« En cas d’urgence, l’associatif et les citoyens sont parfois plus efficaces »

Faute de moyens et de volonté politique, l’État ne répond pas présent sur tous les fronts. L’associatif et les citoyens prennent alors le relais. La densité et l’efficacité du tissu associatif belge ne tombent pas du ciel. Ses racines sont plongées dans une histoire déjà longue, ce qui en fait un acteur majeur du fonctionnement du pays. Pour autant, l’État peut-il prendre l’habitude de s’appuyer sur lui pour se décharger de ses missions ? Au point de perdre le contact avec les réalités que vit la population ? La solidarité est belle, mais le danger est réel.

Interview de de Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) par Laurence van Ruymbeke, journaliste pour Le Vif – 13 avril 2023

Le Vif : Quelles sont les idéologies dominantes qui ont historiquement façonné la conception de l’État, donc ses missions ?

Jean Faniel : On peut considérer qu’il y en a trois : d’abord une philosophie libérale avec peu d’État et une action qui se limite à la sécurité, à la politique étrangère, à la justice et aux grands investissements, comme la construction du chemin de fer au 19e siècle ; puis une philosophie opposée, portée par les socialistes, dans laquelle l’État, beaucoup plus interventionniste, est soucieux de protéger les plus faibles grâce à ses politiques publiques ; et, entre les deux, un courant que l’on pourrait qualifier de social-chrétien, qui apparaît au 19e siècle et pour lequel la société doit s’auto-organiser et prendre en charge une série de missions que l’on dirait aujourd’hui de service public. C’est ce qui débouche d’ailleurs sur la distinction entre les services publics organiques, organisés par l’État, et les services publics fonctionnels. Les congrégations religieuses joueront beaucoup ce rôle, dans les soins de santé et l’enseignement. Il s’agit d’initiatives privées mais subsidiées, dont tous s’accommodent. Les socialistes disposent eux aussi
d’un réseau d’organisations dès le 19e siècle, avec les coopératives et les maisons du peuple.

Le Vif : Cette pilarisation de la société belge est-elle encore fort prégnante aujourd’hui ?

Jean Faniel : Cet arrière-plan historique explique en partie que la Belgique possède un réseau associatif si fort actuellement. La plupart des familles politiques s’appuient sur cette pilarisation. Elle reste assez intense, même si certains partis politiques se sont construits hors piliers, comme Écolo, et même si la sécularisation a fait reculer le poids de l’Église. C’est un substrat social et sociologique qui existe encore très largement.

Le Vif : À partir de quand l’État s’est-il appuyé sur ce tissu associatif ? S’agit-il, dans son chef, d’un aveu d’impuissance ou de désintérêt ?

Jean Faniel : Cette tendance n’est pas neuve, puisque l’idée de confier des missions à l’associatif, hors services publics, est née au 19e siècle avec l’enseignement catholique. Cela a peu à peu posé problème aux libéraux, qui mettent alors sur pied un enseignement officiel. Autre chose est le désinvestissement de l’État. En 1831, le gouvernement gère peu de compétences. Il ne compte que cinq ministres (Finances, Affaires étrangères, Intérieur, Guerre, Justice). Au fil du temps, l’État élargira son cercle d’intervention politique, d’abord dans l’agriculture et les travaux publics. Aujourd’hui, on assiste plutôt à un mouvement de désinvestissement de l’État.

Le Vif : Pour quelles raisons ?

Jean Faniel : Matérielles, financières, humaines et sans doute idéologiques. Les autorités politiques peuvent considérer que les citoyens et les associations font très bien le travail. Elles peuvent aussi penser, dans une veine plus libérale, que certaines missions ne relèvent pas de la responsabilité de l’État. On peut aussi prendre en compte la réalité de l’action publique et administrative, une certaine lourdeur, un temps de retard soit dans la prise de décision, soit dans la mise en œuvre. Ce qui fait qu’en cas d’urgence, il est plus efficace de miser sur les citoyens ou l’associatif – comme lors de l’arrivée de réfugiés syriens en 2015 – que sur l’État. Un particulier leur ouvre sa porte ? Cela se décide beaucoup plus vite que lorsqu’il s’agit de mobiliser l’action publique. Certes, il existe des procédures d’urgence au fédéral ou dans les Régions, chez Fedasil ou au Samusocial, mais leurs moyens ont fait du yoyo et leur capacité de réaction n’est pas toujours idéale. Enfin, il ne faut pas négliger que l’associatif lui-même revendique sa place et justifie son utilité et sa raison d’être en connaissant bien le terrain et en réagissant plus vite et mieux. En résumé, les pouvoirs publics ont sans doute besoin de s’appuyer sur les citoyens et sur les collectifs.

Le Vif : On peut comprendre que l’État s’appuie sur la population pour les situations d’urgence. Mais s’agit-il toujours d’urgence ?

Jean Faniel : Trouver un accueil rapide chez les citoyens quand les réseaux saturent peut être considéré, dans un premier temps, comme normal. Si ça dure, cela révèle une inadéquation des capacités publiques d’accueil à l’ampleur du phénomène. Il y a alors un ajustement politique à faire : il faut chercher d’autres lieux d’hébergement. On peut aussi mieux répartir les réfugiés entre les communes ou durcir les contrôles
aux frontières pour tarir le flux d’entrée. Mais s’il existe des désaccords politiques sur ces différentes visions, cela n’aide pas à trouver des solutions.

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