Aide à la jeunesse: “Du sang neuf”

Par Julie Papazoglou, article en accès libre dans la publication Espace de liberté du Centre d’Action Laïque dont le dossier est: Aide à la jeunesse, entre soutien et répression.

Après plus de deux ans de concertation intense avec le secteur, le nouveau Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse était enfin voté au Parlement de la Communauté française le 17 janvier 2018. À l’aune de sa mise en pratique en ce début 2019, le CAL l’a soumis à une analyse minutieuse.

Ce nouveau décret fait suite à la 6e réforme de l’État qui transféra aux Communautés en 2014 la compétence de la détermination des mesures pouvant être prises à l’égard des mineurs ayant commis une infraction. Le législateur communautaire se devait donc d’adopter une nouvelle norme relative à ce volet particulier de l’aide à la jeunesse, autrefois prévu par la loi du 8 avril 1965. Ce dernier transfert de compétences s’inscrit dans une évolution historique de la matière de l’aide et de la protection de la jeunesse de plus d’un siècle.

Tout à la justice, ou presque

La loi du 15 mai 1912 est la première qui aborde la thématique de la protection de l’enfance en Belgique. Bien que prenant en compte la spécificité des problématiques liées aux mineurs d’âge, qu’ils soient délinquants ou en danger, le texte s’inscrivait cependant dans une logique essentiellement pénale et répressive.

Plus de 50 ans après la première loi, un tournant majeur est opéré dans le secteur avec la loi du 8 avril 1965, relative à la protection de la jeunesse. Avec une nouvelle façon d’appréhender la délinquance juvénile, plus protectionnelle et moins répressive. Elle prévoit une approche sociale et non plus uniquement judiciaire de la prise en charge des jeunes en danger, oriente son action vers la prévention, considère le mineur comme n’ayant pas la capacité de discernement, instaure un Tribunal de la jeunesse et axe son travail sur les familles. Cependant, à partir du milieu des années 1970, des critiques sont formulées à l’encontre de son application. En effet, la loi est insuffisamment axée sur l’aide consentie et l’approche spécifique des problématiques rencontrées, et est encore trop orientée vers une approche judiciaire.

Vers la déjudiciarisation et l’aide consentie
En 1980, un nouveau transfert de compétences va permettre aux Communautés de légiférer en matière d’aide et de protection de la jeunesse, à l’exception de la détermination des mesures à prendre à l’encontre des mineurs délinquants. Le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse, inspiré par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989, va réorienter l’action du secteur en Communauté française selon plusieurs principes fondamentaux. Citons la déjudiciarisation, le principe de subsidiarité de l’aide contrainte par rapport à l’aide volontaire, la priorité donnée à la prévention générale et l’aide dans le milieu de vie. L’éloignement étant l’exception, le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ceux-ci prend le dessus. De même, le respect et l’écoute de la parole des jeunes sont davantage considérés.

En 2006, le législateur fédéral souhaite garder les principes de la loi de 1965, mais en diversifiant davantage les mesures pour éviter le placement du jeune en IPPJ et en instaurant une approche restauratrice de la délinquance juvénile. L’accent est alors mis sur la responsabilisation du jeune et la prise en compte des droits de la victime.

Le Code Madrane et ses principes

Suite à la réforme de l’État de 2014 et à la communautarisation de la loi du 8 avril 1965 (à l’exception de la déchéance de l’autorité parentale et de la procédure), le ministre Rachid Madrane en a profité pour réformer l’ensemble du corpus législatif de son secteur tout en maintenant la philosophie générale et les principes prévus par le décret du 4 mars 1991 et par la loi du 8 avril 1965. Cinq grands « livres » divisent le Code du 17 janvier 2018 : le premier traite de la prévention, le deuxième du rôle des autorités administratives sociales, le troisième des mesures d’aide aux enfants et à leur famille, le quatrième des mesures de protection des enfants en danger et le cinquième des mesures de protection des jeunes poursuivis du chef d’un fait qualifié d’infraction commise avant l’âge de 18 ans.

Accent sur la prévention

Nous nous attarderons principalement sur quelques mesures phares issues des différents chapitres cités plus haut. Tout d’abord, la prévention. En effet, le livre 1er lui est entièrement dédié et les moyens d’action dans ce domaine ont fait l’objet d’une refonte globale et d’un refinancement conséquent. La prévention est aujourd’hui considérée comme une politique spécifique, distincte du dispositif d’aide lui-même et disjointe de la prévention du service de l’aide à la jeunesse. Selon le législateur, les actions de prévention, notamment menées par les AMO (dont le nom a été modifié en services d’ »action en milieu ouvert » en lieu et place de services d’ »aide en milieu ouvert » afin de refléter l’entièreté de leurs missions) doivent permettre de diminuer le nombre de jeunes en difficulté ou en danger et d’éviter l’intervention des services spécialisés de l’aide à la jeunesse. De nouvelles structures spécifiques lui sont également consacrées afin d’en améliorer l’efficacité. Par ailleurs, les AMO continuent à agir avec les jeunes sans mandat et à mettre en œuvre la prévention sociale et éducative, au niveau local.

Une question d’âge
Les jeunes pourront faire l’objet d’actions de prévention jusqu’à la veille de leurs 22 ans alors que le précédent décret limitait l’aide à 18 ans afin de permettre de les accompagner dans la transition vers l’autonomie et de lutter contre le risque accru de pauvreté. Notons que la première version du décret visait à élargir l’accompagnement des jeunes jusqu’à 25 ans. Le ministre a dû faire marche arrière afin de tenir compte des réticences de son partenaire de majorité cdH et de son organe de concertation pour aboutir à cette solution de compromis. Ceux-ci craignaient notamment des dépenses supplémentaires à charge de l’aide à la jeunesse et un risque de déplacement des missions des AMO vers d’autres secteurs (comme les CPAS par exemple).

Un bémol notamment, soulevé par le délégué général aux droits de l’enfant, concerne l’absence de coordination structurelle des actions de prévention avec les autres secteurs de la jeunesse (maisons de jeunes, associations de jeunes, contrats de prévention et de sécurité). Certains se sont également questionnés sur l’intérêt d’une réforme globale de la prévention alors même que la précédente réforme opérée en 2013 n’avait pas été évaluée.

Concernant le livre 3 relatif aux mesures d’aide aux enfants et à leur famille, la plupart des anciennes dispositions du décret ont été maintenues. On saluera le fait que certains éléments liés aux droits de l’enfant ont été renforcés comme la possibilité pour le bénéficiaire d’une mesure d’aide de donner son accord écrit dès l’âge de 12 ans et non plus de 14 ans.

Un projet pour l’enfant

Face aux vives critiques d’une partie du secteur qui dénonçait l’absence de cohérence dans la prise en charge de certains jeunes parfois placés de leur naissance à 18 ans dans différents services de l’aide à la jeunesse, sans véritable cohérence ni objectifs à long terme, le législateur a introduit le « projet pour l’enfant ». Ce document, établi par le conseiller de l’aide à la jeunesse devra constituer « le fil rouge » du parcours du mineur, et ce dès le début de sa prise en charge. Il vise à garantir la cohérence des différents dispositifs ; novateur pour le secteur et inspiré des pratiques françaises, il devra être adapté régulièrement en fonction de l’évolution des besoins de l’enfant.

On remarquera aussi la présence, dans l’exposé des motifs, d’un paragraphe sur l’adoption. Cette mesure, supprimée du décret du 4 mars 1991 pour des raisons légistiques et placée dans un décret spécifique, est souvent méconnue voire taboue dans le secteur de l’aide à la jeunesse alors qu’elle constitue aussi une mesure de protection de l’enfant. Des ponts entre ces deux secteurs devraient cependant être renforcés afin de permettre à des enfants délaissés de longue durée par leurs parents de bénéficier d’un projet de vie permanent. Cependant, le secteur de l’adoption regrette que cette mesure n’ait pas été transcrite dans le corps même du texte du Code.

IPPJ en bout de course

Au niveau du livre 5 relatif aux mesures de protection des jeunes poursuivis du chef d’un fait qualifié d’infraction, le Code réaffirme avec force le principe de la hiérarchisation des mesures et le fait que le placement en IPPJ doit être utilisé en dernier ressort par les juges. Afin de faciliter le travail des magistrats dans le choix des mesures, une cellule de liaison attachée à l’administration sera chargée de conseiller ceux-ci quant à la disponibilité des prises en charge dans le secteur et celles estimées comme étant les plus appropriés pour le jeune délinquant.

En vue de limiter davantage le recours au placement en IPPJ, l’âge minimal de celui-ci est relevé à 14 ans (sauf exception en cas d’atteinte grave à la vie ou à la santé) au lieu de 12 ans. Par ailleurs, conformément aux recommandations du Comité contre la torture du Conseil de l’Europe, le décret prévoit le droit pour les jeunes en IPPJ de contester les décisions prises par le directeur de celle-ci à leur égard auprès de l’administration et ensuite auprès d’un organe externe indépendant. La mise en place d’un dispositif de surveillance externe et indépendant des IPPJ, calqué sur le modèle des Commissions de surveillance des établissements pénitentiaires est également prévu. On regrette cependant l’absence dans le Code d’un chapitre sur les objectifs à atteindre lors du placement d’un jeune en IPPJ. En effet, encore trop de jeunes font l’objet de plusieurs placements consécutifs sans véritable réflexion sur les raisons qui les ont amenés à commettre une infraction et le milieu de vie dans lequel ils évoluent. Un travail avec la famille du jeune devrait être réalisé dès le début du placement et non uniquement à sa sortie, via le dispositif d’accompagnement postinstitutionnel par exemple.

Enfin, on relèvera que pour des raisons d’ordre institutionnel, le Code ne s’applique que pour la partie non contraignante aux mineurs bruxellois. Il faudra donc que le Parlement bruxellois vote sans délai une ordonnance spécifique (on parle de mai 2019) afin de ne pas occasionner une discrimination de ce public par rapport aux jeunes de Wallonie.

Deux publics spécifiquement vulnérables semblent avoir été oubliés dans la réforme, à savoir les enfants roms et les MENA, alors qu’ils font encore trop souvent l’objet d’un jeu de ping-pong institutionnel entre le secteur de l’aide à la jeunesse et celui de l’asile et de la migration.

Roulez, jeunesse !

En conclusion, le nouveau Code ayant fait l’objet d’une intense concertation, de moult revirements et de corrections à chaque étape de son adoption (en veulent pour preuve les 29 annexes et les 535 pages d’avis et de commentaires attachés au projet et transmis au Parlement), d’aucuns ont cru qu’il n’aboutirait pas. Le voilà cependant tout frais, prêt à entrer en vigueur et à produire ses effets grâce à une certaine ténacité du ministre et à un refinancement conséquent du secteur. L’avenir nous dira si les intentions louables qui ont présidé à cette réforme auront les effets pratiques escomptés. Reste cependant à saluer l’esprit constructif qui a animé ces débats et la volonté d’améliorer le sort de ce public fragilisé.

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