Les prisons : extensions du domaine de la folie

La case prison est un passage plus que probable dans le parcours de l’internement. Parcours précédemment raconté et illustré par les 2 auteurs de cette série d’articles – Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue – tant au départ de la loi que de l’expertise ou encore de la prise en charge au sein de la Clinique de la Forêt de Soignes, là où ils travaillent. Ils mettent cette fois le projecteur sur la case prison… comme extension du domaine de la folie.


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Un jour, Larissa FIODOROVNA sortit et ne revint plus. Sans doute fut-elle arrêtée dans la rue. Elle dut mourir ou disparaître on sait où, oubliée sous le numéro anonyme d’une liste perdue, dans un des innombrables camps de concentration du nord. Boris PASTERNAK,
Le Docteur JIVAGO.

La prison : une mission médicale ?!

Victor Hugo affirmait en son temps que chaque fois que l’on fermait une école, on ouvrait une prison. Lors d’une conférence à Namur, il y a de cela quelques années, le Juge Panier [1], coutumier des phrases chocs rappelait, non sans malice, qu’en Belgique un(e) ministre avait réussi à faire les deux. S’il n’y a pas de raison d’en être fier, certains semblent toutefois s’en accommoder.

Ainsi, à peu près à la même époque que la conférence du juge Panier, j’ai eu l’occasion de rencontrer un assistant de justice, dont j’ai depuis oublié le nom, mais pas les propos … et pour cause.

Ce dernier, docte et sérieux m’expliquait que pour des jeunes arrêtés pour consommation et deal de cannabis la prison pouvait être CURATIVE et PRÉVENTIVE. Curative pour les jeunes eux-mêmes qui auront appris la leçon et ne recommenceront plus et préventive pour les autres qui réfléchiront à deux fois avant de consommer et/ou de dealer.

La bêtise abyssale et la candeur cynique de ces propos appellent quelques commentaires et recadrages, d’autant que les jeunes en question n’ont pas passé quelques heures en cellule, mais plusieurs semaines en prison.

Tout d’abord l’évidence : en aucun cas la détention préventive, donc la prison, n’a une fonction et une mission MEDICALE, faut-il le rappeler. Ce qui questionne et sanctionne l’utilisation par l’Etat belge des annexes psychiatriques comme ersatz de lieu de soin. Tout en interrogeant, au passage, l’utilisation détournée de la détention préventive à d’autres fins que celle décrite dans sa fonction initiale, remplissant nos prisons, et ce parfois pour de longs mois, de détenus toujours présumés innocents, en attente de leur procès.

Ensuite, concernant le chef d’inculpation, il faut rappeler que, parmi les substances illicites, le cannabis a un statut particulier et pour le moins ambivalent en Belgique. Diabolisé par les uns, encensé par les autres, ce produit a été légalisé ou du moins son usage toléré et dépénalisé dans de nombreux pays dont certains états américains, alors même qu’il est toujours strictement prohibé dans d’autres contrées, et parfois même, réprimé sévèrement.

Toutefois, quel que soit le statut juridique de la consommation du cannabis, celle-ci est relativement comparable dans tous les états qu’ils soient permissifs ou répressif. En d’autres termes, le cadre juridique en tant que tel n’a pas d’influence directe sur la consommation. Par contre, la qualité de ce cadre juridique permettra ou non de déployer de manière pertinente la recherche, l’information et les soins des consommateurs en souffrance.

Les jeunes en question revenaient de Hollande avec une vingtaine de grammes qui étaient censés faire leur joie et celle de quelques-uns de leurs amis alors même que le trafic de cannabis, le plus important en quantité, se calcule en TONNES.

Ce bref état des lieux rappelle que l’on ne résout pas des problèmes complexes avec des solutions simplistes et une approche strictement prohibitionniste. La grande majorité des budgets drogues est encore largement dédiée à la répression alors que la prévention, les soins et la recherche ne se partagent que la plus petite part du gâteau budgétaire. Augmenter les budgets recherches, informations, prévention, réduction des risques, voilà une approche résolument CURATIVE et PRÉVENTIVE.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que s’il y a un endroit où la drogue circule en masse, c’est bien en prison et, comme le rappelait un détenu : « en prison, on entre comme simple fumeur de joint et on sort héroïnomane » … voire poly toxicomane, ajoutons-nous.

Bref, loin d’être un lieu CURATIF et PRÉVENTIF, la prison est bien plus une pourvoyeuse de souffrances psychiques pouvant conduire à la folie ou au suicide.

L’expérience de Standford

Le 17 aout 1971, le professeur Philip Zimbardo lance une des plus célèbres et controversées études de la psychologie sociale du 20e siècle avec celle de Milgram sur la soumission à l’autorité.

Il s’agit d’une « recherche psychologique sur la vie en prison ». Zimbardo voulait illustrer l’influence SURDETERMINANTE des circonstances sociales sur les conduites individuelles.

En cela, ces deux célèbres études, Zimbardo et Milgram, se complètent tragiquement : pression sociale et soumission à l’autorité ne sont-elles pas les conditions susceptibles de libérer les pulsions sadiques dormant en chacun d’entre nous, que ce soit au travail, en société, en famille, et … en prison ?

Mais revenons à Zimbardo : suite à une annonce passée dans un journal, 24 personnes sont sélectionnées parmi 75 candidatures pour vivre une expérience de simulation carcérale qui devait durer 2 semaines. Dans l’annonce, il était stipulé que les participants recevraient un dédommagement de 15 dollars par jour tout au long de l’expérience.

Une fois la sélection faite – en étaient exclues les personnalités agressives, perverses, psychopathiques, ainsi que les amateurs d’armes, les policiers, les militaires, les agents de sécurité et bien sûr, les gardiens de prison – Zimbardo a réparti au hasard les 24 personnes en deux groupes, 12 gardiens et 12 prisonniers. Lui-même s’est donné le rôle de directeur de l’établissement. Mais quel établissement ? C’est là que l’expérience revêt un caractère hors norme. En effet, Zimbardo a fait transformer une grande partie du sous-sol du département psychologie de l’université de Stanford, en une copie plus vraie que nature d’une prison.

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Les gardiens recevaient la tenue classique du maton américain incluant des lunettes de soleil pour éviter que les prisonniers ne croisent leur regard. Les prisonniers eux, revêtirent la tenue du détenu que l’on peut voir dans toutes les séries et films américains. Ils sont désignés par un numéro. Enfin, pour rendre l’immersion encore plus réaliste, ces derniers ont été arrêtés à leur domicile par la police, menottés et embarqués, sirènes hurlantes vers la prison factice.

Aux gardiens, Zimbardo leur explique qu’ils pouvaient instaurer les règles qu’ils voulaient tout en s’abstenant de maltraitances physiques.

Aux détenus : comme de bien entendu, il n’a rien expliqué.

Premier constat. Malgré le caractère artificiel de la situation, celle-ci s’est avérée très impliquante pour tous les participants, y compris pour Zimbardo lui-même. Très rapidement, les détenus ont majoritairement parlé entre eux de leur conditions de vie en prison, de leur jugement sur les gardiens et dleur désir d’évasion alors même que les gardiens parlaient essentiellement, lors de leur temps de pause, du fonctionnement de la prison et se plaignaient du comportement des détenus, parfois en les moquant.

Au fil des jours, les prisonniers ont très rapidement fait l’expérience de la déshumanisation, de la frustration, du sentiment d’isolement, du désespoir et de l’apathie que connaissent la majorité des vrais détenus. De leur côté, les gardiens ont tout aussi rapidement déployé le répertoire autoritariste et brutal que l’on peut rencontrer dans une vraie prison en arrivant à insulter et maltraiter les prisonniers. Ah, pulsion sadique quand tu te libères !

Cinq prisonniers durent être relâchés prématurément du fait de troubles sévères de l’adaptation avec perturbation des émotions. L’un d’eux a même déclenché un eczéma psychogène.

De leur côté, la plupart des gardiens semblaient avoir pris goût à leur rôle, devenant de plus en plus agressifs et humiliants envers les prisonniers. Certains d’entre eux toutefois semblaient se délecter plus que d’autres du pouvoir qu’on leur avait confié et trouvaient un énorme plaisir dans l’abus de pouvoir généralisé qui tendait à s’installer. Dès le deuxième jour, une révolte a éclaté suivi d’une répression. Conséquence : plutôt que de durer deux semaines, l’expérience a finalement été arrêtée au bout de 6 jours, la situation devenant totalement ingérable.

Rappelons que tous les volontaires avaient été sélectionnés sur base de tests psychologiques préalables. Au terme de l’étude, il est apparu qu’aucune différence significative n’existaient entre les gardiens plus cruels et les autres, ce qui a amené Zimbardo a dénoncer les conceptions strictement ESSENTIALISTES de la violence – il y a des êtres qui portent le mal en eux – pour avancer une conception SITUATIONNISTE dans laquelle les individus sont aussi et souvent les jouets des situations. En d’autres termes, ce n’est pas tant qu’il y a des « pommes pourries », mais plutôt qu’il existe de « mauvais tonneaux » et s’il en est un de mauvais tonneau, c’est certainement la prison.

La prison : une histoire de mauvais tonneau ?

Imaginez-vous dans une cellule. Neuf mètres carré, ameublement spartiate, pas de miroir au mur – trop dangereux – un lit superposé, et parfois, un matelas à terre. Un évier, une toilette, ouverte, à la vue de tous, voire un seau hygiénique dans certaines cellules des plus vétustes prisons du royaume.

Imaginez-vous y passer 23 heures sur 24. Parfois, seule une petite fenêtre, souvent en hauteur, et partiellement occultée par des barreaux, s’ouvre vers l’extérieur qui s’avère être …la cour de la prison, le préau.

Essayez alors de vous projeter dans ce préau, dont la fréquentation est souvent déconseillée aux jeunes détenus nouvellement incarcérés. Ce préau, supposément lieu de détente, est aussi et surtout, le lieu névralgique de la vie carcérale où les personnes perdent de plus en plus de leur identité d’avant pour rentrer dans le monde psychique du taulard, souvent pour le pire, jamais pour le meilleur. Les premiers épisodes de la série « Orange is the new black » illustrent parfaitement cette transformation mortifère : trafic, racket, échange de drogue, lutte d’influence.

Imaginez alors les visites, une demi-heure à une heure, quelques jours par semaine, dans le meilleur des cas, de la famille et des proches, seule ouverture vers l’altérité dans un océan de solitude.

La famille et les proches qui parfois sont venus de loin et on attendu des heures devant la porte de la prison, et ce, peu importe les caprices de la météo belge, sous le regard méprisant des passants. S’il en est ainsi, c’est parce que lorsque le personnel estime que le quota du jour est atteint, les autres, ceux qui n’ont pas pu rentrer, restent sur le carreau, n’ont plus qu’à battre le pavé et rentrer chez eux en se jurant, la prochaine fois, d’être là encore plus tôt pour pouvoir enfin rentrer dans cette foutue prison. De cela, vous, à l’intérieur, n’êtes pas informés. Soit votre famille est bien là, soit ce sera pour un autre jour…ou pas. Mais avant d’entrer en contact avec vos proches, il faudra que vous soyez fouillés au corps. Rassurez-vous, tout le monde y passe, et vous serez encore fouillé après la visite.

Imaginez encore les odeurs et les bruits qui rythment le quotidien de la prison ; le bruit des clés et des portes qui s’ouvrent et toujours se ferment, les cris de colère ou de désespoir que parfois on entend au loin, mais surtout le silence poisseux et oppressant qui règne en maître.

Imaginez… et là, sachez que la réalité est encore bien pire. [2]

Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, avril 2018

Illustration : Charlotte De Saedeleer

En quelques chiffres [3]

35 prisons en Belgique avec une capacité de 10 028 places pour une présence effective (en 2015) de 11 014 personnes incarcérée = SURPOPULATION

Répartition dans nos prisons :
58.5 % de condamnés – 44.4 % d’étrangers (de plus de 130 pays);
31.7 % de prévenus (soit un tiers) – 16.7 % des personnes incarcérées n’ont pas de permis de séjour en règle;
8.2 % d’internés – 10 % des personnes incarcérées n’ont aucune connaissance des langues véhiculaires. [4]

Santé (uniquement en droit commun)
– Seuls 51.2 % des détenus se disent en bonne santé contre 74.1 % dans la population générale;
-Le médecin spécialiste le plus consulté en prison est le psychiatre;
-43 % des prescriptions médicamenteuses faites en prison sont les psychotropes, contre 11.5 % dans la population générale.

Problème médicaux relatifs à la population incarcérée:
Surpoids 50.5 %
Troubles du sommeil 55.3 %
Suicide et idées suicidaires [5] 86.8 %
Tabagisme 69.6 %
Douleurs 69.6 %

Problèmes médicaux relatifs à la population « normale »:
Surpoids 31.1 %
Troubles du sommeil 22.5 %
Suicide et idées suicidaires 20.4 %
Tabagisme 23.6 %
Douleurs 52.4 %

Autres problèmes majeurs : consommation de drogues, manque de disponibilité des soignants, surprescription et surconsommation de psychotropes, manque du respect de la confidentialité et du secret professionnel, … Et pourtant, « le détenu a droit à des soins de santé qui sont équivalents aux soins dispensés dans la société libre et qui sont adaptés à ses besoins spécifiques » [6].

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