En 2018, 3908 ménages locataires bruxellois ont été frappés par un jugement d’expulsion, soit une moyenne de 11 expulsions prononcées chaque jour de l’année. Les autrices et auteurs du 176e numéro de Brussels Studies présentent les résultats de leur recherche sur les expulsions judiciaires, sur fonds d’inégalités spatiales, où les expulsions concernent majoritairement les quartiers au Nord et à l’Ouest de la ville.
Dans une enquête récente consacrée à l’expulsion domiciliaire en France, la Fondation Abbé Pierre révèle qu’un à trois ans après une expulsion, un tiers des ménages n’a toujours pas retrouvé de logement et vit dans une forme d’habitat précaire, temporaire ou à la rue. Alors que les difficultés d’accès au logement à Bruxelles sont bien connues, on sait peu de choses de celles et ceux qui ne parviennent pas à conserver le leur. Combien d’expulsions ont lieu annuellement en Région bruxelloise ? Sont-elles géographiquement concentrées dans la ville et qui touchent-elles ? Grâce à plus de mille heures de récolte de données dans les archives des justices de paix, les autrices et auteurs du 176e numéro de Brussels Studies ont réalisé pour la première fois un inventaire exhaustif des jugements d’expulsion prononcés sur une année complète (2018). L’article présente les principaux résultats chiffrés d’un projet de recherche mené par des chercheur·e·s de l’Université libre de Bruxelles (Pernelle Godart et Mathieu Van Criekingen, IGEAT) et de la Vrije Universiteit Brussel (Eva Swyngedouw et Bas van Heur, Cosmopolis Centre for Urban Research).
En 2018, 3908 ménages locataires bruxellois ont été frappés par un jugement d’expulsion, soit 13 ménages locataires pour 1000. Ce taux équivaut à une moyenne de 11 expulsions prononcées chaque jour de l’année. Encore ne s’agit-il là que d’une partie des expulsions, à laquelle il faut ajouter les expulsions administratives (pour lesquelles on ne dispose d’aucun dénombrement officiel) et les expulsions illégales, par essence très difficiles à quantifier. La grande majorité des expulsions judiciaires répertoriées concerne des logements loués sur le marché privé (81 %) et a pour motif des arriérés de loyer (86 %) d’un montant médian de 2 900 €. La plupart des locataires quittent le logement sous la contrainte du prononcé d’expulsion. Dans 15 % des cas cependant, l’expulsion est exécutée par recours à la force publique (huissier, policier, serrurier, déménageur). Si les profils de ces ménages expulsés demeurent mal connus, il apparaît très vraisemblable que de nombreux enfants et personnes nés à l’étranger se trouvent parmi ceux-ci. De plus, la répartition spatiale de ces ménages expulsés indique une prévalence accrue du problème dans certains quartiers populaires du centre de la ville, ainsi que dans bon nombre de quartiers intermédiaires de seconde couronne. Les quartiers aisés du sud et de l’est de la Région affichent, eux, les taux d’expulsion les plus bas.
Alors que la situation économique s’est encore dégradée pour les plus précaires depuis le recensement ici présenté et alors que les autorités régionales bruxelloises débattent de l’instauration d’un moratoire hivernal sur les expulsions de logement, la question des chiffres est plus que jamais centrale. Pour les autrices et auteurs, mieux définir et quantifier les situations d’expulsion est crucial, car celles-ci révèlent avec force les multiples tensions et inégalités présentes sur le marché du logement. A Bruxelles, le ressort structurel des expulsions de logement est moins des loyers impayés que des loyers impayables pour une part croissante des Bruxellois·es