Suite aux réflexions menées autour de la médiatisation des questions sociales, à la fois lors du colloque “Arrêt sur images” d’Espace Social Télé-Services et au fil de la publication du CBCS – BIS n°175/2017 “A quoi bon ? Médiatiser le social” , le CBCS organisait une Rencontre-débat intitulée “médiatiser le social, au delà du fait divers” (fin novembre 2017). Retour sur quelques éléments propices à la réflexion, individuelle ou collective.
Pour rappel, les invités étaient Edgar SZOC, chroniqueur (RTBF) ; Véronique FIEVET, journaliste radio (RTBF) ; Céline NIEUWENHUYS, secrétaire générale de la FDSS(Fédération des Services Sociaux) et Marie DAUVRIN, chercheuse (KCE et UCL).
“Pour nous, la priorité, c’est le travail social, rappelle à l’entame de la discussion, Céline Nieuwenhuys (FDSS), mobiliser la presse, c’est en dernier recours”. Résultat : “la plupart du temps, on lance un communiqué de presse en dernière minute et on attend de voir ce qu’il se passe, poursuit-elle, en toute franchise. Au-delà de ce premier aveu, il y a aussi ce constat d’amour-haine entre travailleurs sociaux et journalistes : les uns souhaitent sortir de l’histoire individuelle des gens tandis que les autres veulent accrocher les lecteurs et/ou auditeurs avec du “je”. Du côté des chercheurs, même rapport ambivalent aux médias : si la frustration se fait sentir quand le petit détail marginal et non représentatif d’une étude est mis en avant, Marie Dauvrin, chercheuse (KCE et UCL), reconnaît avoir besoin de leur soutien. « Très souvent, un chercheur doit à la fois défendre son travail de recherche et en assurer la communication, d’autant plus quand l’étude porte sur des populations marginales… Or nous n’apprenons pas à vulgariser, nous avons besoin d’un traducteur pour conserver la complexité des éléments de l’étude tout en la simplifiant”.
Quelle est mon intention médiatique ?
“Ce n’est pas toujours la volonté de déshabiller la société que de chercher l’individu derrière le fait, se défend Véronique Fievet (journaliste RTBF), mais c’est ce qui fonctionne : la dénonciation, l’indignation individuelle. En 1 minute 20, à savoir 12 à 14 lignes par sujet radio, il n’y a pas énormément de miracle en dehors de cette option ! Ou alors, il faut s’orienter vers un autre créneau que l’information quotidienne”… A titre d’exemple, l’émission radiophonique “Transversales” (le samedi, entre 12 et 13h, sur la Première) laisse place à des sujets sociaux, dans un plus long format. Et pour ce type d’émission, les contacts ne se prennent pas forcément dans l’urgence… La journaliste souligne aussi l’importance d’être au clair avec sa demande de médiatisation : “quelle est mon intention quand je contacte un journaliste ? Médiatiser un événement ? Un fait d’actualité ? Ou proposer d’appréhender la question sociale autrement ? Parler des phénomènes de pauvreté avec justesse ?… Ce qui induira, incontestablement, un format différent. Un format plus long.
Paradoxalement, Edgar Szoc, chroniqueur sur la Première, souligne combien il dispose, sous l’angle de l’humour, de plus de temps d’antenne qu’un journaliste d’information pour aborder un sujet d’actualité. Ce qui n’empêche pas qu’il s’appuiera plus volontiers sur un socle de connaissances partagées pour pouvoir faire rire plus rapidement. Par exemple, une blague sur la dernière directive européenne fonctionnera moins bien de par sa nécessité de contextualisation, contrairement à une histoire sur l’un ou l’autre politicien dont tout le monde aura déjà entendu parler… Il existe donc bien aussi une pression tacite à faire du chiffre, un nivellement par le bas. Auquel il tente de résister : “une chronique réussie, selon moi, sera celle basée sur un sujet qui n’aurait pas été évoqué et relayé ailleurs”, confie-t-il.
Faire exister les silences du social
La RTBF resterait un média privilégié pour le traitement des questions sociales. Même si, Edgar Szoc le rappelle avec beaucoup de justesse, le système socioéconomique dans lequel est pris, malgré lui, le journaliste (précarité de la profession, soumission aux impératifs de la rédaction, position inconfortable qui n’amène pas à prendre des chemins de traverse,…) le place entre le marteau de son idéal professionnel et l’enclume de sa hiérarchie. Et il poursuit : “une des missions du journaliste serait d’aller chercher les silences du social. Comme par exemple, donner une voix à ces 5% de la population non scolarisée à Bruxelles (environ 5000 jeunes). Personne n’en parle parce que les parents de ces jeunes n’ont pas la possibilité de faire exister cette question comme un problème politique (lire à ce sujet article de J. Moriau ici). Même cas de figure pour les détenus dans les prisons, etc.
“Mais comment a-t-on accès à cette information silencieuse?”, s’interroge Véronique Fievet. Pour Sandrine Warsztacki, rédactrice en chef d’Alter Echos, une piste à explorer est celle des médias participatifs (en savoir plus sur Alter Médialab), notamment parce que le journaliste a lui-même besoin de rencontrer des témoins, de rester en contact avec les personnes dont il parle. Et pas seulement entendre leur voix à travers celle des associations ou d’autres intermédiaires.
Repolitiser le travail des uns et des autres…
Trouver de nouvelles formes de rencontres entre journalistes et premiers témoins des problématiques sociales, prendre le temps du lien, de la vraie rencontre… Peut-être avons-nous, en tant que professionnel du social, un rôle à jouer dans ces espaces à créer; dans cette autre parole à co-construire sur la pauvreté ? Parler de la pauvreté, non pas comme un état irrémédiable, mais bien comme « un processus qui ressort d’une responsabilité collective » pour reprendre les mots de Jean Blairon dans sa dernière analyse (Intermag, janvier 2018). Sur le site d’Alter Echos, une récente interview d’un sociologue ayant participé à une étude sur la perception de la pauvreté des classes supérieures révèle que “l’idée qu’une distribution injuste des richesses produites par nos économies [pourrait] être l’une des causes de la pauvreté et des moindres opportunités de réussite dont pâtissent les classes populaires n’est jamais évoquée par les interviewés” [1]“Ce que les riches pensent des pauvres” de Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti et Jules Naudet, Seuil, 300 pages, 23 euros. Interview à découvrir sur le site d’Alter Echos. La route est encore longue pour réduire les amalgames entre lutte contre la pauvreté et lutte contre la fraude sociale; entre travail social et contrôle… (Lire ici l’analyse de J. Fastrès, Intermag, janvier 2018).
Si la nécessité de s’adresser aux médias généralistes n’est pas tranchée, l’idée de s’impliquer davantage dans la diffusion d’un certain discours sur la pauvreté, elle, fait son chemin : « Nous devons faire un pas en avant sur les questions de communication, être plus proactifs et tisser des liens de confiance avec des journalistes”, affirme la FDSS, “mettre un peu d’énergie pour diversifier les porte-paroles des questions sociales”. Et, ajoute Espace Social Télé-Service, “recréer des collaborations entre journalistes, chercheurs, intervenants sociaux pour réalimenter le travail des uns et des autres, voire le “repolitiser”.
Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl (19/01/2018)
A lire et/ou relire, sans modération
– Arrêts sur images : une autre parole politique et médiatique sur le social ? (novembre 2017)
– revue BIS n° 175/2017 : “Médiatiser le social… “