ACS : remettre au travail des chômeurs ou soutenir la qualité du secteur non marchand ?

Donner à une association la possibilité d’engager un travailleur ACS, est-ce lui demander de jouer un rôle d’insertion socioprofessionnelle ou lui permettre de bénéficier du personnel professionnel nécessaire au travail de qualité qu’elle fournit chaque jour au profit de la population ?

Pour le dire autrement, le dispositif ACS doit-il aboutir dans le giron de l’insertion socioprofessionnelle ou doit-il rester une aide structurelle à l’emploi du secteur non marchand ? Jusqu’où les deux options pourraient-elle être compatibles ? Le débat sur la rotation des bénéficiaires de l’emploi ACS est (ré)apparu à l’occasion de la présentation au Parlement, le 17 avril dernier, par la ministre de l’Emploi C. Frémault, des résultats de l’étude évaluative du dispositif ACS bruxellois, réalisé par Idea Consult. Quelques articles de presse (Guide social->http://pro.guidesocial.be/actualites/celine-fremault-veut-elle-supprimer-les-contrats-acs-a-bruxelles.html], Agence Alter [1] …) font écho de l’étude et surtout de ses conclusions et des propositions d’adaptation formulées par la Ministre. Il n’en faut pas plus pour que, dans les secteurs concernés, on s’alarme. Une inquiétude qui prenait une ampleur telle que la ministre a décidé d’envoyer [un courrier à tous les employeurs afin d’apaiser, de rassurer. Analyse.

ACS, kesako ?

À Bruxelles, la réforme des Programmes de Résorption du Chômage (PRC) date de 1996, année durant laquelle le Gouvernement de Charles Picqué transforme la quasi totalité des Troisième Circuit de Travail (TCT) en Agent contractuel subventionné (ACS). Au contraire des TCT, les ACS ne sont pas considérés comme demandeurs d’emploi et leur patron est l’association qui les engage (les TCT étaient directement payés par l’Office régional de l’emploi – aujourd’hui Actiris). Cette transformation a eu un impact budgétaire : la réduction d’ONSS plus importante pour un ACS que pour un TCT a permis des économies. Une bonne partie de cet argent a opportunément permis l’ouverture de plus de 500 nouveaux postes ACS. De la création nette d’emplois, donc. On peut également déduire de cette transformation la volonté de considérer le dispositif ACS moins comme une mesure de remise au travail de chômeur éloigné du marché que comme une aide structurelle au secteur non marchand, lui permettant de bénéficier d’un apport en personnel (nettement) moins précaire et pouvant répondre à ses besoins. Selon la note préparatoire à l’évaluation du dispositif ACS en région bruxelloise (CENM, juin 2010), les postes ACS « constituent une source importante de financement de l’emploi non-marchand. (…) Pour certaines (petites) associations, il s’agit pratiquement de la seule ressource, certains projets régionaux ne peuvent être réalisés que grâce à ces postes. De plus, via la très faible cotisation ONSS liée à ces postes, le subventionnement ACS est un apport substantiel au budget des associations. Mais si dans le langage courant on associe ACS et ASBL, il convient de souligner qu’une part non négligeable des postes est attribuée aux pouvoirs locaux (Communes et CPAS) ainsi qu’à des organismes régionaux, des Communautés française et flamande. » On découvre dans le récent courrier de la ministre de l’Emploi C. Frémault « qu’on dénombre à Bruxelles 9.676 travailleurs bénéficiaires, dont 63 % de femmes, d’une prime ACS, ce qui représente 2,5% de la population active de notre région. Plus de 1.300 employeurs du secteur non-marchand (socio-médical, culture, sports, tourisme, loisirs) et des pouvoirs locaux bénéficient de la mesure. En terme budgétaire, près de 178 millions d’euros y sont consacrés en 2010, ce qui représente environ 80% du budget des mesures pour l’emploi. » Le financement du budget ACS provient actuellement d’un droit de tirage des Régions sur le budget fédéral (via l’assurance chômage). Pour chaque « mise à l’emploi » via un programme de type ACS, les Régions reçoivent une subvention. Dans peu de temps, toutes les compétences en matière d’emploi seront transférées aux Régions. Bruxelles devra donc subir tous les coûts relatifs aux programmes de mise à l’emploi, sans pour autant recevoir le moindre retour sur investissement, puisque ces retours bénéficient essentiellement aux caisses de la sécurité sociale, qui reste fédérale. Mais personne ne peut dire aujourd’hui si ce transfert de compétences s’accompagnera du transfert intégral des budgets y afférents. Voilà pour le contexte.

Les conclusions de l’étude

Par le courrier envoyé par la Ministre de l’Emploi à l’ensemble des employeurs bénéficiaires d’une convention ACS, on apprend que l’étude pointe 3 forces au dispositif : « L’emploi ACS est un emploi de qualité, ce qui est contraire à l’idée générale que certains se font des emplois subventionnés ; il s’agit d’une mesure primordiale pour le tissu associatif et le secteur non-marchand en particulier ; et elle permet de faire travailler 2,5 % de la population active bruxelloise. » Le courrier se veut d’ailleurs rassurant envers les responsables des structures concernées puisqu’on y apprend que : « le but n’est pas de supprimer les contrats ACS à Bruxelles. (…) Le dispositif des ACS occupe une place considérable dans notre région et constitue un soutien indéfectible au secteur non-marchand. Il est donc impensable de lui retirer ces subventions. ». L’étude voit dans le dispositif 2 faiblesses. « Une première coule de source : le système n’est pas suffisant pour répondre entièrement aux besoins du tissu associatif qui doit faire face tous les jours aux défis de plus en plus cruciaux de notre région, notamment en raison du boom démographique. » Effectivement, beaucoup s’accordent pour dire que les emplois ACS viennent opportunément renforcer les équipes, à un point tel que sans eux, certains services ne pourraient plus remplir les missions pour lesquelles ils sont reconnus. Par ailleurs, on trouve des postes ACS jusque dans les cadres dirigeants. Mais cet apport reste encore dans bien des cas insuffisant. La seconde faiblesse est considérée comme plus importante : « Il semble que la performance en matière de remise à l’emploi pourrait être améliorée sur certains points clés, à savoir : les caractéristiques du public mis à l’emploi; la qualité du parcours pendant et après l’emploi ACS; l’importance de ce budget par rapport à d’autres postes de notre politique emploi; enfin, le taux de rotation au sein du dispositif de 16,8% alors que la moyenne bruxelloise est de 10,2%. »

La stabilité de l’emploi associatif est-elle une faiblesse ?

La volonté ministérielle est de sortir du « moratoire » tel que décidé en 2009. « L’enjeu est de disposer d’un système performant en matière d’insertion socioprofessionnelle, sans mettre en péril la satisfaction des besoins rencontrés par les associations bénéficiaires. » On peut affirmer sans crainte que la perspective de sortir du moratoire sera accueillie avec bonheur par les secteurs. On remarquera néanmoins que dans la missive, ainsi qu’en interviews, la Ministre replace clairement le dispositif ACS dans le giron et la philosophie des Programmes de Résorption du Chômage, une mise à l’étrier pour demandeurs d’emplois éloignés du marché du travail. Un tremplin vers un ‘vrai’ emploi : « Il y a aujourd’hui des emplois ACS qui sont régis par des conventions datant de plus de 15 ans. J’estime cette situation malsaine, mais il faut la faire évoluer sans pour autant précariser les travailleurs bénéficiaires de ces emplois », explique la Ministre. Et donc, parmi les mesures « qui n’impliquent pas une modification substantielle du système, mais seraient une amélioration nécessaire et utile pour lesquelles il serait regrettable d’attendre » , on trouve : « poser dès à présent la question de la durée des conventions passées entre Actiris et les associations avec l’objectif d’en faire bénéficier plus de personnes et d’améliorer le taux de rotation des bénéficiaires. » En rupture avec la philosophie de 1996, cette proposition semble partir du principe que la personne engagée sous statut ACS reste demandeuse d’emploi. Et qu’il pourrait s’agir d’une modalité du stage de transition professionnel. Au delà d’un questionnement purement institutionnel sur la frontière entre la politique de l’Emploi et l’exercice des compétences en matière d’insertion socioprofessionnelle (ISP), ne peut-on pas déceler une contradiction entre vouloir augmenter le turnover dans les équipes – les privant ainsi de l’expérience acquise par ceux qui arriveront donc (plus ou moins rapidement) en fin de contrat et les obligeant à constamment « apprendre le métier » aux nouveaux – et ne pas mettre « en péril la satisfaction des besoins rencontrés par les associations bénéficiaires » ? En effet, les rapports sectoriels des organismes de coordination social-santé, ainsi que la démarche transversale d’évaluation qualitative menée en 2011-2013 par le CBCS font à l’unisson état non seulement d’un accroissement, mais surtout d’une complexification de la demande des usagers des services, qui implique des travailleurs sociaux de plus en plus formés, motivés et expérimentés pour y répondre adéquatement. Remarquons également que le marché de l’emploi est ainsi fait que lorsque vous cherchez un job de travailleur social (notamment parce que vous avez suivi l’enseignement adéquat pour y prétendre), la majeure partie des postes vacants sont des statuts ACS (ou Maribel). Et que quand vous occupez ce poste, vous n’avez pas forcément toujours envie d’en changer. Par confort ? Rarement. Par militantisme ? Plus souvent qu’on ne le croit ! La perte d’emplois de qualité à laquelle les associations risquent d’être confrontées si le statut ACS devient précaire et à durée déterminée demandera à être compensé d’une manière ou d’une autre. Et cette compensation risque de coûter plus cher au trésor public que le dispositif ACS actuel. Sauf à vouloir rationner, diminuer l’offre de services non marchands… Peut-on tout à la fois demander aux différents secteurs du social, de la santé et d’autres directement concernés, de sans cesse mettre au travail la qualité de leurs services, de se professionnaliser, et en même temps continuellement fragiliser les équipes de professionnels qui les composent, constamment les sacrifier au profit de politiques plus visibles, aux retombées plus médiatiques ? La question est posée. Il appartiendra aux partenaires sociaux et aux représentants sectoriels d’y répondre, lors de la concertation « la plus large » que la Ministre C. Frémault appelle de ses vœux. Cette appel à concerter doit être relevé. Il témoigne de la volonté de faire de la politique en toute transparence. Alain Willaert, CBCS asbl, 26/6/13

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