Atelier Côté Cour : imaginer, dans le social, ça sert à quoi ?

Une simple porte d’entrée de garage. A l’intérieur, aucune trace de mécanique automobile. Juste quelques tables qu’on assemble selon l’heure de la journée, une armoire emplie de pinceaux, papier, ciseaux. Depuis 20 ans déjà, le lieu sert de « maison » à des ateliers de théâtre, d’écriture, d’arts plastiques… L’« Atelier Côté Cour », Centre d’Expression et de Créativité bruxellois, noue, à partir de quelques mètres carré au sol, des liens puissants entre création, santé mentale, social et politique.

Stéphanie Devlésaver, journaliste CBCS, juin 2024

Un lieu-maison

Lundi de printemps, la rue Léon de Lantsheere à Etterbeek. Au numéro 50, une porte de garage grande ouverte, baignée de soleil. Fanny Goerlich et Giorgos Sapountzoglou, artistes- animateurs, m’invitent à entrer. « Vous voulez faire le tour du propriétaire ? »… La visite est bouclée en 2 minutes à peine : pièce principale, courette vitrée, cuisine lilliputienne, un évier, une cafetière, un bureau à l’étage. Tout est étriqué, et pourtant accueillant.

Hébergé depuis ses débuts par l’asbl Addictions, le lieu, comme en transit vers autre chose, est profondément habité. Beaucoup l’appellent d’ailleurs « la maison » ! « Avant, tous les ateliers se faisaient ici », précise Giorgos. Depuis le Covid, certains ont migré ailleurs, comme l’atelier d’écriture qu’ils co-animent cet après-midi à la bibliothèque Hergé, à quelques rues d’ici. « L’avantage est d’être au milieu des livres et de laisser la place ici, à nos collègues, pour l’atelier d’arts plastiques ».

“Vous voulez faire le tour du propriétaire ?”… La visite est bouclée en deux minutes à peine

De l’autre côté de la rue, l’hôpital Saint-Michel observe, en silence. Comme un rappel des origines du projet. En 2005, Côté Cour est né pour prolonger l’espace de création expérimenté dans les ateliers théâtre du service psychiatrique. Pour Denis Hers, psychiatre, « il s’agissait d’offrir un lieu d’accueil à celles et ceux qui, en sortant de l’hôpital, étaient renvoyés à la ville anonyme et à leur solitude ». Viviane Wansart, artiste de théâtre et soignante devenue directrice, complète  : « à l’époque, les lieux de lien n’existaient pas. Dans les académies, les patients ne retrouvaient pas cette horizontalité vécue à l’hôpital, dans ces ateliers du service psychiatrique (les ateliers ont toujours lieu aujourd’hui, ndlr). Il fallait une alternative aux institutions de soin ou d’art classique et au rapports soignants-soignés, enseignants-apprenants habituels ».

Ici, on s’inscrit en début d’année, mais on peut avoir des absences. L’accueil est souple et facile d’accès, mais on ne lâche rien du côté artistique !

Côté Cour est avant tout « un lieu d’art », rappelle Viviane, qui embarque toutes et tous dans un spectacle, pendant un an. En 2025, c’est autour des souvenirs de guerre 40-45, à Etterbeek, que s’est élaborée la création. « Qui étaient et où étaient nos grands-mères, grands-pères, arrière-grands-mères ? Qu’ont-ils fait ? Qu’ont-ils raconté ?

Certains ont enquêté auprès de leur famille, retrouvé des correspondances échangées durant la guerre, épluché les archives de la commune. D’autres ont dû s’inventer des familles, retisser l’histoire à partir de photos, faire émerger des récits pour combler les silences.

Anne, participante, raconte :

« Je suis Marie-Louise, mariée à Marcel. Je vis près de la maison communale, quand la guerre éclate en 1940, je ne veux rien savoir, rien entendre. Alors, je m’occupe du jardin, je plonge ma tête dans mes fleurs pour oublier… ». Fiction ou réalité ? Peu importe. Elle s’est inspirée d’une correspondance familiale pour incarner son personnage. Elle montre fièrement son carnet, créé pour le spectacle : dessins, collages, photos. « Ici, c’est le centre de ma semaine. Le centre de ma vie », confie-t-elle. Ici, on parle d’autres choses que de leurs souffrances. « Les personnes se sentent souvent « vides ». l’imaginaire les remplit de quelque chose », témoigne Viviane.

Il fallait une alternative aux institutions de soin ou d’art classique et au rapports soignants-soignés, enseignants-apprenants habituels ».

Viviane Wansart, directrice, comédienne-animatrice

Pour prendre part à ce projet collectif, les participants circulent entre les disciplines : écriture, arts plastiques, théâtre. C’est aussi l’occasion de faire collaborer les ateliers entre eux : la troupe d’Anatole Théâtre de Schaerbeek a rejoint le spectacle et travaille sur la bataille des Ardennes. Les textes ne viennent plus de répertoires classiques, mais sont écrits collectivement. Costumes, visuels, scénographie : chacun.e est impliqué.e à toutes les étapes de la création, d’un atelier à l’autre. « On fait « avec » les absences des uns et des autres », précisent les animateurs, « tout le monde est important mais personne ne doit être indispensable, c’est à nous de tenir le fil, d’entretenir la motivation ». « On aime se confronter à des projets difficiles », renchérit la directrice.

Une communauté d’artistes qui émancipe

Au-delà d’un cadre souple, il y a donc aussi une part de travail, de contraintes et d’obligations. L’objectif est de mêler les participants pour co-créer et s’ouvrir à l’extérieur, avec le spectacle. « La force du théâtre », pour Viviane, « c’est de rassembler, de faire collectif et communauté ». Giorgos, psychologue et comédien en Grèce avant d’arriver ici, insiste : « si tu penses être un artiste à 100%, alors ne fais pas ce métier d’animateur-artiste ! Parce qu’ici, il faut avant tout vouloir faire communauté. Ce n’est pas l’individualité qui guide le geste, mais le collectif. On travaille d’abord à faire lien entre nous, comédiens, avant de s’ouvrir à la grande communauté, les autres ». Klara Tham, animatrice-artiste en arts plastiques, résume : « être artiste dans un CEC, c’est mêler les 2 approches, l’art et le social, pour créer une communauté d’artistes ». Pour la jeune femme, la matière artistique est comme une ouverture. Chacun.e vient avec ses fragilités, ses forces, sa fantaisie.

Dans le décret des CEC, les termes « émancipation » et « imaginaire » sont d’ailleurs liés. A condition d’aimer ce qu’on transmet, l’émancipation n’est pas à sens unique. « c’est un processus réciproque », insiste Viviane, « qui concerne tant les animateurs que les participants ». Mais qui nécessite d’aller jusqu’au bout du processus : « se confronter au trac, à l’échange avec le public et survivre à tout ça, ensemble ! ». C’est ce qui différencie, selon elle, cette expérience théâtrale et communautaire d’une activité d’épanouissement personnel.

Prendre soin, dans un contexte de fragilités

Créer ensemble, sur le long terme, demande un soin permanent. « Animer en duo, c’est comme pour les sports extrêmes », glisse la directrice avec humour, « c’est une manière de veiller sur nous et sur les participant.es ». Le public, fragilisé par des pathologies sociales et psychiques, fréquente parfois le lieu depuis 10, voire 15 ans. « Mettre le soin au centre, c’est obligé pour que cela fonctionne ! », conclut-elle.

Voilà comment ce garage sans enseigne, au fond d’une rue calme d’Etterbeek, transforme des fragilités en forces collectives depuis 20 ans. Avec enthousiasme, convictions et… bouts de ficelles. Depuis 2016, le CEC était reconnu comme projet de santé par la Cocof. Le groupe communautaire en promotion de la santé est pourtant aujourd’hui à l’arrêt, faute de subside reconduit.

Un exemple parmi d’autres, à Bruxelles, de ces espaces à haute valeur humaine, artistique et sociale, en attente de reconnaissance durable et solide. Parce que si l’art soigne parfois mieux que les institutions, encore faut-il lui en donner les moyens.

Réservez votre place de spectacle…

« Etterbeek 40-45 », un spectacle de l’Atelier Côté Cour et d’Anatole Théâtre, les 11 et 12 juillet 2025, au SENGHOR, Centre culturel d’Etterbeek. Toutes les infos.

…Et soutenez le projet !

Pour tout don à partir de 50 euros, vous recevrez deux places gratuites à leur spectacle “Etterbeek 40-45” les 11 et 12 juillet 2025. C’est par ici !


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