De la poudre aux yeux sur fond de victoire féministe

Chez nos voisin·es français·es, on parlait de victoire historique la semaine passée ! Le Parlement a voté pour l’inscription de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) dans la Constitution. À l’heure où le droit à l’avortement est en recul dans plusieurs régions du globe, la France devient le premier pays au monde à protéger ce droit en le rendant constitutionnel. Pourtant, pas question pour les féministes et leurs allié·es de baisser la garde ! Pour garantir cette liberté, encore faut-il que des moyens soient déployés afin de proposer un accompagnement bienveillant, accessible et gratuit, et ce, pour toutes les personnes souhaitant accéder à une IVG. Car comme le disait Simone Veil, en 1974, personne ne « recourt de gaieté de cœur à l’avortement « .

Par Adeline Thollot, CBCS, le 7 mars 2024

Le Parlement français vient d’adopter le projet de loi qui vise à inscrire à l’article 34 de la Constitution que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse« . Une inscription historique, saluée dans tous les médias et par bon nombre de citoyen·nes dans les rues de la capitale française ! Afin de garantir le caractère effectif de cette loi, le gouvernement devra cependant garantir des moyens financiers pour le rendre accessible à tous·tes. Comme le rappelait Salomé Saqué, journaliste pour Blast la semaine dernière sur son compte LinkedIn : « Si E. Macron a soutenu cette modification de la Constitution, sa politique ne favorise absolument pas l’accès à l’IVG. Les structures où l’on peut avorter ferment les unes après les autres. Le Planning familial affirme qu’en 15 ans, 130 centres d’IVG ont fermé leurs portes. Sans parler de la crise plus générale de la santé, et de l’hôpital public, à laquelle il a largement contribué ».

En effet, il convient de rester prudent·e, car dès la première lecture du texte, le terme « droit d’avorter » a été remplacé par « liberté d’avorter ». Cela signifie que les personnes qui avortent ne pourront plus être punies, mais cela n’empêche en aucun cas les décideur·ses politiques de diminuer, à l’avenir, le nombre de semaines de grossesse durant lesquelles l’IVG est permise, en augmentant le délai de réflexion obligatoire ou encore en le limitant aux seuls cas de viols ou d’incestes, par exemple. De plus, les médecins pourront toujours user de leur clause de conscience, en refusant de pratiquer un soin qui serait contraire à leurs convictions, sans besoin de se justifier ni risque de sanction. Le recours à cette clause, couplé à des phénomènes d’accessibilité limitée dans certains « déserts médicaux » [1], crée de grandes inégalités dans l’accès à l’IVG. Les plannings familiaux français réclament la suppression de la clause de conscience des médecins.

Qu’en est-il des personnes ne s’identifiant pas au genre féminin avec un utérus ? Pour rappel, en matière d’accès aux soins, notamment, les personnes LGBT ne sont pas sur un pied d’égalité. Lors du débat radiophonique organisé par l’agence Alter en février 2023, Isabelle Gosselin, travailleuse pour l’Observatoire du sida et des sexualités, précisait que « le vécu des personnes LGBT, de par les violences institutionnelles, agressions, rejets auxquels elles ont dû faire face dans leur parcours, les mène à une certaine appréhension à franchir les portes d’un service de santé. Cela entraîne des freins dans l’accès aux soins et donc un retard dans la prise en charge ». Afin de garantir l’accès à l’IVG à tous·tes, le Conseil d’État a déjà acté que ni l’état civil, ni la nationalité ne feront barrière à l’exercice de ce droit. Si l’article 34 fait référence à la liberté de « la » femme, le Conseil d’État a précisé que cette appellation devait être entendue comme « toute personne ayant débuté une grossesse ».

En Belgique, le droit à l’avortement « n’est (…) pas pleinement effectif, ni complètement dépénalisé », regrette la Fédération laïque de centres de planning familial (FLCPF). Dépénalisé en partie en 1990 dans la loi belge, c’est aujourd’hui la loi du 15 octobre 2018 qui encadre l’interruption volontaire de grossesse. L’IVG est autorisée, et donc pratiquée, sous certaines conditions : intervention avant la fin de la 12ème semaine de conception et respect d’un délai de six jours de réflexion entre la première consultation prévue et le jour de l’IVG. Comme le précise Sofélia, la Fédé militante des Centres de Planning familial solidaires, ces conditions sont cumulatives. Autrement dit, si elles ne sont pas toutes respectées, le·a médecin et la femme ayant eu recours à l’IVG sont susceptibles d’être puni·es d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cinquante à deux cents euros. Et ce, même en cas de viols ou d’incestes.

Au-delà du délai des 14 semaines d’aménorrhée [2], l’IVG ne pourra être pratiquée que lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou lorsqu’il est certain que l’enfant à naître sera atteint d’une affection d’une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic. On parle alors d’interruption médicale de grossesse (IMG). Ce délai du nombre de semaines maximum pour pratiquer une IVG est une des revendications de longue date des féministes qui demandent un allongement de 18 à 20 semaines, en fonction des associations. Cela permettrait à des femmes apprenant tardivement leur grossesse, bien souvent précaires, de pouvoir avorter. Chaque année, des centaines de femmes et personnes avec un utérus se rendent à l’étranger pour une IVG parce qu’elles ont dépassé le délai légal. D’autres doivent assumer « une grossesse, un accouchement et un enfant non désirés » parce qu’elles n’ont pas les moyens (logistiques et/ou financiers) d’aller à l’étranger, dénonce la FLCPF dans une dépêche Belga, en 2023.

L‘allongement à 18 semaines, ainsi qu’une réduction du délai de réflexion à 48 heures et la suppression de l’IVG du droit pénal, étaient sur la table en début de législature. Cependant, la proposition de loi déposée par les socialistes et soutenue par les libéraux, les verts, le PTB et DéFI, soit un très large panel parlementaire, n’a jamais été soumis au vote à la Chambre. Ses opposants (CD&V, cdH, N-VA, Vlaams Belang), en renvoyant systématiquement des amendements au Conseil d’État, ont réussi à obtenir le report du vote de la proposition de loi. Ces discussions ont été suspendues en 2020, lors de la formation de la coalition Vivaldi. Sur insistance du CD&V, il a été convenu dans l’accord de gouvernement de procéder à une évaluation de la législation par des experts. Ce rapport remis par un comité scientifique va globalement dans le sens de la proposition de loi. Mais depuis lors, le dossier n’a plus bougé.

Dans une carte blanche publiée dans le journal Le Soir, le 7 mars 2024, Baptiste Appaerts, avocat au Barreau de Bruxelles, analyse la possibilité concrète d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution belge. En ce sens, « inscrire le droit à l’avortement parmi les autres droits fondamentaux consacrés par l’article 23 de la Constitution permettrait de ne jamais avoir à revenir sur ce qu’il garantit. Concrètement, il serait presque impossible de réduire, à l’avenir, le nombre de semaines de grossesse lors desquelles l’IVG est permise, augmenter le délai de réflexion ou le coût de l’intervention, ou encore limiter l’avortement à des cas bien précis ». Face au peu de garanties de moyens qu’apporte la loi française, la Belgique pourrait, faire preuve d’ambition politique ou pour reprendre les mots de l’avocat : « Aller plus loin et oser l’exception ».

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