La première salle de consommation à Bruxelles : un lieu de soins avant tout

Après une première salle de consommation à moindre risque (SCMR) implantée à Liège depuis 2018, une deuxième a ouvert en région bruxelloise, le 5 mai 2022. Ce dispositif socio-sanitaire se positionne comme une alternative à l’usage de drogues dans l’espace public et offre un cadre sécurisant pour toute personne majeure, consommatrice et dépendante de produits.

Reportage réalisé par Adeline Thollot, CBCS asbl – Août 2022

En ce début août, le soleil est déjà haut dans le ciel, nous éblouissant un peu. À quelques pas de la station Lemonnier, dans une rue résidentielle, il faut s’approcher tout près de l’écriteau pour y lire « SCMR GATE ». Pour un novice, cela ne laisse que peu d’informations sur ce qui se cache derrière ces portes. Bruno Valkeneers, chargé de communication chez Transit, une des asbl porteuse du projet sur le plan psycho-social, nous a déjà donné quelques éléments d’éclairage : le dispositif a été co-construit avec la MASS [1], en charge du volet médical. Un pari ambitieux, au vu des stigmates qui pèsent sur le secteur. Les salles de consommation sont encore souvent présentées comme des « salles de shoot » dans les médias et par les citoyens. Comme pour tordre le cou aux stéréotypes, les initiateurs du projet ont décidé de l’appeler GATE (porte en français), le symbole d’un ancrage vers un mieux-être. Le but : offrir une alternative et amener les gens à consommer dans un lieu sécurisé, avec une équipe pluridisciplinaire de santé, plutôt que dans un lieu qui n’est pas propice à la promotion de la santé et qui augmente les risques liés à l’usage de drogues.

Un leitmotiv : hygiène, respect et sécurité

Alors que nous nous présentons à l’accueil, nous constatons que le décor – pour lequel nous ne savions pas trop à quoi nous attendre – ressemble plutôt à une maison médicale. C’est parti pour un tour du propriétaire, accompagné de Romain De Poli, l’un des éducateurs du dispositif. « Chaque usager qui passe la porte arrive au comptoir d’accueil. Il y a toujours la présence d’un éducateur, d’un assistant social, ou d’une infirmière. On inscrit la personne, via un code permettant de garantir l’anonymat, tout en assurant un suivi du patient. S’en suit un entretien privé afin de retracer le profil de consommation de l’usager », détaille-t-il. Il est important de préciser qu’au-delà de son espace de consommation, la SCMR s’inscrit dans une continuité du soin. Toute personne admise se voit offrir la possibilité de voir un médecin, de remettre en ordre sa situation socio-administrative, de suivre un traitement, de limiter sa consommation ou de se réhabiliter. Le modèle est dessiné pour permettre aux personnes, même les plus exclues, d’exercer leur droit à la santé. Et ce, de manière gratuite : « Si vous n’avez pas de papiers, plus accès à la sécurité sociale ou que vous êtes victime de stigmatisation dans un service d’urgence, on constate un phénomène de non-recours [2]. L’idée de GATE est de s’adresser en priorité aux personnes qui ne consultent plus les services de santé », développe Bruno Valkeneers.

Une fois l’accueil passé, la personne est invitée à patienter en salle d’attente. À l’étage, il y a un deuxième comptoir, qui permet le dispatching vers la salle de consommation ou vers l’espace de consultation médical. Les espaces pour initier des conversations informelles entre usagers et travailleurs de santé ne manquent pas. C’est dans ces moments privilégiés que le travail d’information, de prévention et de réduction des risques prend tout son sens. Dans chaque pièce, un binôme de professionnels est présent. Au-delà de la socialisation, la consommation dans un cadre sécurisé change le rapport au produit : « lors des consommations en rue, la tendance est de consommer le plus vite possible, pour être le moins visible, et ainsi avoir moins de chances de se faire contrôler. Ici, les usagers ont plus de temps pour se poser et préparer », détaille le chargé de communication.

« C’est avant tout un service de soins dans lequel il est possible de consommer, pas l’inverse »

Bruno Valkeneers

Pour les personnes qui le souhaitent, puisque ce n’est jamais imposé, elles peuvent se rendre dans la salle de consommation. Selon un article paru dans la DH, « 12 % des personnes se présentant à GATE, consomment ». Le maître-mot est l’hygiène : des éviers pour se laver les mains, du carrelage et des surfaces en inox pour faciliter le nettoyage. Les usagers qui veulent consommer peuvent le faire via l’inhalation ou l’injection. 4 postes d’injection sont accolés et séparés par une paroi au niveau des yeux pour garantir une certaine intimité. Pour l’inhalation, une grande pièce commune fermée a été installée avec 4 extracteurs d’air puissants pour aspirer les vapeurs des produits consommés. Tout est vitré, permettant ainsi aux travailleurs de pouvoir intervenir en cas de problème. L’infirmerie est accessible juste à côté et permet de pouvoir proposer un soin immédiatement. « On ne va jamais imposer à quelqu’un de voir un médecin. L’expérience nous montre que c’est en créant un climat de confiance, un sentiment de mieux-être que viennent les demandes. On va simplement essayer de susciter cette demande », précise Bruno Valkeneers. Enfin, juste avant la sortie, une salle de repos est mise à disposition, une manière informelle pour le binôme de soignants qui la supervise, de vérifier les paramètres vitaux de la personne.

Des premiers retours positifs

« Dès l’ouverture, les gens sont rapidement venus. Ils se sont d’abord adressés au dispositif pour des questions liées à la santé : soins, accès à l’infirmerie, suivi administratif, etc. », témoigne Bruno Valkeneers. C’est une nouveauté et pour encore beaucoup d’usagers, il y a une certaine méfiance face à un lieu de santé qui autorise la consommation. Au vu de l’impact de la criminalisation, l’enjeu pour les travailleurs est de créer un lien de confiance afin de casser les fausses perceptions que peuvent avoir certains usagers. « On a des habitués, mais on a aussi des gens qui passent une fois seulement, d’autres qui viennent simplement chercher du matériel. Ceci dit, c’est une première accroche. Certaines personnes passent plusieurs fois par l’accueil et au bout de quelque temps, finissent par sauter le pas », complète Romain De Poli.

Quant au rapport avec le quartier dans lequel le dispositif est implanté, plutôt résidentiel, les porteurs du projet ont tout de suite joué la carte de la transparence avec les riverains. Des rencontres avec les habitants et les commerçants ont été organisées en amont et des visites de la salle sont proposées. « La volonté politique est de positionner le dispositif comme une opportunité pour le quartier. Toute consommation qui a lieu ici, est une consommation qui n’aura pas lieu en rue », précise Bruno Valkeneers. La SCMR est en effet une alternative aux scènes ouvertes de consommation et permet indirectement de lutter contre les incivilités, le trouble à l’ordre public ou le sentiment d’insécurité.

Une initiative soutenue par les pouvoirs publics

Si le dispositif était porté par le secteur (représenté par la Fedito[3]), depuis de nombreuses années, GATE a pu voir le jour grâce à une volonté locale. Le dispositif est agréé par Iriscare, initié par la Ville de Bruxelles et soutenu par la Région de Bruxelles-Capitale. Cette SCMR est la deuxième ouverte en Belgique et a bénéficié des retours d’expérience de Saf’ty, le dispositif liégeois, ouvert depuis septembre 2018. « L’objectif est le même entre les deux salles, mais l’usage a des spécificités locales. À Liège, l’héroïne est beaucoup plus présente qu’à Bruxelles. Les scènes de consommation sont aussi plus visibles. A Bruxelles, elles sont plus cachées : parkings, squats, stations de métro », explique Bruno Valkeneers. « L’objectif de toute salle de consommation est d’éviter les overdoses mortelles, ce qui ne s’est jamais produit dans un espace encadré », complète-t-il.

Depuis l’ouverture de la salle à Bruxelles, le personnel de GATE continue de suivre l’évolution de toutes les salles de consommation déjà ouvertes en Europe , une centaine environ. Le débat a évolué dans de nombreuses villes et les pouvoirs publics semblent doucement prendre conscience de l’importance de ne plus invisibiliser cette question de société.

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