Précarités sociales et de santé (2ème partie) : Action sociale globale, médecins généralistes du social

Exploiter la proximité, créer des liens, donner accès aux droits sociaux fondamentaux… N’est-ce pas là le rôle joué par les 10 Centres d’Action Sociale Globale, ces CASG répartis sur l’ensemble du territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ?


Même si leur sigle peut sonner un rien barbare, ces structures portent effectivement bien leur nom puisqu’elles constituent des « portes d’entrées du secteur social [qui] offrent un service social généraliste permettant l’indispensable accès aux ressources sociales existantes ». Et, précision importante : ces centres sont ouverts à tous et leurs services sont entièrement gratuits. Ils mènent également des actions collectives et communautaires afin de « favoriser la restauration de liens sociaux, la création de réponses collectives et luttent contre les mécanismes d’exclusion sociale et culturelle ». Mais quel public rencontrent ces centres et comment travaillent-ils ?

Premier bénéficiaire : le quartier

« Certaines personnes précarisées qui poussent la porte de notre centre connaissent bien les services sociaux », témoigne d’emblée Caroline Vandermeersch, directrice du Centre de Service Social de Bruxelles Sud Est, situé dans un petit immeuble, à deux pas de la place Flagey. « La plupart d’entre eux vivent prioritairement dans le quartier, et varient selon les transhumances, les pays en guerre, etc. Rarement scolarisés au-delà du primaire, ils n’ont pas d’argent pour se déplacer. Bien souvent, ceux de la porte de Namur n’ont jamais vu les étangs d’Ixelles. Il y a un gros problème d’immobilité des personnes ».

Plusieurs profils de bénéficiaires coexistent : ceux qui sont nés dans la pauvreté, qui connaissent leurs droits mais ont toujours vécu dans le surendettement, faute de revenus suffisants ; d’autres sont des hommes ou femmes, isolés, qui touchent des allocations, mais qui représentent pour certains toute une famille derrière eux. D’autres encore sont des familles issues de l’immigration, en grande précarité et en procédure de régularisation ou régularisées. C’est donc, en partie, le même public que celui d’Aquarelle (lire ici). Des connexions existent entre les deux structures d’aide, mais restent plutôt rares de par leur éloignement géographique. « Aquarelle nous a envoyé un couple pour une recherche de logement et une réinsertion par le travail », se souvient la responsable. Le Centre a effectivement mis en place un système de fonds de garanties locatives qui permet le prêt sans intérêt. Le principe est intéressant, mais difficile à tenir, dans la durée. « On le fait encore, mais pour autant qu’on ait des fonds », précise Caroline Vandermeersch. Face au montant des loyers actuels, la somme à prêter est de plus en plus élevée et son remboursement de plus en plus réduit. « Avant, on nous remboursait 25 à 50 euros mensuellement. Aujourd’hui, c’est plutôt aux alentours de 20 euros maximum. Le remboursement est donc extrêmement lent, étalé sur plusieurs années. Notre fonds ne se reconstitue plus assez rapidement, nous ne pouvons plus répondre qu’à un nombre limité de demandes par an ».

Accès défaillant au logement et à la santé

Faute de moyens financiers, les deux soucis majeurs rencontrés par le public du CASG d’Ixelles sont la santé et le logement : « mal logé, d’office la santé encaisse, résume la responsable. Parfois, nous parvenons à faire tomber des facturations d’honoraires, des intérêts ou la poursuite par des huissiers », explique-t-elle. Mais des parents choisissent de payer en priorité les frais scolaires et de santé de leurs enfants avant de s’intéresser à leur propre santé qui se déglingue… Médecin généraliste, dentiste, opticien passent à la trappe. « Certaines personnes se rendent au magasin des Petits Riens pour tenter de trouver une dioptrie adaptée à leur problème parmi les lunettes disponibles ». Avoir accès au CPAS offre des avantages : frais de transports gratuits, carte médicale, aide à la rentrée scolaire des enfants, aide pour les plaines de jeux, etc. Mais quand ces personnes trouvent un travail, c’est la perte de tous ces avantages et les emplois à temps partiel ne font que précariser encore plus les personnes. Cercle vicieux, quand tu nous tiens…

Que faire alors en termes d’accompagnement ? « Repérer les partenaires spécialisés dans chaque domaine », voilà la force de la première ligne, selon Caroline Vandermeersch. « Nous sommes une aide généraliste de première ligne, comparable à des médecins généralistes du social. Nous essayons de nous entourer au mieux, de construire un réseau. Par exemple, si quelqu’un a un problème avec son bail, nous faisons appel à l’asbl Habitat et Rénovation. Quel que soit la problématique à traiter, nous avons entre 3 et 5 partenaires bruxellois vers qui nous pouvons orienter ou demander conseil. Pour moi, il est important de travailler en partenariat : nous avons tous besoin les uns des autres », insiste-t-elle.

“Collaboration, réseau, partenariat. Tous ces termes sont notre réalité de travail, les synergies sont bien réelles sur le terrain” (lire notre dossier à ce sujet). Les partenaires sont nombreux, différents selon le problème à traiter, l’activité à mettre en place : le CPAS bien sûr, qui a instauré à Ixelles une commission consultative, mais aussi les mutuelles, les maisons médicales, les services de santé mentale, … « Nous travaillons aussi beaucoup avec les associations d’Insertion socioprofessionnelle : elles s’occupent du volet apprentissage et nous prenons en charge la situation sociale de la personne. Le temps de la formation, c’est souvent le seul moment où certaines femmes peuvent sortir de chez elle. Ma collègue a pris l’habitude de fixer ses rendez-vous juste avant ou après le cours d’alphabétisation”.

Travailler à partir des lieux où les gens sont, c’est donc clairement une priorité du CASG. Il a d’ailleurs mis en place une école de devoirs et un restaurant social, ouvert aux gens du quartier. « Cela permet de connaître les gens et de créer de la solidarité. Le restaurant est ouvert à tous, de mi-novembre à mi-mars et a une capacité d’accueil de 40 personnes. Ponctuellement, une convention avec les responsables de certaines occupations de bâtiments à Ixelles ont permis l’accès à 5 personnes en demande de régularisation. La soupe et le pain sont gratuits, le repas coûte un euro ».

De l’utilité de chaque type de structure…

Le constat est fait dans de nombreuses études : les services sociaux ne sont clairement pas répartis de manière logique sur l’ensemble du territoire bruxellois. Ce qui n’empêche pas que ces divers types de structures peuvent coexister de manière positive : certaines grosses associations, type “maison du social et de la santé”, rassemblent de nombreux services en un même lieu et cela a tout son sens. D’autres vont préférer rester à taille humaine. “Depuis 30 ans que je travaille sur le terrain, confie la responsable du CASG d’Ixelles, je perçois les avantages que peuvent comporter le travail social de petite structure : il signifie un accueil à la fois professionnel et flexible qui permet une réelle réactivité face aux diverses situations vécues par les bénéficiaires de nos services. De nouvelles initiatives, tant individuelles que collectives, peuvent être très rapidement mises en place. Toute une partie de notre public n’irait pas non plus s’adresser à une plus grosse structure, aurait crainte de s’y présenter. Conserver une diversité de structures d’aide, c’est laisser aux gens la liberté de choisir les lieux où ils veulent aller », conclut-elle.

Penser global, agir local ?

Pour une visibilité et une concentration maximale des aides de première ligne ou pour un maillage plus libre et plus souple ? Ou tout simplement pour une coexistence des deux formules?… Au-delà de ce débat, une priorité semble se dégager. Que l’on se situe du côté d’un travail de première ligne spécialisé ou généraliste, la nécessité est de travailler à partir des lieux où les gens sont. En effet, dans notre article précédent, Martine Vanderkam d’Aquarelle insiste aussi sur toutes ces structures de quartier – maisons médicales, ONE,… – qui gagneraient à travailler en partenariat, en première ligne. Les deux témoignages de terrain, Aquarelle et le CASG d’Ixelles, revendiquent donc une même approche : la mise en œuvre d’un réseau d’associations sur une base géographique locale, à l’échelon d’un quartier, par exemple. Approche qui se pratique déjà, comme le démontre le travail du CASG et d’Aquarelle, mais aurait parfois avantage à être renforcé et rendu plus visible. « Faciliter et développer le travail en réseau des différents acteurs – notamment sur une base géographique – et la circulation des usagers au sein de ce réseau », il s’agit là également de l’une des recommandations émises par les fédérations des secteurs de l’Action sociale, de la Famille et de la Santé (Cocof), énoncée dans leur rapport intersectoriel 2013. « Le réseautage des travailleurs au sein de leurs secteurs et avec les autres secteurs doit être administrativement facilité », insistent-elles. Comme quoi. Tisser, superposer, resserrer les mailles entre travailleurs sociaux et de santé est bien loin de faire partie de la liste des ‘travaux inutiles’. Un paradoxe reste pourtant d’actualité: si tout le monde s’accorde sur l’importance de travailler ensemble, au-delà de sa structure, les moyens propres aux associations sont très souvent déjà insuffisants pour exercer leurs missions.

Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, 21/10/13

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