Une marche pour réformer la loi concernant le droit à l’intégration sociale

Le mercredi 19 avril, la Ligue des droits humains et une quinzaine de partenaires [1] ont organisé une marche-rencontres qui a relié le cabinet de la ministre de l’Intégration sociale Karine Lalieux à différents CPAS de la région bruxelloise. La centaine de personnes présentes tout au long de la journée revendique une refonte du droit à l’intégration sociale.

Par Adeline Thollot, le 26 avril 2023

Marie est sans emploi, en couple et mère de deux enfants en bas âge. Elle vit avec son compagnon et est considérée à charge de celui-ci. Depuis quelque temps, il est de plus en plus violent et elle souhaite quitter le domicile. Elle décide de s’adresser au CPAS de sa commune. Un·e travailleur·se lui répond « On ne peut rien faire tant que vous vivez chez votre compagnon. Il va falloir que vous vous retrouviez à la rue ou à l’hôpital pour que nous puissions vous aider« . Ce témoignage, recueilli par un travailleur social bruxellois, illustre la violence à laquelle sont confronté·es les usager·es de CPAS, mais aussi le manque d’informations concrètes sur les aides existantes.

Pour protester contre ce genre de dérives, la Ligue des droits humains et une quinzaine de partenaires, ont décidé d’agir. Le rendez-vous de la mobilisation était fixé devant le cabinet de Karine Lalieux, où une petite délégation a été entendue par la ministre en charge de l’Intégration sociale. Dans la ligne de mire des associations : la loi de 2002 concernant le droit à l’intégration sociale. Adoptée il y a un peu plus de 20 ans, c’est elle qui fixe les conditions à ce droit à l’intégration sociale qui peut prendre plusieurs formes, dont l’emploi et/ou un revenu d’intégration sociale et le projet individualisé d’intégration sociale. Cette loi en question touche potentiellement plus de 160.000 personnes en Belgique. Leur nombre a littéralement explosé en 20 ans. Ce sont les CPAS qui ont pour mission d’assurer ce droit à l’intégration sociale. Des CPAS en première ligne des crises qui se sont succédé ces dernières années, sécuritaire, sanitaire et énergétique et qui croulent littéralement sous le poids des dossiers. De leur visite au cabinet, les associations retiennent qu’elle s’est engagée à simplifier la procédure de demande du droit à l’intégration sociale et à lutter contre le non-recours aux droits, en particulier celui à l’aide sociale.

Afin de porter ces revendications, la mobilisation s’est poursuivie au CPAS de la Ville de Bruxelles, puis à celui de Saint-Gilles, pour finir sa course à Anderlecht. Sur place, des usager·es de CPAS, des syndicats et plusieurs associations ont ouvert un dialogue avec les président·es de CPAS ou leurs représentant·es. Les discussions portaient sur des actions concrètes, reprenant la liste de 23 vœux, publiée début 2023, par la Ligue des droits humains. Un mémorandum politique, comme un souhait de début d’année, pour lutter contre les dérives que connaît le droit à l’aide sociale et réfléchir à ses conditions d’existence. Parmi ces principales revendications : l’individualisation des droits sociaux, la suppression du projet individualisé d’intégration sociale (PIIS), l’exonération totale des allocations familiales, l’assurance d’un revenu à toute personne majeure, et beaucoup d’autres. Afin d’uniformiser les pratiques, les personnes présentes demandaient l’arrêt des circulaires, ouvertes à trop d’interprétations et entraînant des inégalités entre ciroyen·nes. Le statut cohabitant quant à lui, est considéré comme injuste. De plus, comme le précisait une membre du Syndicat des Immenses : « Avec le revenu d’intégration sociale (RIS), on est déjà en dessous du seuil de pauvreté, alors imaginez avec le montant d’une personne considérée comme cohabitante« . Depuis le 1er janvier 2023, le RIS est fixé à 1.183,94 € pour une personne seule et le seuil de pauvreté, s’élève à 1.366 euros par mois pour une personne isolée. D’après Statbel, l’office belge de statistique, en 2022, 13,2% des Belges vivaient dans un ménage dont le revenu total disponible est inférieur à ce seuil.

Une précarisation accrue qui pèse sur les travailleur·ses

Certain·es travailleur·ses de CPAS font part des conditions difficiles dans lesquelles ils/elles se trouvent. En effet, il y a toujours plus de personnes précaires, mais les effectifs ne sont pas renforcés. La qualité de l’accompagnement s’en trouve grandement impactée. À titre d’exemple, le contrat PIIS, est présenté par Edgar Szoc, président de la Ligue des droits humains, comme reposant sur « une logique de contrat, allant à l’encontre de tous les principes de droit. C’est un contrat avec un couteau sous la gorge qui inclut des dispositions aberrantes ». À cela s’ajoutent les possibles discriminations découlant de la signature de ce contrat, pour des personnes ne maîtrisant pas la langue française. Certaines présidences de CPAS se disent favorables à sa suppression, mais s’inquiètent de la sauvegarde des emplois pour les travailleur·ses (nombreux·ses) engagé·es dans le cadre des contrats PIIS, avec de l’argent fédéral. Afin de soulager travailleur·ses et usager·es et faciliter les procédures, les directions de CPAS demandent à ce que les choses bougent à d’autres niveaux de pouvoirs également.

Concernant l’individualisation des droits, les CPAS rencontrés se disent opposés au statut cohabitant. Pourtant, les choses semblent bloquées politiquement, à d’autres niveaux de pouvoirs. Pour les syndicats, la lasagne institutionnelle belge est telle, qu’il est facile pour les différents niveaux de pouvoir de se renvoyer la balle. Pourtant, des mesures peuvent être prises à toutes les échelles, pour agir concrètement, et ce, pour garantir le droit de vivre dans la dignité humaine.

Afin de protester contre des conditions de travail alarmantes dans les CPAS, le front commun syndical (CSC, CGSP, SLFP) a déposé un préavis de grève, le 25 avril. Manque de moyens, manque de personnel, une surcharge de travail considérable, plusieurs centaines de travailleur·ses wallon·nes et bruxellois.es se sont mobilisé·es. Au micro de la RTBF, Jacqueline, assistante sociale de CPAS, s’exprimait sur la perte de sens du travail social : « Il y a une charge de travail énorme, car un nombre toujours plus important de personnes nécessite notre aide. On reçoit la personne, on mène une enquête sociale détaillée et puis on doit déjà passer à la suivante. Cela devient du travail à la chaîne« . Cette travailleuse, au contact quotidien des usager.es, ainsi qu’une partie importante du personnel des centres publics d’action sociale demande un refinancement « structurel, anticipatif, pérenne » de leurs organisations, accompagné d’une revalorisation salariale et sociale. Sans régler tous les problèmes, de meilleures conditions de travail permettraient un soulagement pour les travailleur.ses et amélioreraient l’accueil et l’accompagnement des usager·es.

En parallèle, les bénéficiaires et les associations qui les soutiennent, continuent la lutte pour que le droit fondamental à l’aide sociale soit garanti.

Lire le communiqué de presse de la Ligue des droits humains

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