REZONE est un réseau de service dans le domaine de la santé mentale actif au sud de Bruxelles. Son objectif : développer une offre de soins en santé mentale cohérente et coordonnée sur cette partie du territoire. [1]3 autres antennes se partagent le reste de Bruxelles : Norwest, Bruxelles Est et Hermes plus. Dans l’imaginaire collectif, coordonner rime souvent avec rigueur, organisation, structure, ligne droite. A REZONE, on explore la polysémie du terme, la multiplicité des pratiques auxquelles cela renvoie. Pour dessiner les contours partagés de cette fonction peu ou mal connue de «référent de proximité ». Avec François Wyngaerden, coordinateur REZONE.
Par Stéphanie Devlésaver –
Accès au rapport de Rézone : « Le coordinateur.trice du réseau de soutien de l’usager, en santé mentale », décembre 2019 sur lequel s’appuie largement cette interview.
BIS : comment travaille REZONE à partir du territoire Sud de Bruxelles, François Wyngaerden ?
Notre rôle est d’être là en support aux diverses dynamiques de quartier. Par exemple, si une commune ou un regroupement de quartiers veut entamer une réflexion ou une action en santé mentale, nous pouvons réfléchir ensemble aux les ressources existantes, transmettre de l’information sur les services disponibles, etc. C’est intéressant de travailler avec les acteurs d’un quartier pour développer des dynamiques participatives. Mais contrairement aux dispositifs Relais Actions Quartier (RAQ) par exemple, nous ne sommes pas en lien direct avec la population, mais bien avec les services : on est là en seconde ligne pour réfléchir les dynamiques de gouvernance, la collaboration, etc.
BIS : L’un des objectifs de REZONE est de faciliter la collaboration de différents professionnels autour des usagers. Comment s’y prend-t-on ?
Quand il s’agit d’accompagner un usager, il ne suffit pas de se connaître entre services pour faire en sorte que cela fonctionne ! C’est pourquoi nous mettons en avant la fonction de « référent de proximité » [2]“Le référent de proximité assure la cohérence des prises en charge dans la durée, palie aux manques du cadre administratif et institutionnel et joue un rôle de médiateur entre l’usager et les membres de son réseau. Puisque sa fonction est provisoire, elle pourra être assumée, à tout moment, par le psychiatre, un proche ou par l’usager lui-même ! Le coordinateur fait office d’intégrateur de complexité et prend à sa charge la tâche de simplifier ou de simplement donner plus de cohérence à l’ensemble”. Extraits du rapport. Le référent de proximité est le premier point de contact pour la personne, responsable de la soutenir pour qu’elle reçoive les aides dont elle a besoin dans un système de soins fragmenté. Des intervenants de tout services assurent cette fonction, à des degrés divers. Certains le font de manière intensive auprès des usagers qu’ils accompagnent. C’est le cas des équipes mobiles. D’autres le font de manière plus ponctuelle.
BIS : Faudrait-il mieux définir ce type de fonction pour la légitimer ?
Oui, ce boulot de coordination, assuré par les référents de proximité, on sait qu’il existe, mais c’est une pratique professionnelle émergente pour laquelle il n’existe a priori pas de consensus ou de description formelle, pour le moins dans le secteur de la santé mentale. A partir de ce constat, REZONE a initié un travail de recherche en s’appuyant sur la parole des professionnels eux-mêmes et de ce type de questions – « qu’est-ce que vous faites et pourquoi vous le faites ? A quoi ça sert ? ». On a sorti un rapport qui décrit les différents aspects du métier et ses caractéristiques-clés. Pour décrire ce travail dans toute sa diversité à partir des intervenants directement impliqués.
BIS : Le rapport montre que la première dimension du travail assumée par un coordinateur ne serait pas du travail de coordination…
Effectivement, le terme « coordination » ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, il renvoie uniquement à une partie du travail effectué – la mise en cohérence du réseau – et pas l’autre partie : l’accompagnement psycho-social quotidien. Le terme de « référent » est mentionné dans notre rapport comme une alternative. Il est de plus en plus utilisé, notamment dans les projets de soins intégrés (maladies chroniques, personnes âgées…). Il prendrait davantage en compte la dimension plus directement relationnelle qui est à l’œuvre dans la fonction : un accompagnement flexible, à l’écoute des besoins de l’usager qui l’inscrit dans une place « à part ».
BIS : Avec quel cadre de travail ?
Sortir du cadre, c’est peut-être là son véritable cadre de travail, pour trouver des solutions inédites ! La possibilité de faire tout ce qui est nécessaire et de ne pas être tenu par un cadre restrictif.
BIS : Si on voit plus clair sur les contours de la fonction, l’ampleur de la tâche peut faire peur !
Surtout qu’elle est accompagnée de toute une série de contraintes extérieures, notamment liées aux logiques politiques et institutionnelles, aux différences de cultures professionnelles. Le case manager peut aussi être confronté aux dilutions de responsabilités face à la démultiplication des acteurs concernés, à l’essoufflement des personnes au fil du temps, … C’est en ce sens que notre rapport souligne la nécessité de développer et de mettre en œuvre des outils de soutien à la coordination comme des plans de crise, des cartes de réseau ou des plans de services individualisés. Il faudrait aussi coordonner l’ensemble des projets de case management qui proposent des outils similaires.
BIS : Comment soutenir le développement d’une telle fonction ?
Il s’agit de soutenir les intervenants qui assument déjà cette fonction, leur permettre d’échanger, de s’entraider et de faire évoluer leurs pratiques ensemble. On a besoin de créer une communauté de pratiques, de réunir ces acteurs de terrain qui font de la coordination autour des usagers. Le but est d’offrir un espace qui permet aux professionnels de discuter de leurs pratiques et des choix qu’ils font, des difficultés qu’ils peuvent avoir. Réfléchir ensemble à des outils qu’ils pourraient mettre en place pour faciliter leur travail.
BIS : Dans les différents cas, ce boulot de mise en lien est indispensable, selon vous…
Se construire petit à petit une identité collective liée à un territoire ne peut se faire tout seul ! Pour que les professionnels se rapprochent et se comprennent progressivement au niveau de leurs pratiques, il faut des espaces qui le favorisent. A l’heure actuelle, c’est un travail qui n’est pas extrêmement cadré, on l’apprend sur le tas. S’il n’est pas pris en charge par l’usager lui-même, ce type de travail est assumé par une grande diversité d’intervenants au sein d’une multitude de services, dont certains seulement ont explicitement cette fonction dans leurs missions.
BIS : Que manque-t-il, selon vous, pour faciliter encore davantage les prises en charge à l’échelle d’un territoire ?
Penser l’articulation entre les dispositifs généralistes et les dispositifs spécialisés. Si certains dispositifs généralistes ont du sens à être organisés au niveau des quartiers, d’autres dispositifs spécialisés devraient notamment veiller au lien entre ambulatoire et hospitalier dont l’articulation reste compliquée.
BIS : la mise en place du Plan Social Santé Intégré [3]le PSSI entend « sur le principe de la justice spatiale, assurer une meilleure accessibilité physique aux services à une échelle locale et à favoriser la continuité de l’accompagnement » tant social que santé. ne devrait-elle pas faciliter la mise en lien de ces différents acteurs ?
Pour le moment, ce n’est pas encore clair. A priori, le rôle accordé aux bassins social-santé [4]Second niveau prévu dans le PSSI qui couvrira un territoire de 300.000 habitants et articulera les acteurs de la santé mentale, de la santé somatique et ceux dédiés aux personnes vulnérables, avec quatre objectifs: fabriquer de la connaissance, renforcer le travail en réseau, créer de la collaboration autour de nouvelles actions et renforcer la prévention. Le premier niveau étant celui des «quartiers», soit des zones de 15.000 à 30.000 habitants à l’intérieur d’une commune. semble être de l’ordre de la facilitation, de l’accompagnement et du développement de projets. A titre d’exemple, les CLSS et RAQ n’ont pas pour vocation de créer de la norme, des lois, des décrets. Ces dispositifs resteraient dans une position de facilitation. Il est cependant possible que des projets se développent aussi à partir de directives régionales voire fédérales ou européennes. Comment articuler une logique qui part des dynamiques de quartiers avec la nécessité d’une politique plus globale qui, à d’autres moments, exigera un travail dans l’autre sens ? Ce sont les défis qui nous attendent !
BIS : Croyez-vous que cette notion de territoire peut améliorer le travail avec les usagers et faciliter l’accès aux droits ?
Oui, c’est même une des idées principales du PSSI et ce pourquoi elle est intéressante ! C’est le territoire qui introduit l’idée de responsabilité collective. Elle est susceptible de nous amener à réfléchir aux besoins de la population d’un territoire, plutôt qu’à ceux des personnes qui arrivent jusqu’aux services.
BIS : Certains services redoutent a contrario d’être forcés d’accepter tout le monde. Et s’ils n’ont pas les moyens de le faire ?
Le politique doit au préalable analyser, faire des choix et puis justement élaborer une programmation pour mettre l’offre adéquate à disposition avec le financement adéquat. Ce serait étrange d’imposer une responsabilité populationnelle sans avoir cette réflexion préalable sur les ressources et sur ce qui est nécessaire.
BIS : Vous restez optimiste par rapport à ce qui se dessine aujourd’hui ?
Sur papier, je suis enthousiaste. Le PSSI, le document en lui-même, je ne vois pas comment on peut être contre. L’ambition est cependant importante : réorganisation du secteur social avec les soins intégrés, participation avec la population, empowerment à l’échelle locale, etc. Beaucoup d’éléments questionnent les structures actuelles. Transformer l’essai ne sera pas simple !