Décrypter les précarités étudiantes

En 2023, 21 étudiant·es en situation de précarité ont participé à une recherche exploratoire, organisée par le Centre de recherche de Bruxelles sur les inégalités sociales. Ces rencontres ont abouti à une co-construction d’un savoir scientifique avec les chercheuses, donnant toute sa place aux paroles des premier·es concerné·es. Une synthèse reprenant les résultats de la recherche vient d’être publiée et permet de mieux appréhender la diversité de ce phénomène trop souvent invisibilisé.

Par Adeline Thollot, sur base de la note de synthèse co-écrite par Manon Guibreteau et Marjorie Lelubre, Décembre 2023

Le terme recouvre des réalités multiples. Si l’on a longtemps abordé la précarité estudiantine par le prisme de la reproduction sociale et du travail étudiant, aujourd’hui de nouveaux angles d’approche tels que l’alimentation, le logement ou encore le rôle des institutions sont utilisés. De plus, les difficultés rencontrées impactent la vie quotidienne (au niveau psychologique, financier, familial, culturel, sociétal ou de santé) et pas seulement l’accès et le maintien aux études et s’étendent même au-delà de cette période. Le travail réflexif du groupe de recherche a permis d’établir une définition. Mis au regard de la littérature scientifique, celle créée par les premier·es concerné·es met notamment en avant l’impact de la précarité sur la santé mentale. Cette question fait l’objet d’une des deux sous-thématiques qu’i/elles ont choisi d’approfondir.

Différents aspects de la vie étudiante peuvent permettre d’approcher les causes de ces situations sociales, toujours sur le fil. Le job étudiant est souvent pointé du doigt comme un obstacle au bon suivi des études. Selon l’ONSS, en 2021, 477.000 étudiant·es travaillaient [1]. Mais l’emploi ne relève pas de la même importance pour les un·es et les autres. Tandis que les étudiant·es précaires travaillent pour subvenir à des besoins primaires, celles issues de milieux plus favorisées exercent une activité rémunérée pour financer leurs loisirs, voyages ou pour faciliter leur entrée sur le marché de l’emploi, post-études. Pour la première catégorie d’étudiant·es, difficile de refuser des heures de travail et de prioriser l’étude. Et l’engrenage s’enclenche : fatigue, baisse de la concentration, stress, absentéisme… À ces conséquences physiques et psychiques s’ajoute le manque de temps ou d’énergie pour participer aux activités organisées sur le campus ou aux moments informels, créateurs de liens sociaux. Les étudiant·es interrogé·es parlent de double, voire de triple journée, lorsqu’i/elles doivent cumuler des horaires de stage.

Pour tenter de sortir la tête de l’eau, les étudiant·es précaires font parfois appel aux aides sociales et financières, tels que l’allocation d’études de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le revenu d’intégration social des CPAS ou encore les aides octroyées par les services sociaux des établissements d’enseignement supérieur. Pour celles et ceux passé·es entre les mains de ces méandres administratifs, la conclusion est unanime : la complexité du système est un frein à l’accessibilité des aides. Si elles existent, il est difficile d’en appréhender les spécificités et de savoir vers quelle institution se tourner au cas par cas.

Les conditions d’octroi et leur montant reposent sur une logique familialiste, pourtant la solidarité familiale n’est pas automatique. Cette approche exclut de facto certaines familles modestes, qui, au moment de déclarer leurs revenus se voient refuser une aide, car leur situation n’est pas prise en compte dans son entièreté (frais liés à une maladie longue durée, logement insalubre entraînant de lourds frais énergétiques, ….). Il en est de même lors de ruptures familiales, et ce, même si l’étudiant·e est issu·e d’un milieu aisé.

Enfin celles et ceux trop souvent mis·es sur la touche sont les étudiant·es de plus de 25 ans, puisqu’au-dessus de ce seuil, les aides s’amenuisent et les conditions pour les obtenir se durcissent. C’est également l’âge où l’on peut identifier un passage à une vie d’adulte et donc d’indépendance économique. Lorsque ce n’est pas le cas, un sentiment de honte à demander de l’aide peut s’installer et accroître le non-recours. Les étudiant·es concerné·es parlent d’un sentiment d' »illégitimité » à demander un accompagnement financier. Les justificatifs nécessaires à l’obtention des aides, notamment en exposant le parcours de vie, accentuent le sentiment de honte.

« Il y a aussi beaucoup d’informations contradictoires ; on demande par exemple à deux personnes du même service, une fois on a un oui, une fois un non, c’est super compliqué. »

Extrait issu du groupe de recherche – 20/03/2023

Afin d’appréhender la complexité et la diversité des situations de précarité, les étudiant·es appellent à une aide sociale individualisée permettant de prendre en compte les besoins de chacun·e, à la différence des aides standardisées actuelles. I/elles préconisent l’automatisation des droits, à savoir l’ouverture des droits sans la réalisation de démarches préalables, tout en respectant la confidentialité des données et la liberté de choix de recourir ou non à une aide. Avec les mêmes conditions, le dossier social pourrait être partagé entre les différents services, si la personne concernée donne son accord. Cette simplification des démarches pourrait activement limiter le non-recours aux droits.

En 2023, une étude publiée par les Mutualités libres en Belgique interpellait sur la santé mentale des jeunes. 34% des 18-29 ans souffrent de troubles anxieux et 38% de dépression [2]. Le confinement et l’épidémie de Covid-19 n’ont fait qu’augmenter la fragilisation de ces jeunes. De nombreux articles de presse publiés durant cette période faisaient état de la dégradation de l’état de santé mentale des étudiant·es livré·es à elles·eux-mêmes durant cette période et les conséquences délétères qui s’en suivirent. En amenant le thème de la « santé mentale » à la table des discussions, les étudiant·es du groupe de recherche se questionnaient sur l’utilisation du terme, certain·es préférant celui de « charge mentale », en référence aux difficultés quotidiennes inhérentes aux parcours de précarité.

« Est-ce qu’on ne changerait pas santé mentale par charge mentale ou préoccupations mentales ?Mais bon, peut-être qu’on a besoin d’un mot fort pour ce qui est fort. La santé mentale fait peut-être référence à des symptômes plus sérieux. »

Extrait issu du groupe de recherche
– 30/03/2023

Les embûches liées aux précarités étudiantes viennent entraver le bien-être psychique. Ensemble, les membres du groupe de recherche ont listé les principaux déterminants de la santé mentale : la précarité financière, le recours aux aides (processus de d’acceptation de sa situation, baisse de l’estime de soi, justification de sa condition, délais d’octrois,…), la qualité du logement et la peur de le perdre et enfin la fragilité du réseau de soutien social (accentuée chez les étudiant·es étranger·es qui peuvent être affecté·es par la distance géographique).

Alors que les inégalités se creusent et que l’école n’apparaît pas un moyen efficace d’y remédier, les étudiant·es du groupe de recherche ont partagé un sentiment d’être différent·e de leurs condisciples. Les conséquences de ces précarités ont des implications sur le long terme, notamment en termes de stress et de fatigue, mais ne sont pas toujours considérées comme nécessitant un accompagnement par un·e psychologue. De plus, le prix des consultations est souvent pointé du doigt comme un frein vers l’accès aux soins.

Les précarités étudiantes sont un phénomène structurel et non individuel tandis que les réponses institutionnelles se font, elles, sur des prises en charge individuelles. I/elles constatent une inadéquation de l’offre d’aide et d’accompagnement, pourtant nombreuse. Cependant, de la bouche même des premier·es concerné·es, les différents niveaux de pouvoir et la complexité des démarches administratives surchargent les personnes à qui elles s’adressent et ne répondent pas à leurs besoins.

Les chercheuses se disent préoccupées par un des résultats de cette recherche exploratoire. Malgré des avis critiques sur le fonctionnement des aides sociales et financières existantes, elles font l’hypothèse que les jeunes rencontrés ont intériorisé les principes de l’activation sociale, notamment l’idée de devoir « mériter les aides » impulsée par l’état social actif. Elles invitent donc à creuser cette question dans le futur.

Lire la note de synthèse en entier

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