La pénurie de personnel de santé n’est plus seulement un problème de conditions de travail. Elle crée une hypothèque sur la santé de toute la population dans les prochaines années.
Carte blanche et manifestation en front commun syndical ce 13 juin 2023
Les mesures budgétaires prises par les précédents gouvernements dans les soins de santé, ont trouvé le personnel de ce secteur et les institutions de soins en très mauvaise santé quand est apparue la pandémie. La crise sanitaire a décuplé les besoins en investissements humains pour tenter d’en limiter les impacts catastrophiques. Ces professionnels ont tout donné. Trop donné !
L’épuisement physique et psychique a été tel que bon nombre de collègues ont pris distance : passage à temps partiel, fuite vers d’autres horizons, ou alors burnout et maladies de longue durée.
Certes, les gouvernements Wilmès et puis De Croo ont mobilisé des moyens budgétaires pour tenter d’améliorer la situation : le Fonds Blouses Blanches et un Accord Social Non Marchand ont donné la possibilité aux institutions d’engager du personnel soignant supplémentaire pour soulager, et d’améliorer quelque peu les conditions salariales. Des Accords ont aussi été conclus au niveau des Régions pour tenter de juguler l’hémorragie.
Malheureusement, sur le terrain, la réalité l’emporte sur les intentions. L’après pandémie n’a en aucune manière été synonyme de repos et de récupération. Bien au contraire, pour au mieux le motif médical de limiter les conséquences des reports de soins lors de la pandémie (avec aggravation des pathologies), mais aussi, dans certaines disciplines, pour compenser les pertes économiques, l’outil hospitalier notamment a relancé une activité intensive de « rattrapage ». Le personnel n’a pas pu suivre.
Politiquement, on ne peut que s’étonner de la stratégie choisie par le gouvernement. Après la tentative d’interdiction professionnelle pour le personnel soignant non vacciné totalement à contretemps, des mesures visant à favoriser les heures supplémentaires et le travail des étudiants ou des pensionnés, la délégation à du personnel non qualifié, … sont autant de mesures amplifiant le sentiment de non reconnaissance. Que les applaudissements sont loin !
L’embauche possible, elle, ne s’est réalisée que partiellement, et souvent par du personnel de soutien, logistique, administratif ou technique. Cela a certes permis de soulager le personnel soignant, mais a aggravé dans le même temps le fractionnement des prises en charge, et donc la perte de sens par l’exécution successive des seules prestations techniques par le personnel qualifié.
Dans les maisons de repos, les milliers de décès ont laissé des cicatrices béantes que les chambres vides maintiennent ouvertes. Le personnel, comme le secteur, vit une crise existentielle. Ni les résidents ni les soignants ne sont enclins à rejoindre un secteur qui a été largement considéré comme négligeable, lors de la pandémie. L’équilibre économique n’y est plus garanti, et la pénurie de personnel soignant menace le financement par non-respect des normes d’encadrement : plusieurs maisons de repos ont déjà mis la clef sous le paillasson.
Les services de soins à domicile, fort consommateurs de personnel infirmier, sont touchés de plein fouet par la pénurie : limitation de l’offre, zones non desservies, délégation à des aidants proches parfois déjà trop sollicités, …tout cela dans un cadre de financement totalement dépassé et inadapté à l’évolution des besoins et des prises en charge.
Les hôpitaux souffrent de pénurie dans de nombreux secteurs. La concurrence fait rage, laissant aux lois du marché tout loisir de se déployer et de permettre à certains l’occasion de profiter de la situation (agences d’intérim spécialisées, firmes d’importation sauvage de main d’œuvre étrangère au détriment des besoins vitaux dans les pays d’origine, …). La tentation est grande de débaucher chez le voisin à coup d’avantages particuliers, créant ainsi une frustration croissante chez le personnel en place… La démotivation grandit. A tel point qu’aujourd’hui entre 2500 et 5000 lits sont fermés par manque de personnel.
Si les secteurs sanitaires ambulatoires et de prévention sont aussi largement impactés, la problématique se fait aussi sentir dans les secteurs social et de l’aide aux personnes.
Concrètement, sur le terrain, les conditions de travail se dégradent, rendant ces professions de moins en moins tenables. Dans le même temps, le cercle vicieux s’accélère par l’effet négatif que cela produit sur l’attractivité pour les jeunes. Alors que l’âge moyen du personnel soignant s’élève dangereusement, le nombre de candidats dans les écoles ne suffira même pas à remplacer les fins de carrière (sans compter les défections et maladies de longue durée).
La question n’est plus aujourd’hui seulement de savoir s’il faut améliorer les conditions de travail du personnel. La question est de savoir si on laisse l’offre de soins à la population se dégrader « naturellement », au niveau qualitatif et quantitatif, ou si le monde politique prend la mesure de la situation. Il y a urgence. La formation d’un.e infirmier.e dure 4 ans. Il serait inadmissible d’attendre la prochaine législature pour agir (avec effet en 2029). Le gouvernement doit prendre des mesures d’urgence, encore en 2023 et adopter un plan pluriannuel visant à donner une réelle perspective au personnel en place et aux jeunes pour qui ces métiers représentent encore un idéal professionnel.
Signataires de la carte blanche :
Yves Hellendorff Secrétaire national Non Marchand CNE
Nathalie Lionnet Secrétaire fédérale Setca
Dubois Eric Responsable Non Marchand CGSLB
Muriel Di Martinelli – Olivier Nyssen Secrétaire fédéral – Secrétaire national CGSP
Véronique Sabel Secrétaire nationale CSC Services publics
Jean Hermesse Président La PASS asbl
Alain Willaert Coordinateur général CBCS asbl
Gras Julien Secrétaire politique MOC
Degryse Elisabeth Vice-Présidente Mutualités Chrétiennes
Jean-Pascal Labille Secrétaire général Solidaris
SKA Marie-Helène Secrétaire générale CSC
Bodson Thierry Président FGTB
Valentin Olivier Secrétaire national CGSLB
Geoffrey Goblet Secrétaire général CG FGTB
Felipe Van Keirsbilk Secrétaire général CNE
Arnaud Levêque Secrétaire fédéral CG FGTB
Tamellini Jean-François Secrétaire général FGTB Wallonne
Nieuwenhuys Cécile Secrétaire générale FdSS
Moens Kevin Medecin Directeur LAMA
Sophie Lanoy Directrice politique LUSS
Schoemann Pierre Administrateur FSIB
Janneke Ronse Présidente MPLP
Polet Fanny Directrice Viva Salud
Mannaerts Denis Directeur Cultures et Santé asbl
Duterme Bernard Directeur CETRI
Savestre Christian POUR et Attac
Dubois Fanny Secrétaire générale FMM
Guy Tordeur Président BAPN
Agoni Cinzia Porte parole et présidente GAMP
Rfalowicz Jérémie Président FASS
Raoul Flies coordinateur LEF-FGE
Anne-Marie Balthasart Présidente CSC-Séniors
Leonard Jean-Marie Ex-secrétaire fédéral Setca NM
Morel Jacques Individuel