« Les pauvres font de la politique » – Pauvreté et participation : les enjeux du pouvoir d’agir

Quelle est la citoyenneté des plus modestes de nos concitoyens ? Comment prennent-ils part à la vie sociale ? Leur participation est-elle en adéquation avec leurs aspirations ? Comment s’expriment-ils ? Le vote suffit-il pour que les pauvres accèdent aux droits fondamentaux ? Permet-il, vu son caractère obligatoire en Belgique, à toutes les couches sociales et surtout aux pauvres de s’impliquer et de participer pleinement et de manière égale dans le processus politique ?


Officiellement et juridiquement, la pauvreté n’est pas de nos jours un obstacle à la participation citoyenne. Tout le monde connaît l’article fondamental de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qui précise que

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »

Mais aussi « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

Un droit, mais pas pour tous…

La volonté politique générale est telle actuellement. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que cela n’a pas toujours été le cas. L’universalisation du droit et surtout du droit de suffrage s’est faite de manière progressive. A partir de 1919, un « homme une voix » est un droit mais pas pour tous. Seuls les citoyens mâles âgés de 21 ans et plus peuvent exercer ce droit. Il faudra attendre 1948 pour rompre avec une contradiction démocratique et voir les femmes accéder à la participation politique. Cela étant, le droit de vote des femmes n’a pas immédiatement résolu la question de leur éligibilité mais ça, c’est une autre question.

Que dire alors de nombreux étrangers qui travaillent et vivent en Belgique depuis de nombreuses années ? Font-ils réellement partie de ce pays ? Est-ce important pour eux de participer et de voter ? Si tel est le cas, pourquoi dès lors se dirait le quidam, ne demandent-ils pas la naturalisation ? Faut-il absolument que le résident étranger se convertisse en Belge pour qu’il puisse participer ?

La citoyenneté n’est pas forcément le fruit de l’assimilation, ni de la naturalisation. Ainsi, en Belgique, les étrangers ressortissant de l’Union Européenne ont eu le droit de vote aux élections communales grâce à la loi du 27 janvier 1999. Mais comme ils ne sont pas les seuls étrangers sur le territoire, le législateur a ouvert ce droit (loi du 19 mars 2004), sous certaines conditions aux étrangers originaires des pays ne faisant pas partie de l’Union Européenne.

Il existe donc des mécanismes qui permettent à toutes et tous une participation civique au niveau local. Mais cette participation est subjective, complexe et chargée de multiples défis. Car ce n’est pas parce qu’on a le droit de vote que l’on participe vraiment. Il existe d’autres droits complémentaires aux normes juridiques qui sont indispensables pour rendre la participation effective. Participer, c’est s’investir. Mais c’est aussi s’informer, échanger et partager sur les enjeux de la chose publique locale. C’est contribuer, au-delà du droit du vote acquis, à la construction d’une culture de quartier, d’une ambiance dans l’école des enfants, c’est s’engager dans les rapports sociaux.

Pauvreté et participation : adéquation difficile

Que l’on soit femme, homme, étranger issu de ou hors Union européenne, peut-on participer librement et volontairement quand on n’arrive pas à boucler ses fins de mois ou quand le panier de la ménagère se transforme en « panier de privations » ? Les droits économiques et sociaux sont indispensables pour qu’il y ait participation.

Bruxelles vit une crise de logement depuis de nombreuses années. Celle-ci va s’aggraver avec le boom démographique en perspective. Les familles les plus pauvres sont indiscutablement les plus exposées.

Se loger décemment est devenu difficile pour les allocataires sociaux, les travailleurs pauvres ou les propriétaires à bas revenu, incapables de rénover. Presque 5% de la population adulte est enregistrée à la Centrale des crédits aux particuliers de la Banque Nationale pour contrats défaillants. Il y a donc un pourcentage non négligeable de Bruxellois qui sont dans la pauvreté à cause des dettes liées à la consommation. Il ne s’agit pas toujours d’un problème d’irresponsabilité. Face à un accident de la vie comme la maladie, le divorce ou le chômage, certaines familles se retrouvent, sans être préparées, avec des ressources diminuées dans l’incapacité de rembourser des crédits auxquels ils ont eu droits. Peut-on exercer sa citoyenneté en étant surendetté ? La question du droit au crédit doit s’accompagner par des actions d’encadrement et non par des absences de mesures préventives.

Peut-on vraiment participer quand on ne maîtrise pas une des langues nationales ? Comment faire entendre sa voix quand on ne comprend pas celle des autres ? Comment discerner les logiques de position (droite-centre-gauche), les singularités, les écarts entre les différents discours politiques quand on n’a été peu ou pas scolarisé ? Comment prendre part à une réunion de quartier, d’école quand on ne sait pas lire et écrire ? Bruxelles, capitale de la Belgique et de l’Union Européenne, a besoin d’un niveau d’alphabétisation élevé, ne serait-ce que pour des besoins d’intégration économique. Quasiment tous les emplois actuels demandent des compétences en lecture, écriture et calcul. L’écrit occupe une place centrale dans la société et l’emploi est le facteur le plus socialisant. Aujourd’hui, les personnes peu ou pas scolarisées sont majoritairement d’origine étrangère. L’alphabétisation doit être considérée comme un levier pour la citoyenneté active, un outil à la fois d’intégration et de lutte contre la précarisation. L’analphabétisme est un obstacle à la liberté d’expression, d’action et de participation.

Enfin, plus on est pauvre, plus on accumule les ruptures : familiales, professionnelles, associatives, culturelles, sportives ou confessionnelles. La solitude et la pauvreté s’entretiennent et les deux ne facilitent pas une participation citoyenne spontanée.

Avec ces trois illustrations de pauvreté – matérielle, intellectuelle et sociale – on voit bien que l’approche juridique ne suffit pas pour garantir la participation. Elle demande un changement de paradigme qui va de la perception de la pauvreté aux politiques à mettre en œuvre pour la combattre et atteindre les objectifs de justice sociale en matière d’habitat, d’éducation, de santé et de solidarité. Promouvoir la participation, c’est soutenir les droits fondamentaux.
Cependant, pour bâtir une société solidaire, il paraît important de prendre en compte l’expérience sociale, économique et culturelle des pauvres. Il ne s’agit pas de faire « pour eux » mais de faire « avec eux ». Comment sortir quelqu’un de l’isolement si on ne le fait pas avec lui ? C’est au monde politique de créer ou de promouvoir les conditions qui facilitent le dialogue et l’écoute. C’est aux politiques de changer la donne pour que les plus modestes d’entre nous puissent s’intéresser et s’associer aux décisions qui les concernent. Bruxelles doit être un lieu de libertés. Sa politique sociale urbaine doit revoir les prémisses des conditions de participation tel le droit au logement, consubstantiel à la qualité de citoyen.

Céline Frémault, députée bruxelloise et présidente du groupe cdH à Bruxelles, 7/12/11

Dossier associé : BIS n°164-165/2011 : les pauvres font de la politique !

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