Dispositif hivernal 2013-2014 à Bruxelles : arrêt sur image !

Début juin, le Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, La Strada, organisait une matinée de réflexion autour du dispositif hiver 2013 -2014. L’occasion de faire le point avec tous les acteurs concernés, tant professionnels de terrain que politiques. Avec cette question à la clé : « quelle peut ou quelle doit être la place d’un dispositif hivernal dans une politique de lutte contre le sans-abrisme ? » Et de poursuivre la réflexion sur une urgence qui ne cesse de se confronter, d’hiver en hiver, à ses propres limites.


« Qu’est-ce que le temps de l’urgence ? », demandait Nicolas De Kuyssche (FBLP), modérateur de la matinée, aux différents intervenants. « C’est le temps le plus court possible », répond sans hésiter Médecins du Monde ; « un temps, en partie nécessaire, mais à partir duquel nous ne définissons pas notre travail », complétait l’AMA. Confrontée à ses propres limites, l’urgence a tout intérêt à être repensée. Et avec elle, le fonctionnement, mais surtout les fondements mêmes du dispositif hivernal, souligne Romain Liagre, de La Strada. « A l’heure où de plus en plus d’alternatives à l’urgence sociale globale et de masse émergent, et présentent des résultats pour le moins encourageants » (1), la conclusion de son rapport insiste sur 4 éléments essentiels : la prévention du sans-abrisme, les soutiens à des projets différents et complémentaires, travailler sur l’accès au logement et s’appuyer sur des données précises concernant les populations et les solutions à apporter.

Qu’en pensent les politiques ?… Au risque de se répéter, les représentants des cabinets régionaux de l’Aide aux personnes (Cocom) insistent sur « la nécessité d’obtenir plus d’informations, notamment sur les critères d’évaluation du dispositif et sur le devenir de ces personnes hébergées durant l’hiver ». Et ce, dans le but d’avoir une connaissance prospective en la matière. Selon le cabinet de la ministre E. Huytebroeck, « l’urgence sociale restera nécessaire ». Du côté du cabinet de la ministre B. Grouwels, on regrette la non mise en place d’une coordination entre les différents CPAS ou « chapitre 12 » (voir la loi organique des CPAS du 8 juillet 1976, 2). Pourtant prévu dans la note de politique générale de 2007, le projet resté lettre morte, offrirait une possibilité de travailler l’aide aux sans-abri sur le long terme… Bref, renforcer un système de mise en réseau des acteurs existants est plus que souhaitable. Tout comme poursuivre les efforts de communication vers les services, mais aussi vers les médias, et notamment via l’outil PILS de La Strada. Le cabinet de la Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, à l’Intégration et à la lutte contre la pauvreté, Maggie de Block, pointe la nécessité d’accords de collaboration avec le gouvernement fédéral.

La tête sur ses effets personnels…

A la suite de la parole politique, place aux paroles d’usagers : « lorsque je reste une semaine au SAMU Social, je suis obligée d’aller loger quelques nuits ailleurs pour vraiment me reposer » / « Nous sommes obligés de dormir sur nos affaires. Certaines personnes vulnérables sont souvent volées. (…) / Je me lève toujours à 5h le matin pour prendre ma douche, l’eau chaude étant déjà épuisée vers 6h »… Exemples de témoignages récoltés par Brussels Platform Armoede, dans le cadre d’une évaluation du dispositif par les usagers eux-mêmes. (Lire plus ici) Eclairants. La plate-forme en profite pour repréciser la situation : « le secteur tente de gérer le sans-abrisme, mais ce sont bien les politiques qui ont la responsabilité de le régler ». Comment ? Sous quelle approche pourrait-on arriver à des réponses plus structurelles ? Travailler à une plus petite échelle, s’interroge le coordinateur de la plate-forme.

Dans les 3 plans gérés par le Samusocial durant l’hiver – plan fédéral de 550 places, plan Cocom de 350 places et plan permanent de 110 place (situé rue des Remparts) – c’est en tous les cas ce dernier qui est estimé par le Samu lui-même comme étant le « must » en termes de qualité d’accueil. Mais est-ce pour sa taille ou sa disponibilité d’accueil 24h sur 24 ?… L’opérateur souligne une augmentation de la présence de femmes et de familles (directement liée à l’expulsion du Gésu) au sein de leur dispositif, avec une grande difficulté d’orientation des usagers. Et pointent aussi la nécessité d’une concertation permanente. Surtout, « ne pas opposer urgence sociale et seconde ligne », conclut le Samusocial.

Pour Médecins du Monde, il existerait encore beaucoup d’opportunités de santé non rencontrées. L’ONG relève cet étrange paradoxe d’un « besoin de soins énormes, mais d’une impossibilité d’y avoir accès pour une grande partie de la population » (35% sans couverture). Et si « on peut soigner en rue, il est difficile de guérir en rue »… D’où, la nécessité, selon l’ONG, de soutenir les centres d’hébergements d’urgence à destination de publics spécifiques, de garantir une continuité des soins et des prises en charge. Et enfin, de multiplier les outils pour une remise en logement (tel Housing First).

Projet Hiver 86400

Autre projet présenté lors de cette matinée, affublé de ce drôle de nom de code « 86400 » : il est le fruit d’une collaboration entre 9 partenaires actifs en journée dans l’aide aux sans-abri et un soutien administratif de l’AMA. (en savoir plus ici) Il a pour objectif d’inscrire l’accueil hivernal dans une perspective de travail de réinsertion sociale sur le long terme. Et ce, autour de 4 axes d’intervention : améliorer la jonction entre acteurs de jour et de nuit ; renforcer l’offre de soins de première nécessité en journée ; développer l’accompagnement psycho-social ; renforcer le travail de rue et les réponses aux signalements de personnes vulnérables en rue.

Ce sont 2.625 accueils en moyenne par semaine qui ont été réalisés, avec une large présence de familles avec enfants. L’une des spécificités de ce projet est d’ailleurs le travail d’accompagnement avec les parents ainsi que le développement d’un encadrement différencié à destination des enfants, souvent médiateurs entre leurs parents et la société, vu leur meilleure connaissance de la langue française. Le projet veille ici à leur offrir la possibilité d’expérimenter un autre cadre de vie en collectivité, davantage structuré, et qui leur donne accès au jeu et à diverses activités, propres à leur âge. Une parenthèse face à leur implication « forcée » dans les problèmes quotidiens du monde des adultes. (3)
Une enquête quali-quantitative (à lire sur le site de l’AMA) des utilisateurs de ces services a été réalisée par Martin Wagener (UCL-Cridis). Le sociologue fait état d’un fort isolement social des personnes sans-abri pour qui les centres de jour sont un soutien essentiel pour vivre une certaine sociabilité et se reconstruire différemment en lien avec d’autres. En ce sens, le projet 86400 fait partie intégrante du secteur de l’aide aux sans-abri (lire plus sur la revendication d’un cadre pour ces centres).

Enfin, un exemple de nouveau dispositif (lancé en 2012) de plus petite taille, mis en place par le CPAS de Schaerbeek, en partenariat avec la Croix Rouge : Le Chauffoir. En toute complémentarité avec les autres dispositifs, il se présente comme une petite porte supplémentaire, adéquate pour orienter, se réchauffer, se restaurer, être ensemble. Et ce, pour un public mixte. Ce type de projets pourrait-il voir le jour dans d’autres communes ?

Dispositif pluriel, géants non admis ?

A quelques exceptions près, Romain Liagre de La Strada, résume combien le paysage du dispositif Hiver reste essentiellement composé de « grosses structures, avec une concentration sur Bruxelles ». Alors même que les diverses évaluations, recherches-action (4) et autres recommandations vont dans le sens, on l’a encore constaté tout au long de la matinée, d’une diversité de services, de taille réduite. Dans son rapport, il souligne, en parlant plus spécifiquement de la composition du comité de coordination Hiver : « la pluralité des services (hébergement, accueil de jour, transports publics, etc.) et des niveaux de pouvoir et de territoire (communes, région, fédéral) est intéressante, et va à l’encontre de ce qui a longtemps été critiqué par le secteur, la logique de l’acteur unique ». (p. 16)

Sans pour autant oublier de relever les avancées positives observées depuis 4 ans – meilleure communication intersectorielle, meilleure articulation jour/nuit, et début de coordination entre opérateur, niveaux de pouvoirs (CPAS, régional, fédéral) grâce à cette mise en place d’un comité de coordination Hiver -, La Strada insiste aussi sur les points à améliorer. Notamment, les conventions qui tardent à être signées entre opérateurs et financeurs, pour lancer le dispositif hivernal ; le comité de coordination Hiver qui doit encore trouver sa place (question de la légitimité de certains acteurs présents et l’absence d’autres, seuls deux CPAS y sont représentés, …) et la nécessité d’y engager une réflexion de fond : « il nous semble ainsi particulièrement important que le Comité de coordination puisse mettre sur la table différentes questions fondamentales concernant les objectifs d’un dispositif régional hivernal d’aide aux sans-abri. Si l’idée est d’aboutir à un dispositif intégré avec un minimum d’objectifs communs, il faut les définir, dans une note ou une charte, qui sera à discuter puis à valider par le comité. Ce travail, certes de longue haleine, devra interroger des points essentiels tels que l’inconditionnalité, la gratuité, la question des sans-papiers dans les centres d’hébergement bruxellois« .

Et le rapport ajoute : «  le comité de coordination pourrait être le lieu de la remise en question d’un dispositif hivernal tel qu’il existe, au vu des différentes évaluations faites par les professionnels « . (p.18).

En un mot, le leitmotiv de La Strada : « essayons, évaluons, développons » !

Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl (20/06/2014)

(1) Rapport sur le dispositif hivernal 2013-2014, p. 16. Excellente synthèse du dispositif, vu par La Strada, qui offre notamment des présentations cartographiques (pp. 10-11) permettant au lecteur de « saisir en quelques instants les espaces et temporalités des différents dispositifs hivernaux mis en place par les professionnels de différents niveaux de pouvoir ».

A noter aussi que l’ensemble des interventions de la matinée d’évaluation se retrouve sur le site de La Strada.

(2) CHAPITRE XII. – Des associations. Voir Art. 118 :
« Un centre public d’aide sociale peut, pour réaliser une des tâches confiées aux centres par la présente loi, former une association avec un ou plusieurs autres centres publics d’aide sociale, avec d’autres pouvoirs publics et ou avec des personnes morales autres que celles qui ont un but lucratif ».

(3) Bulle d’air pourtant indispensable qui pose la question du rôle à jouer par le préscolaire et le scolaire vis-à-vis de ce public.

(4) Lire à ce sujet p. 22, dans le rapport 2013-2014 de La Strada, l’extrait de la recherche-action « Urgence hivernale – l’Ouverture d’un centre d’hébergement (Etterbeek 2010-2011), asbl Diogènes.

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