choc de l’annonce : le suicide.
Alors on écoute, on soutient, on rassure, on explique. Mais malgré tout, les portes se ferment…. ENCORE.
Les jours qui suivent, on observe qu’un hôpital qui ferme ses portes prend le risque de devenir progressivement une prison. La tension monte. Le jardin devient un préau, le trafic de drogues prolifère, certains comportements carcéraux pointent le bout de leur nez : intimidations, menaces, combats de lutte dans le préau…enfin non, le jardin.
Bien entendu, lorsque certains patients revêtent leur parure de « taulards », certains soignants sont tentés de s’improviser « matons ». Les discours d’habitude cliniques deviennent progressivement répressifs. « Il faut mettre des caméras pour dissuader les dealers », « Faisons des rondes de surveillance dans le jardin » … Phénomène naturel, bien entendu, mais inquiétant.
Heureusement, l’équipe est liée par un idéalisme humaniste. Sans être des bisounours, on tente le mieux qu’on peut de rester connecté à l’homme derrière le caïd.
Certains patients sont à cran, ils angoissent.
« Et après ce confinement ? Je devrai encore attendre des mois pour intégrer la structure de postcure dans laquelle je risque de passer 2 ans. Cet enfermement n’a pas de fin. Je tiendrai pas, ça j’te le dis ! », témoigne Oscard dépité.
D’autres relativisent. « J’ai traversé la méditerranée sur un canoë, alors vous comprenez, j’en ai vu d’autres ! », me confiera Damian en entretien.
Pour William, par contre, ce confinement est une bénédiction. C’est la première fois qu’il se sent vraiment en sécurité, loin d’une famille qu’il vit comme menaçante et toxique.
Édouard, lui, ne comprend pas.
« Tu l’as toi la maladie ? »
« Non »
« Ben alors, viens on va boire un café » me dit-il en voulant me prendre par la main.
Et puis il y a les consommateurs… Que la consommation soit utilisée comme automédication ou réelle défonce, elle sert souvent à une chose : s’évader.
Alors, bien entendu, c’est interdit, et pour certains franchement dangereux, vu leurs fragilités psychiques, mais voilà, au même titre que les cyber-apéros sont devenus un phénomène à la mode pour le commun des mortels, l’envie de consommer ne reste pas aux portes de l’hôpital psychiatrique.
Loin de cautionner ce comportement, j’en comprends le sens ; j’entends la souffrance, le ras-le-bol, l’épuisement qu’il dissimule.
Et puis, petit à petit, le beau temps s’installe et un certain apaisement revient. Nous mettons de nouvelles petites parenthèses de liberté en place : balades quotidiennes en forêt, courses régulières pour l’approvisionnement en tabac et café, présence dans le jardin pour fumer une cigarette, faire une partie de scrabble ou simplement papoter. Ça ne sauvera pas le monde certes, mais c’est déjà ça… A suivre donc.
Virginie DE BAEREMAEKER, psychologue – criminologue (11/05/2020)
Illustration : Charlotte de Saedeleer