Psy 107 : « des lieux à haute température institutionnelle « 

Pour la plupart des gens, la réforme Psy 107 reste un projet, disons… nébuleux. C’est bien là le nœud du problème, s’exclame L’Autre « lieu » ! D’abord très enthousiaste, l’asbl a peu à peu déchanté : «la réforme reste centrée sur une logique hospitalière alors qu’elle est censée se déployer dans les milieux de vie », résume Aurélie Ehx, chargée de projet au sein de l’association. Interview et éclairages sur la réforme et ses équipes mobiles, à travers un certain regard critique.

BIS+ : Pour L’Autre Lieu [1] que signifie cette réforme ?

Au départ, on ne peut pas s’empêcher de penser au mot « réforme » ; ça n’est pas n’importe quel mot ! Appliqué au champ de la santé mentale, on a envie de se dire que c’est une opportunité de désinstitutionnalisation qui pointe le bout de son nez. Malheureusement, la « réforme » à laquelle on est en train d’assister s’est finalement plus orientée vers un simple processus de déshospitalisation… Au départ des fonctions et des différents projets 107 semble se recréer une sorte de circuit standardisé de soins dans lequel on reproduit des lieux à haute température institutionnelle. Pour nous, cette réforme est une phase d’un processus qui cherche à faire en sorte qu’il y ait des institutions pour prendre soin des gens dans le milieu de vie. C’est intéressant. Mais la transformation, par rapport à ce qui pourrait être réalisé ou inventé reste assez faible. Il y a toujours une dominance énorme de l’hôpital psychiatrique. Il suffit de se pencher sur l’aspect budgétaire : tous les moyens financiers (et donc aussi humains) sont mis du côté de l’hôpital. Quoi qu’on en dise, cela se répercute directement sur les manières de faire et de penser, pas seulement au niveau des professionnels de la santé mentale, mais aussi au niveau du public.

Initier une réforme des soins de santé mentale, c’est se demander que faire quand le mal-être survient ; c’est explorer comment trouver son chemin au sein des différents services ; c’est repérer les ressources susceptibles de nous aider (et celles-ci peuvent être très éloignées d’un circuit de soin stricto sensu) ; mais c’est aussi explorer la manière dont la communauté peut prendre soin de ceux qui, à un moment de leur vie, se sentent plus vulnérables. Le logement, l’emploi, les dispositifs d’insertion, les associations socioculturelles sont des bases essentielles pour reprendre pied en cas de coup dur. Et si c’est important de pouvoir s’appuyer sur des équipes de réhabilitation psychosociale (comme le propose l’une des fonctions de la réforme), faire coopérer les acteurs non spécialisés à des politiques de santé mentale plus inclusives nous semble l’être tout autant.

BIS+ : On poursuivrait donc sur la voie de la médicalisation, de la standardisation…

Disons que pour faire santé mentale, il faut – bien sûr – prendre en compte les soins mais aussi tout un ensemble de déterminants sociaux qui contribuent tant à la prévention qu’à la restauration d’un certain bien-être. Et donc il s’agit de s’appuyer sur un système constitué de l’ensemble des éléments qui contribuent au maintien de l’état de santé mentale des personnes. C’est donc un système plutôt ouvert, un système qui est directement articulé aux actions et organisations socio-culturelles qui sont au cœur de la vie dans le tissu social ; ce sont les associations de quartier de toutes sortes (maisons de jeunes, ateliers culturels, clubs de sport, bars socio-culturels…). En d’autres termes, la santé mentale, ce n’est pas qu’une affaire de blouses blanches.

BIS+ : Selon vous, la réforme ne ferait que déplacer le médical à l’extérieur de l’hôpital. Mais parfois, la médicalisation, l’hospitalisation est la seule accroche possible…

Evidemment. Comme il ne faut pas oublier que certains d’entre nous souffrent de troubles psychiques très sévères qu’il s’agit de ne pas prendre à la légère.
A l’Autre « lieu », Si certains des objectifs de cette réforme nous semblent pertinents (comme le fait d’axer davantage les soins de santé mentale sur la collectivité et de se baser sur les besoins de la personne en partant de son milieu de vie), cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux controverses qu’elle ne manque pas de faire surgir. Dans un monde qui prône les politiques d’activation et sanctionne tout ce qui s’éloigne de la norme, comment appréhender des troubles psychiques d’origine sociale en constante augmentation? Comment permettre aux personnes de trouver leur propre chemin, celui qu’elles auront choisi, au sein d’un réseau préétabli de professionnels? Comment proposer aux gens une métamorphose d’eux-mêmes s’ils sont intégrés dans un dispositif qui les normalise ?

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BIS+ : Quelle différence alors dans votre manière de travailler avec la folie ?

Dans le contexte qui est le nôtre à l’Autre « lieu », on a l’impression que les paradigmes médicaux généraux (l’urgence, la crise, l’aigu et le chronique, le diagnostic, la causalité linéaire, le dossier médical…) semblent, seuls, insuffisants pour aborder une réalité bien plus complexe. Nous pensons que, plus les dispositifs seront multiples et variés, plus les systèmes d’aide et de soins seront décloisonnés, plus de nouveaux espace-temps (moins spécifiques au traitement du trouble mental) pourront émerger, assurer une continuité de présence et permettre le cheminement un peu plus sinueux (mais non moins riche ?) de ceux d’entre nous qui en auront besoin.

Ce qui est important pour nous, c’est de voir quels sont les choses qui sont difficiles pour une personne en souffrance. Cela peut être des rapports difficiles avec les proches, une solitude subie ou compliquée à supporter au quotidien, cela peut être la peur des autres, de leurs jugements, ou de l’indifférence du monde extérieur. Parce que c’est dans ces situations de vie de tous les jours qu’on arrive à comprendre et à déplier un problème. Quand on parle avec les personnes qui fréquentent l’Autre « lieu », c’est dans ces contextes-là qu’ils pensent leurs problèmes. Alors, l’hôpital est une structure intéressante parce que, parfois, il faut mettre une certaine distanciation : cela constitue une option qui peut soulager une personne et son entourage. Mais cela ne doit pas constituer la perspective de travail dominante.

BIS+: On passerait à côté de tout le volet « opérationnalisation sur les milieux de vie ». Mais n’existe-t-il pas tout simplement un manque de moyens pour mener à bien ce processus ?

Je pense qu’il y a à peu près une dizaine de pour cent des moyens (des lits) qui sont impliqués dans la « réforme » actuelle à travers le 107. Ces moyens, ils ont été convertis afin de mettre sur pied des équipes mobiles. Mais la majeure partie des moyens de la santé mentale restent affectés à l’hospitalier. Nous pensons qu’il faut inverser cette tendance. La question n’est pas d’augmenter les moyens généraux en santé mentale mais bien de répartir ces moyens différemment.

BIS+: Intégrer la communauté au niveau politique représente sans doute aussi une gageure…

C’est certain ; ça n’est pas évident mais cela fait émerger de belles questions : comment les populations et leurs autorités locales peuvent-elles prendre en considération les questions liées à la folie et éviter ainsi d’en faire seulement une question de spécialiste ? Comment éviter les stigmatisations à la base de discriminations multiples ? Bon, peut-être que la réponse à ces questions se trouve dans l’accueil des personnes en souffrance dans des lieux généralistes et/ou aspécifiques.

La nécessité d’une éducation générale du grand public au trouble mental se pose d’une manière particulièrement importante dans le cadre de cette réforme. Et la participation de la société à la réflexion peut se faire à travers des lieux d’expériences, au travers d’activités diverses ouvertes à tous où sont prévus des temps de partage des vécus de chacun. Il s’agit peut-être de réactiver les systèmes d’échanges présents dans nos sociétés et de prendre en considération l’apport (sur le plan symbolique) de chacun d’entre nous.

BIS+: Proposer un « aller mieux » au domicile ne permettrait pas à la personne de travailler sur d’autres hypothèses. Cela revient-il à contenir plutôt que libérer ?

C’est ce qui nous préoccupe à l’Autre Lieu : nous avons cette crainte que les gens n’aient plus l’occasion de pouvoir s’aménager leur trajectoire pour pouvoir se transformer.
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Notre boulot, c’est de combattre la limitation de l’autonomie, du gouvernement de soi, la limitation de la responsabilisation des personnes. Si nous voulons opérer une transformation auprès des personnes que nous rencontrons, nous devons explorer les demandes de manière globale et non pas seulement à travers la lorgnette médicale, et revenir à cette question, différente pour chacun : de quoi la personne est-elle preneuse ?

Parfois, cela demande de faire tout un travail sur l’envie parce que certaines personnes sont tellement détruites qu’elles n’ont plus envie de rien. Alors, cela prend du temps. Mais, à un moment donné, ça prend…

BIS+: Face à de tels constats, comment L’Autre « lieu » peut continuer à avancer sans tomber dans une critique stérile ?

Nous avons opéré un retrait que nous pourrions qualifier de « fécond » pour pouvoir conserver une liberté critique ; nous souhaitons pouvoir interroger cette réforme tout en étant des alliés (L’autre « lieu » n’est pas inscrit dans le réseau HermesPlus de la réforme Psy107, mais soutient certains de leurs projets, ndlr). Depuis le début de l’Autre « lieu », la structure a toujours été à la recherche d’autres moyens d’agir : comment penser autrement les façons de concevoir le soin de santé mentale ? Comment travailler autrement avec nos membres ? Comment travailler le malaise psychique au départ d’un principe d’incertitude ?…

A nos yeux, l’intérêt de cette réforme est d’en faire autre chose, moins prescriptif, plus inventif. Nous détectons un grand nombre d’éléments qui ne nous séduisent pas, mais nous espérons qu’il est encore possible de redresser la barre, que rien n’est encore complètement figé.

Interview réalisée par S. devlésaver, CBCS asbl (le 7/04/2015), avec la précieuse collaboration de Aurélie Ehx, L’Autre « lieu ».

BON A SAVOIR, BON A LIRE !

En tant que service d’Education permanente, l’Autre « lieu » développe et soutient des initiatives qui concourent à éviter l’abandon des personnes en souffrance psychique ainsi que leur stigmatisation. Il fait le pari que ces personnes puissent, autant que possible, reprendre en main leur propre vie et leur place de citoyen dans la Cité. Ainsi, la créativité culturelle et sociale, des recherches-actions en santé mentale et des campagnes d’information participent de ce processus qui vise aussi à sensibiliser un large public, les professionnels et les décideurs politiques.
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