Désindustrialisation et conflits sociaux à Bruxelles

Brussel Studies n°93, par Jean Vandewattyne.
Des golden sixties à 2010 : un demi-siècle de désindustrialisation et de conflits sociaux à Bruxelles.


Capitale de la Belgique et siège de l’Union européenne obligent, Bruxelles voit les cortèges revendicatifs se succéder dans l’espace public. Mais force est de constater que peu de ces événements sont en lien direct avec des conflits sociaux dans des entreprises bruxelloises. Les manifestations nationales, intersectorielles et en front commun de 2014 et de 2015 en sont un exemple, puisqu’elles protestaient contre des mesures gouvernementales fédérales.

Plusieurs facteurs expliquent le peu de conflits ouverts dans les entreprises bruxelloises, comme le poids du tertiaire public et des très grandes entreprises dans le secteur des services, où la concertation sociale est institutionnalisée, mais aussi où les navetteurs sont nombreux. Or, on sait que la dissociation entre le lieu de travail et le lieu de vie rend les mobilisations collectives plus difficiles. En outre, la structure économique bruxelloise est aussi caractérisée par un poids important des petites entreprises et des sous-traitants, où l’action syndicale est particulièrement ardue. Enfin, comment ne pas mentionner l’évolution du tissu industriel et du monde ouvrier bruxellois ?

C’est précisément de ce dernier point que traite le numéro 93 de Brussels Studies. L’article retrace, depuis la grande grève de l’hiver 1960-61 jusqu’à 2010, les grèves qui ont eu pour cadre des entreprises industrielles présentes à Bruxelles.
Jean Vandewattyne, docteur en Sciences sociales enseignant à l’Université de Mons et à l’Université libre de Bruxelles, participe à la rédaction des Courriers hebdomadaires du CRISP qui couvrent les grèves et conflits sociaux de l’année écoulée. Pour son focus bruxellois, il a sélectionné et analysé des conflits représentatifs soit pour leur dureté ou leur caractère symbolique, soit pour leur caractère emblématique par rapport à la réalité économique bruxelloise de l’entreprise concernée. De Nestor-Martin à VW-Forest en passant par Côte d’Or, les cas analysés permettent de dégager deux grandes périodes en matière de conflits sociaux à Bruxelles.

La première correspond à la fin des « trente glorieuses » et est marquée par quelques grèves dures, longues et offensives sur le plan des conditions de travail. Elles vont notamment mettre sur le devant de la scène la question de la place des travailleurs « étrangers » dans l’organisation du travail mais aussi dans le monde syndical. C’est une période aussi marquée par la désindustrialisation qui, à Bruxelles, a commencé dès le début des années 1960 et va se poursuivre, avec l’entrée dans la crise économique (1974), à un rythme plus rapide que dans les autres régions du pays. Dans le contexte des golden sixties, cette désindustrialisation ne semble toutefois pas avoir donné lieu à des luttes sociales d’envergure. Ceci s’explique en grande partie par un marché du travail caractérisé par le plein emploi et par le fait que les pertes d’emplois se produisent principalement dans de petites et moyennes entreprises et, en partie, suite à une délocalisation vers la périphérie. Il en ira tout à fait différemment avec la crise économique des années septante. Les restructurations deviennent alors l’objet de nombreuses luttes sociales en Région bruxelloise, comme dans beaucoup d’autres régions.

La seconde période, allant du début des années 1980 à 2010, a globalement pour toile de fond la crise économique, mais aussi de nouvelles politiques managériales qui, à partir du début des années 1980, vont remodeler la réalité du travail et des organisations tant dans le secteur secondaire que tertiaire. Les grèves vont alors devenir surtout défensives et avoir pour enjeu principal la négociation de plans sociaux. De manière très atypique, la dernière grande victoire syndicale remonte sans doute à 1997 avec la mise en œuvre des 35 heures chez VW. Une victoire qui doit beaucoup au poids d’IG Metal en Allemagne et à sa volonté de faire de la réduction du temps de travail une arme contre le chômage.

Cette analyse historique pose clairement la question de la reconfiguration du syndicalisme dans un contexte urbain post-industriel, où les approches à l’échelle de l’entreprise, du secteur ou de la régionale sont constamment remises en cause par la réduction de la taille des entreprises, la sous-traitance et l’internationalisation des processus décisionnels, mais aussi par la mobilité quotidienne des travailleurs ou le télétravail.

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