Punir l’« Atteinte méchante à l’autorité de l’Etat »… On croirait à une plaisanterie ! C’est pourtant bien de cela dont il est question dans l’article 548, repris dans le texte de réforme du code pénal. Malgré de vives protestations de divers militants, notamment munis d’affiches “Protect the protest” juste avant le vote et une carte blanche signée par un collectif de signataires, dont le CBCS, rien n’y a fait ! La Chambre a définitivement adopté la réforme du code pénal le 22 février 2024. Le nouveau Code pénal entrera en vigueur deux ans après sa publication au Moniteur belge, soit dans le courant de l’année 2026. Avec quelles conséquences sur notre démocratie ?
Par Stéphanie Devlésaver, CBCS, mars 2024
Ce texte, fruit de huit années de travaux, modernise incontestablement une branche du droit qui s’applique au quotidien et qui était toujours régie par un Code conçu en 1867, rappelle La Libre Belgique. La réforme, constituée de 2 livres distincts, a pour mérite d’intégrer toute une série d’avancées conséquentes en matière de droit humain, notamment pour lutter contre la surpopulation carcérale, ainsi que l’inscription du crime d’écocide. Le texte a été approuvé par la majorité le 22 février 2024 : la N-VA, le Vlaams Belang, Les Engagés et DéFI se sont abstenus. Si le PTB a pleinement soutenu le livre 1 qui reprend ces avancées, il a exprimé son “opposition ferme” au livre 2, lequel contient cet article punissant “l’atteinte méchante à l’autorité de l’Etat”. Selon l’élu, cet article permettrait de réprimer les mouvements sociaux.
C’est ce que craint le collectif de signataires issus du monde associatif, universitaire, judiciaire et de la société civile dans sa carte blanche diffusée par le journal Le Soir, le 15 février 2024, quelques jours seulement avant l’adoption de la réforme : dans l’article en question, l’atteinte méchante à l’autorité de l’Etat consiste « dans une intention méchante et en public, à porter atteinte à la force obligatoire de la loi ou des droits ou à l’autorité des institutions constitutionnelles et ce, en provoquant directement à la désobéissance à une loi causant une menace grave et réelle pour la sécurité nationale, la santé publique ou la moralité ». Nous y voyons un risque de criminalisation de la désobéissance civile et des appels à celle-ci », alerte-t-il. Si le collectif salue « l’introduction du crime d’écocide, le recours à la peine de prison en dernier ressort ainsi que l’encouragement à des peines alternatives à celle-ci contenus dans la réforme », il dénonce par ailleurs « les risques et la dangerosité d’une telle disposition pour la démocratie ».
De l’importance de pouvoir « désobéir »
Le collectif rappelle combien « la possibilité d’une contestation du pouvoir en place peut être considérée comme l’une des exigences constitutives d’un régime démocratique. Que cela soit Hannah Arendt, Jürgen Habermas, John Rawls, Bernard Manin, Pierre Rosanvallon, Claude Lefort ou Françoise Tulkens, de nombreux auteurs et autrices voient la désobéissance civile comme un moteur essentiel dans toute société démocratique ».
Quand on parle de désobéissance civile, l’idée est de « transgresser la loi, de façon publique, collective, consciente (au sens d’intentionnel) et non violente, dans un but de dénonciation ou de transformation d’une loi ou d’une politique publique, et ce dans le respect des droits fondamentaux des personnes », précisent-ils. Et de rappeler que « les désobéissants ne remettent pas en cause l’Etat de droit en tant que tel, mais certaines législations ou politiques particulières : ils visent à instaurer un débat public et ainsi, faire vivre la démocratie. Dès lors, non seulement la désobéissance civile est compatible avec la démocratie mais elle en constitue un élément démocratique tout à fait essentiel lorsque les autres voies légales et politiques sont épuisées ».
Ce qui semble être souvent le cas ces derniers temps. La jeune militante pour le climat, Adélaïde Charlier, dans une récente interview au Soir insistait sur cette « grande lassitude [qui] s’est installée [chez les jeunes] et a débouché sur une perte de confiance à l’égard du politique ». Ils auraient perdu confiance dans ce moyen démocratique qu’est la manifestation pour obtenir un minimum d’écoute et d’ambition de la part du monde politique. Selon elle, cela dépasserait les questions climatiques : « il y a un manque d’espace démocratique pour que les jeunes se sentent inclus et écoutés. Résultat : la montée des actions de désobéissance civile et une perte de confiance dans les institutions comme les élections ou dans les outils démocratiques traditionnels comme les pétitions et les manifestations. Je le ressens beaucoup dans mes contacts. La mobilisation se fait désormais hors des institutions et même contre elles ».
Notre dernier dossier de la Revue BIS le confirme. Non seulement les jeunes, mais plus globalement dans l’associatif, on cherche aussi de plus en plus à résister et à agir autrement face à un système qui ne fonctionne plus. Dans l’article « Code Rouge : faire plus que résister climatiquement ? », il est question d’audace et de désobéissance civile, comme « résistance légitime pour faire bouger les lignes ». Collectivement et au nom de la démocratie, même si c’est un crime.