La question traitée est de savoir quelles sont les évolutions les plus marquantes en matière de problématiques sociales et de santé des usagers des services ambulatoires, sur le territoire bruxellois, au cours de ces dernières années. Pour suivre notre programme d’analyse, nous allons distinguer les problématiques sociales et celles relatives à la santé – mais pour mieux les réunir ensuite, quand nos sources nous le permettrons. Nous aborderons enfin quelques recommandations communes aux différents secteurs.
Nous tenterons de ramasser ici les enseignements qui nous apparaissent essentiels au terme d’une lecture transversale des différents rapports sectoriels 2013 des secteurs social-santé agréés par la Cocof, tout en renvoyant le lecteur vers le corps du rapport pour plus de détails et d’arguments.Les sources et le contexte
Le rapport intersectoriel 2012 est rédigé par le CBCS en application de l’article 163 du décret de la Cocof du 5 mars 2009 relatif à l’offre de services ambulatoires dans les domaines de l’action sociale, de la famille et de la santé. Les sources du rapport sont les rapports sectoriels élaborés précédemment par les organismes de coordination et/ou représentation [1]Au 31 décembre 2012, les organismes sectoriels agréés visés par l’article 163 du décret sont :- la Fédération des services sociaux (secteurs des Centres d’action sociale globale, des services d’aide aux justiciables et des Espace-Rencontres)
- la Fédération des services bruxellois d’aide à domicile
- la Fédération des maisons médicales
- la Fédération laïque de centres de planning familial
- la Ligue bruxelloise francophone pour la santé mentale
- la Fédération bruxelloise francophone des institutions pour toxicomanes
- la Fédération bruxelloise pluraliste des soins palliatifs et continus
Problématiques sociales
En matières sociales, les constats transversaux sont relativement faciles à établir, la plupart des rapports sectoriels établissant un diagnostic assez similaire, à travers le prisme professionnel et les sources qui leurs sont propres. Les mots « précarité » (état) et « précarisation » (processus) reviennent le plus souvent, le terme « précarité » désignant la plupart du temps la précarité financière et matérielle, mais aussi régulièrement des éléments associés de fragilité familiale, sociale, culturelle, administrative et, comme nous le verrons, de santé mentale et/ou physique. D’où la récurrence des constats sur la « complexité » des situations. Si certains rapports comprennent des données statistiques, ce sont la plupart du temps des indices de précarité (comme le type de remboursement utilisé en maison médicale ou en centre de planning familial) ou des témoignages de services (rapports d’activité) ou d’acteurs de terrain qui sont invoqués pour étayer les constats empiriques, en sus des rapports de l’Observatoire de la santé et du social et autres données globales. Ajoutons, qu’outre les effets de la situation socioéconomique dégradée (travailleurs pauvres, chômage, allocations sociales, faiblesse consécutive des ressources, mutuelle « pas en ordre », logement trop cher ou inadéquat…) et des politiques sociales (activation, durcissement des contrôles, chasse à la fraude sociale des allocataires…), de nombreux rapports évoquent également la multiculturalité croissante de leur public. Tout ceci est congruent avec les transformations et évolutions de la population bruxelloise et, notamment, les conséquences de la crise financière de 2008 qui accentue les effets de paupérisation antérieure d’une partie d’entre elle. Nombre de rapports insistent sur la nécessité d’une approche « globale » des problématiques présentées par leur public, ce qui constitue une indication claire de l’association fréquente de plusieurs problèmes intriqués , face à laquelle il apparaît nécessaire de ne pas « morceler » l’intervention et d’assurer un « suivi médico-psycho-social global ». Cette association ne concerne pas que les problématiques sociales entre elles, mais également les problèmes de santé. Par ailleurs, l’évocation régulière de la « complexité » des situations constitue un autre indice du cumul et de l’imbrication fréquente des problèmes, sans que l’on ait toujours une vue plus précise de la nature et de la fréquence de ces associations. Remarquons par ailleurs que certains rapports sectoriels ne mentionnent pas seulement la problématique économique comme cause « macro » de nombreuses difficultés psychosociales, mais également des « maladies de sociétés » plus profondes qui toucheraient aux racines du vivre-ensemble (collectif, familial, individuel), plus particulièrement dans les grands centres urbains comme Bruxelles. Notons que la cohabitation de communautés sociales et culturelles (notamment linguistiques et religieuses) très diversifiées dans la région de Bruxelles-Capitale (ce dont parlent les rapports) est plus rarement évoquée comme source de difficultés du « vivre-ensemble ». Le rapport de la Ligue bruxelloise francophone de santé mentale fait cependant exception : « Face à l’accroissement de la diversité culturelle, la tentation du repli communautaire ne manquera pas de poser des problèmes en matière d’intégration ou de vie commune. »Problématiques de santé
Deux faits majeurs nous paraissent traverser la quasi-totalité des rapports sectoriels : 1. l’impact du « gradient social » sur la santé physique et mentale des personnes et, dès lors, l’aggravation des problèmes de santé chez les usagers des services ambulatoires, notamment comme conséquence de la dégradation socioéconomique à Bruxelles accentuée par la crise financière de 2008 ; 2. la mention récurrente de l’augmentation spécifique des problèmes de santé mentale (de la fragilité psychologique aux maladies psychiatriques) dans presque tous les secteurs, pour des raisons sans doute plus complexes sur lesquelles nous reviendrons. En termes de transversalité, ce sont dès lors les questions liées à la santé mentale qui sont plus prévalents, dans la mesure où ces questions touchent la plupart des intervenants, et pas seulement les « spécialistes » des services de santé mentale ou des services actifs en matière de toxicomanie. De l’aide-ménagère au médecin généraliste des maisons médicales, en passant par les assistants sociaux ou les médiateurs de dettes, tout le monde est peu ou prou concerné par ces questions. Et les intervenants le sont d’autant plus qu’ils ont la perception que ces questions sont plus préoccupantes aujourd’hui qu’hier. Si les rapports contiennent beaucoup de données et d’analyses sur les liens entre les problématiques sociales et celles relatives à la santé (voir le point suivant), on y fait moins mention des associations entre les problèmes de santé. Ceci sans doute parce qu’aucun secteur n’a véritablement une mission d’intervention sur l’ensemble des questions de santé, sauf peut-être les maisons médicales qui sont les plus polyvalentes, bien que plus centrées sur la santé physique. L’approche « globale » concerne davantage l’articulation psycho-sociale et socio-médicale que celle entre santé physique et santé mentale. Mais on peut bien entendu déduire des constats sur l’impact du gradient social (autant dans les MM que les SSM) que les situations de grande précarité doivent affecter autant la santé physique que la santé mentale, même si cette dernière semble tributaire d’autres causalités environnementales.L’articulation des problématiques sociales et de santé
Comme vu plus haut, les rapports sectoriels se rejoignent à des degrés divers. La plupart établissent une relation de cause à effet entre la dégradation de la situation socioéconomique de leur public et celle de leur santé physique ou mentale. Ceci par le biais de différentes formes de précarisation qui ne sont pas que matérielles (revenus, logement, « assurabilité »…), mais touchent aussi d’autres dimensions induites (inactivité, isolement, délitement des liens sociaux, découragement…). Ceci peut déboucher sur une circularité, la mauvaise santé induisant à son tour un surcroit de précarité. La quasi-totalité des rapports s’en tient cependant à des déterminants de type socioéconomique, sauf celui du secteur de la santé mentale (LBFSM) qui évoque également d’autres causalités, comme la « mutation démographique » et « l’accroissement de la diversité culturelle » à Bruxelles, mais aussi les « nouvelles modalités du vivre ensemble » (crise de l’autorité, remise en question des cadres traditionnels, changement des formes familiales, individualisation de l’existence, modification du rapport au temps…). L’on retrouve ces facteurs en filigranes dans d’autres rapports (notamment celui de l’Association des maisons d’accueil).