“Parler de la mort, c’est parler de la vie !” Et si échanger autour de la fin de vie nous permettait de mieux l’appréhender, de pouvoir accompagner nos proches et respecter leurs dernières volontés ? Certain·es parlent de mourance, un terme qui refuse de figer la mort dans un instant précis, mais la présente plutôt comme un processus, un mouvement. Parfois, il est impossible d’anticiper la perte d’un·e être cher·e, mais souvent, c’est la pudeur, la gêne ou encore la peur qui fait que l’on n’aborde pas ces sujets avant d’y être confronté·e. A l’initiative de l’absl Doulas de fin de vie, un Café Mortel était organisé au Cinéma Nova, dans le cadre de leur programmation “Cueillir la mort”, du 10 avril au 15 juin. En ce printemps bourgeonnant, une invitation à parler de la mort alors que tout renaît…
Par Adeline Thollot, CBCS, mai 2025
Ecouter l’émission de Radio Mouette, diffusée sur Radio Panik
Il est 11h dans la salle du Cinéma Nova, au cœur de Bruxelles. Le soleil est déjà à son zénith mais quelques personnes courageuses ont choisi l’obscurité bienveillante du Nova, récemment racheté par les membres de sa coopérative. Sur scène, une table avec une rangée de micros face à face ont été installés. Tout est prêt pour un café mortel radiophonique.

Le concept du Café Mortel est né en Suisse en 2004. Bernard Crettaz, sociologue et ethnologue, souhaitait renouer avec la tradition ancestrale des repas de funérailles, où les vivant·es se rassemblaient pour déposer ce qu’ils/elles avaient sur le cœur.
Face au constat que les rites funéraires tendent à disparaître dans nos sociétés occidentales et le deuil à se vivre de manière individuelle, c’est l’occasion d’inventer de nouvelles manières d’appréhender la mort.
Pour organiser un café mortel, il y a très peu de règles et c’est ce qui fait sa force de démultiplication ! Bernard Crettaz en énumère douze : “elles balisent les chances et les difficultés de telles rencontres. Elles précisent des attitudes et comportements que je soumets à l’assemblée”. En somme des bonnes pratiques pour créer un cadre sécurisant et faire en sorte que la parole circule de manière équitable.
Il est préférable que le Café Mortel prenne place dans un espace public, permettant une ouverture vers l’extérieur et des participations spontanées. Celles et ceux qui se sentent concerné·es ou s’interrogent sur le deuil et la mort y trouvent un moment de partage, sans aucun jugement. Un Café Mortel n’est ni un espace thérapeutique, ni un espace de débat, c’est un espace qui permet de sortir du tabou qu’est la mort, le temps d’un café.
Ce 29 avril 2025, la rencontre réunit Radio Mouette, une émission mensuelle diffusée sur Radio Panik qui met les ainé·es au cœur de la radio et deux thanadoulas[1] de l’asbl Doulas de fin de vie qui animent le café. Le décor est planté dès les premiers échanges : chaque participant·e est invité·e à partager un geste, un rituel qui fait sens dans la perte d’un·e proche.
Marciane a perdu son mari il y a plusieurs années. Depuis, elle chérit les photos, comme autant de souvenirs de bons moments partagés. Elle rappelle l’importance, malgré la tristesse, de se réunir autour d’un repas entre vivant·es. Certain·es évoquent l’importance du toucher physique avec la personne décédée, comme un moyen de communication fondamental. D’autres de pouvoir récupérer un objet, en mémoire.
Les participant·es sont unanimes, la mort peut aussi être synonyme de joie, de célébration de ce qui a été vécu ensemble : “on peut pleurer et fêter en même temps”.

Pour celles et ceux qui restent, la phase de deuil peut être le début de quelque chose, comme un besoin de changer son quotidien, de faire les choses différemment. Si elle est vécue intimement, la mort se partage collectivement : “face à une personne en deuil, il faut pouvoir ouvrir ses bras et ses oreilles, donner un espace d’apaisement pour rassurer”.
Dans cet espace bienveillant, les participant·es partagent aussi des connaissances sur le monde funéraire ! Un café mortel est un lieu-ressource d’échange sur les législations en cours par exemple, notamment sur la déclaration anticipée d’euthanasie. Michelle, du Gang des vieux en colère nous apprend qu’à l’heure actuelle en Belgique, l’euthanasie n’est actuellement permise que pour les personnes en coma irréversible. Un autre projet de loi est à l’examen à la Chambre. Il prévoit de modifier la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie afin d’étendre la déclaration anticipée aux personnes devenues incapables d’exprimer leur volonté. Mais pour l’heure, rien n’a été voté.
Finalement, un Café Mortel, c’est aussi prendre le temps. Le temps d’allumer des bougies pour penser aux personnes qui ne sont plus là et réchauffer le cœur de celles et ceux qui pensent à eux. Le temps d’écouter de la musique, en l’occurrence celle d’Olivier Noria, qui accompagne, musicalement, des espaces de recueillement, des funérailles. Mais c’est aussi prendre le temps précieux du silence, car “certains silences valent mieux que toutes les confessions du monde”.
Chaque dernier jeudi du mois, l’asbl Doulas de fin de vie organise un café deuil au Quatre-Quarts, à Court-Saint-Etienne. Plus d’infos
Pour aller plus loin |
---|
Dossier du Ligueur (MARS 2025) – Oser parler de la mort |
Documentaire sonore « Le corps beau » réalisé par Viviane de Laveleye |
Cafés mortels : Sortir la mort du silence, Bernard Crettaz, 2010 |
Au bonheur des morts : Récits de ceux qui restent, Vinciane Despret, 2015 |
A la vie !, L’homme Étoilé, 2020 |
[1] Le rôle de la thanadoula est identique à celui d’une doula pour les femmes enceintes, mais celle-ci accompagne les personnes en fin de vie et leur famille dans ce moment tant redouté qu’est la mort.