Soins dentaires : le secteur social-santé grince des dents

Plus de la moitié des Belges (50,8%) n’ont pas de contact régulier avec un dentiste. Le Covid-19 et les différents confinements ont entraîné des reports de soins et de contrôle de la santé bucco-dentaire, avec des conséquences sur la santé physique, mais aussi sur la qualité de vie et le bien-être. Face aux coûts des soins dentaires et des prothèses en particulier, le secteur social-santé tente de trouver des solutions.

Par Adeline Thollot, CBCS, février 2023

En Belgique, l’accès aux soins dentaires reste encore compliqué pour les publics plus vulnérables en particulier, comme c’est le cas pour les familles monoparentales, les personnes âgées ou les personnes sans-abris. D’après Médecins du monde, jusqu’à 90% des personnes sans-papiers se privent de toute forme de soins dentaires. Le frein principal est économique. Environ 79% des ménages précaires belges voit le coût des médicaments comme une charge financière sur le budget. 20% des belges disent ne pas pouvoir payer un rendez-vous chez le dentiste ou difficilement. Comme l’expliquait Mohamed Ouriaghli, député, au Parlement Francophone Bruxellois, lors de la séance plénière du 10 février dernier, cela a des conséquences physiques sur la santé de la population : « des scientifiques ont observé qu’une gencive malade peut accélérer le déclin cognitif des personnes âgées ou des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et que par ailleurs, durant la grossesse, les dents et les gencives sont plus fragiles ».

La santé de nos dents a un effet global sur la santé physique, mais aussi sur la qualité de vie et le bien-être. Face à cette problématique, nous ne sommes définitivement pas tous égaux, comme en témoigne l’ouvrage d’Olivier Cyan, publié en 2021 : « Sur les dents. Ce qu’elles disent de nous et de la guerre sociale », aux éditions La Découverte.  Dans une interview donnée au magazine Alter Echos, l’auteur énumérait les conséquences dues aux problèmes dentaires : « La difficulté d’assumer des dents manquantes, où un sourire abîmé relève à la fois de l’intime et du social et engage à la fois la vie professionnelle, familiale, affective, mais aussi son rapport au monde. […] Pour toutes ces raisons, il me semblait important de rappeler (à travers ce livre) pourquoi la dent est non seulement un organe vital pour notre bien-être, mais aussi un objet politique ».

Quant aux dentistes aujourd’hui, ils sont pris dans un étau, dans l’obligation de devoir travailler vite pour bien gagner leur vie. En effet, pour être rentable, un dentiste doit privilégier les soins qui rapportent de l’argent. Sans surprise, ce sont les prothèses dentaires qui rapportent le plus. « Les poses d’implants ou de prothèses dégagent les plus grosses marges. Cela incite conjointement les dentistes à aller vite sur les soins conservateurs comme les détartrages. Tous les soins qui permettraient d’éviter aux patients de développer avec le temps des problèmes lourds qui vont eux nécessiter des soins coûteux et compliqués, sont expédiés. Il y a une dentisterie à deux vitesses », constate Olivier Cyan. À cela, s’ajoute l’hygiène bucco-dentaire des personnes ne pouvant pas se payer les soins dits préventifs. S’en suit alors des situations catastrophiques. Comme le recensait l’INAMI, 5,6% des Belges vivent sans dents. Et lorsqu’il est trop tard, ces personnes n’ont pas accès, pour des raisons économiques, aux prothèses dentaires.

Quelles solutions ?

Pour pallier au problème, certains plaident pour que la denturologie (profession traitant des prothèses dentaires amovibles) soit reconnue par le ministère de la Santé. Comme l’explique l’Union Belge des denturistes diplômés, « déjà en 2005 le KCE s’est intéressé à la possibilité de permettre -comme dans certains pays- à des techniciens spécialisés que sont les denturistes de fabriquer et placer eux-mêmes des prothèses amovibles en vue d’augmenter la concurrence par les prix et de faire diminuer ceux-ci dans des conditions de qualité satisfaisante ». Leurs arguments, aussi rationnels soient-ils, présentent cependant des limites. François Perl de chez Solidaris dénonce le manque de transparence des coûts liés aux prothèses dentaires. Pour lui, « cela tient aussi au fait que l’assurance-maladie intervient très peu dans ce domaine. On a essayé de prendre les choses en amont en favorisant les soins de prévention et de conservation pour éviter le recours aux prothèses, mais force est de constater que cette stratégie n’a pas rempli entièrement ses objectifs et que la santé bucco-dentaire reste un très gros problème dans ce pays ». Beaucoup d’associations du secteur social-santé se disent favorables à l’accessibilité financière des soins dentaires en ce compris les prothèses, mais sans soutenir explicitement une profession par rapport à d’autres.

Concernant la région bruxelloise, la COCOF est compétente dans le développement des soins dentaires à domicile. Barbara Trachte, Ministre-Présidente de la COCOF, répondant à la question du député Mohamed Ouriaghli, rappelait l’existence des centres de coordination de soins et services, à destination notamment, des personnes en perte d’autonomie. Pour les personnes éloignées des services, ces centres agréés peuvent offrir une aide en matière de soins dentaires à moindre coût.

Au niveau fédéral, une idée avait été évoquée par la région bruxelloise, afin de développer et de rembourser les prestations d’hygiénistes bucco-dentaires pour certains publics. Cette profession paramédicale a été créée en 2018 et les premiers diplômés sont arrivés en 2021. Il s’agit d’une fonction de premier choix, qui va à la rencontre du public vulnérable afin de faire de la prévention et du dépistage et d’orienter le patient vers un dentiste en cas de nécessité. Malheureusement, cette proposition est restée lettre morte. Barbara Trachte explique vouloir « la remettre sur le tapis ». De plus, la COCOF a été sollicitée par l’asbl Doucheflux, pour les accompagner dans l’organisation de soins bucco-dentaires mobiles pour les sans chez-soi bruxellois. Cette proposition sera discutée en groupe de travail au Parlement Francophone bruxellois en mars 2023.

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