A partir de ce 1er mai, les écrous prendront fin à la prison de Saint-Gilles (850 détenus) et auront lieu à celle de Haren. La Direction générale des établissements pénitentiaires (DG EPI) espère ainsi « vider » Saint-Gilles à raison d’une centaine de détenus par mois. Deux profils de détenus particulièrement vulnérables vont par contre rester entre ces murs : les détenus internés au sein des annexes psychiatriques seront les derniers à déménager. Les personnes sans titre de séjour quant à elles resteront détenues dans la prison de Saint-Gilles. La Ligue des droits humains et l’Observatoire International des prisons dénoncent ce double standard.
Ligue des Droits Humains, le 29/04/2023
À partir du 1er mai, la justice bruxelloise n’enverra plus de prévenus à la prison de Saint-Gilles, ils seront écroués dans la prison de Haren qui a ouvert à l’automne dernier. L’objectif est de « vider » Saint-Gilles à raison d’une centaine de détenus par mois. Le ministre de la Justice a cependant décidé de ne pas fermer la prison de Saint-Gilles. Il s’agira d’y conserver une population de 250 détenus. Dans un premier temps, il semblerait que les personnes qui sont internées au sein de l’annexe psychiatrique, soit donc des personnes dont la justice a reconnu qu’elles présentaient des troubles mentaux importants, resteraient détenues au sein de cet établissement pendant plusieurs mois. Par ailleurs, l’établissement sera conservé pour y détenir des personnes condamnées qui ne sont pas en ordre de séjour et sont en attente de rapatriement.
Il apparaît choquant que ces personnes particulièrement vulnérables soient une nouvelle fois les dernières personnes dont on se préoccupe. Il semblerait que le bâtiment soit dans un état de vétusté tel qu’il inquiète les autorités communales et justifie un déménagement. Toutefois, y détenir des publics singulièrement fragiles ne semble poser aucun problème : les mauvaises conditions de détention seraient-elles acceptables pour certains publics ?
L’OIP et la LDH sont interpellés par le fait qu’une fois de plus, les personnes présentant des troubles mentaux sont négligées, alors que ce public le plus vulnérable et précarisé nécessite des soins indispensables. Rappelons que la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné à de nombreuses reprises la Belgique pour son traitement des internés parqués dans les annexes psychiatriques, allant même jusqu’à infliger un arrêt pilote à l’État belge.
Par ailleurs, une annexe psychiatrique de 72 lits est prévue à Haren alors que l’annexe psychiatrique de Saint-Gilles compte actuellement près de 90 personnes et que cette population est en augmentation constante.
Détenus sans droit de séjour
Concernant les détenus étrangers, le ministre de la Justice répondait en septembre 2022 par écrit à une question parlementaire sur le profil des détenus qui resteraient à Saint-Gilles en indiquant : « La piste est encore explorée et les détenus sans droit de séjour font partie des possibilités. L’avantage d’un groupe cible spécifique, quel qu’il soit, est de pouvoir développer une gamme de services et d’assistance ainsi qu’un régime adapté à ce groupe ». L’OIP et la LDH demandent à l’État belge de préciser quelle est la gamme de service et d’assistance développée pour ce groupe cible et quel est le régime adapté qui est organisé pour ces personnes. La crainte est en effet grande qu’il faille entendre par « régime adapté » un régime minimum, voire une absence de régime – bref, que des économies en personnel et en activité soient faites sur le dos de ces personnes en détresse.
Par ailleurs, signalons que les étrangers concernés ne constituent pas un groupe homogène car, parmi les personnes « sans titre de séjour », il y a des situations très différentes : ceux qui vivent ici depuis toujours ou presque mais ont été radiés d’office (ce qui peut provoquer une perte du droit au séjour), ceux à qui on a retiré le droit de séjour à cause des faits qu’ils ont commis mais ont toutes leurs attaches en Belgique, et ceux qui n’ont jamais eu de titre de séjour… En outre, absence de droit au séjour n’équivaut pas à absence de plan de reclassement, c’est d’ailleurs ce que la Cour constitutionnelle a souligné dans son arrêt du 21 décembre 2017 (n° 148/2017), jugeant discriminatoire d’exclure les individus des droits découlant des politiques de réinsertion en raison de leur statut administratif.
Il est en réalité évident que ces personnes ont été choisies parce qu’on n’estime pas utile de développer quoi que ce soit ni comme plan de détention ni plus généralement comme services permettant le respect de leurs droits fondamentaux.
Double standard
L’OIP et la LDH dénoncent ce double standard : la prison de Saint-Gilles est vétuste pour certains détenus mais pas pour d’autres en raison de leur statut administratif ou de leur maladie mentale alors qu’au contraire il est indispensable de surinvestir ce public particulièrement vulnérable, nécessitant des soins et des services accrus.
L’OIP et la LDH condamnent l’attitude de l’État belge opérant des différences de traitement contrevenant aux droits fondamentaux des plus vulnérables, par simple facilité administrative, maintenant ainsi l’idée selon laquelle les personnes étrangères ou souffrant de troubles mentaux doivent être laissées aux oubliettes, sans la moindre perspective d’insertion ni de soins adéquats.
Par ses choix stratégiques, le ministre de la Justice aggrave un régime de détention qui contrevient aux droits fondamentaux des plus faibles. Par ces choix, l’État belge nous démontre une fois encore à quel point l’emprisonnement n’a pas de sens.
Dès lors, LDH et OIP demandent aux autorités belges que les détenus concernés ne soient pas traités sur base de « standards » moins élevés que les autres, mais bien au contraire que leur situation de vulnérabilité particulière soit prise en compte par les pouvoirs publics et que, partant, ceux-ci jouissent de l’ensemble de la palette de droits, d’aide et d’assistance qui s’imposent.