La Clinique de la Forêt de Soignes : une folle histoire !

Ce second article de notre série « L’internement comme trajectoire pénale » s’attache cette fois à l’histoire de la Clinique de la Forêt de Soignes, lieu de travail des auteurs de cet article – Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue. Ce regard jeté sur le passé permet de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement. Et comment l’espace – bien plus que de simples murs – joue un rôle essentiel dans la réflexion et la prise en charge autour de ces patients et invite les professionnels de la santé mentale à réinventer leurs pratiques.

Pourquoi parler de l’internement comme trajectoire pénale ?

« Notre réalité de terrain nous a donné envie de partager notre modeste expérience dans la prise en charge des personnes internées et, par ce biais, d’en découdre avec certaines idées reçues. Ainsi nous avons fait le constat que la mesure d’internement n’était en rien une échappatoire à la prison ni une non-réaction de la justice belge, mais bien une trajectoire pénale sensée être à mi-chemin entre le juridique et le soin. Cette série d’articles prend naissance dans notre pratique clinique quotidienne avec des personnes internées libérées à l’essai à l’Unité Baobab de la Clinique De la Forêt De Soignes. Cette pratique est elle-même influencée par l’histoire de cette clinique peu commune que nous proposons de vous raconter ici. » Virginie De Baeremaeker, psychologue. [1]

Article 2 : La Clinique de la Forêt de Soignes : une folle histoire !

« On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où on va » (Chistophe Colomb)

Il était une fois, une histoire folle, une histoire de fous.
Après que la Directrice Générale de la Clinique Docteur Dersheid soit venue, courant 2006, me proposer de quitter le confort, certes tout relatif, du service de Psychiatrie d’un grand hôpital du Brabant Wallon que je dirigeais à l’époque pour piloter un nouveau projet à Dersheid, je fus pour le moins perplexe.
Dersheid ?! Cette énigme nichée au cœur de la Forêt de Soignes qui invitait à rejoindre une plaque signalétique « Dr. Dersheid », que tout navetteur empruntant le ring de Bruxelles a dû croiser mille fois du regard.
Dersheid ?! Cette clinique qui a fait les beaux jours et les fous-rires de feu l’émission humoristique phare de la première chaine radio de la RTBF, « Le jeu des dictionnaires ».
Dersheid ?! Cette clinique que tout le monde de la santé mentale connaissait sans savoir si elle existait vraiment.
Dersheid ?! Cette clinique dont on ne savait plus si elle était gériatrique ou psychiatrique.
Le deal était le suivant : « Je te donne 90 lits et tu y construis un projet thérapeutique psychiatrique cohérent, innovateur, avec carte blanche totale ». Indubitablement, cela méritait une petite visite.

Alors, j’ai fait ce que peu de gens ont fait, quitter la routine du ring pour suivre le fameux panneau « Dr. Dersheid ». Ensuite, j’ai emprunté la contre-allée qui mène au chemin du sanatorium car, oui, historiquement, la Clinique était, au départ, un sanatorium accueillant des patients souffrant de tuberculose, maladie endémique au début du XXème siècle. Le chemin s’engage dans la Forêt de Soignes pour aboutir au domaine de la clinique proprement dit.

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La clinique comporte deux bâtiments principaux, le plus ancien inauguré en 1905 à l’allure d’un décor de cinéma – ce qu’il a d’ailleurs été à l’occasion entre autre du tournage d’Oscar et La dame rose et du Huitième Jour. Il fit office, dans un premier temps, de sanatorium pour hommes avant d’accueillir, dans les années septante, 60 lits psycho-gériatriques sous le nom de Pavillon Laennec. Aujourd’hui, ce pavillon est vide et rendu à la nature et à la Région Wallonne, propriétaires des lieux.

En poursuivant mon chemin, je croise sur la gauche une chapelle érigée en 1935 par une grande famille donatrice. Puis j’aperçois, au bout de la route, le bâtiment le plus récent, inauguré dans son architecture actuelle en 1937 et qui héberge actuellement la Clinique de la Forêt de Soignes.

Le docteur Derscheid, pas qu’un mythe !

A cette époque, en 1937, les pavillons Vésale et Laennec constituaient le sanatorium : « Les Pins ». Ce sanatorium était dirigé par le Docteur Gustave DERSHEID (1871-1952) et administré par l’ASBL ANBCT . Cette association créée en 1923 est toujours aujourd’hui l’ASBL faitière de la Clinique de la Forêt de Soignes au sein de Silva Medical.

Première révélation, le Docteur Derscheid a bien existé et n’était ni aliéniste, ni psychiatre, mais pneumologue spécialiste de la tuberculose et collègue et contemporain entre autre du célèbre Docteur Bordet dont un hôpital Bruxellois porte également le nom.

Non content de diriger la clinique, le Docteur Dersheid a également, durant la guerre 1940-1945, ferraillé avec les autorités Nazi pour protéger de la famine et de l’abandon les patients de sa clinique et ce, sans jamais faire d’aucune sorte allégeance au régime Nazi ni collaborer de quelque manière que ce soit avec les occupants. Il fut même, avec son épouse, brièvement incarcéré. Avec d’autres, il négocie le maintien de soins dignes pour les patients et obtient même qu’un timbre soit émis par la poste pour subsidier la lutte contre la tuberculose avec l’aval des autorités allemandes. Ce qui ne manque pas de piquant quand on sait que le logo de la lutte contre la tuberculose est la croix de Lorraine qui est aussi le symbole du Général De Gaulle et de la Résistance Française. Ce qui semble avoir totalement échappé aux autorités Allemandes.

Le Docteur Dersheid meurt le 11 janvier 1952, au moment où les antibiotiques annoncent la victoire contre la tuberculose qui signe également la fin des sanatoriums et le début du traitement ambulatoire de cette maladie.

A l’aube d’une nécessaire réorientation de la clinique, celle-ci fut rebaptisée « Clinique du Docteur Dersheid », nom qu’elle portera jusqu’en 2011, année où j’ai, avec beaucoup de complicité, « tué le Père » et rebaptisé l’institution du nom actuel de la Clinique de la Forêt de Soignes. Mais ceci est une autre histoire.

Une clinique « dépaysante » et décalée…

J’entre donc dans le Pavillon Vésale. La première impression, outre la beauté époustouflante de la Forêt, est le sentiment de calme et de sérénité. Ensuite, c’est l’extrême propreté des lieux qui leur donne plus un côté vintage que vieillot et, surtout, la grande gentillesse de tout le personnel soignant que j’ai pu y rencontrer. Bref, plus qu’un choc, ce fut un contraste, un dépaysement total par rapport à la cohue et au stress inhérent de l’hôpital général qui faisait, à l’époque, mon quotidien.

Je fus accueilli par la Directrice Générale, la Directrice Médicale et le Président du Conseil d’Administration de l’ANBCT de l’époque, le Docteur Raoul Titeca.
Tous trois me confirmèrent le deal : « Tu viens travailler chez nous et tu auras carte blanche pour construire un projet psychiatrique avec les 90 lits dont dispose la clinique ». La perplexité a complètement disparu pour faire place au désir de relever le challenge. J’ai rapidement décidé de donner ma démission de Chef de Service de Psychiatrie. Cette décision a laissé perplexe mes collègues et le Directeur Médical et Général de la Clinique que je quittais. Après un préavis presté en bonne et due forme, j’intègre mes nouvelles fonctions le 1er septembre 2007.

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Et que s’est-il passé pour la Clinique Dersheid entre l’éradication de la tuberculose et mon arrivée à la tête du département psychiatrique ? Entre 1955 et 1975, les sanatoria de l’ANBCT connaissent une situation difficile. Le traitement ambulatoire de la tuberculose a rendu leur rôle marginal. En 1975, la clinique du Docteur Derscheid disposait toujours de 219 lits. Malgré une première évolution qui a permis de transformer une partie des lits en service de revalidation cardio-pulmonaire, les autres lits, toujours dédiés à la tuberculose étaient chroniquement sous-occupés. Il fallait être lucide, les sanatoria étaient voués à la disparition. Leur existence même était remise en question par le ministère de la santé publique. Il fallait réagir, ce que firent les administrateurs qui sollicitèrent l’aide de leur fédération hospitalière. Celle-ci répondit présente et un nouveau conseil d’administration fut mis sur pieds sous la direction du célèbre Docteur Wynen, chirurgien patron de la Clinique de Braine l’Alleud et grand défenseur de la profession médicale face à l’Etat.

L’implication du Docteur Wynen était très probablement liée au fait qu’il a lui-même, à la sortie du camp de concentration de Buchenwald, souffert d’une tuberculose pulmonaire grave qui l’a cloué deux ans au lit dans un sanatorium après la guerre.
Sous l’égide du Docteur Wynen un plan de reconversion solide a vu le jour. Dersheid deviendra progressivement un centre de revalidation cardiologique, polypathologique, locomoteur mais également psychiatrique, la clinique accueillant 90 lits de psychiatrie. Ces fameux 90 lits qui me seront confiés dès 2007.
Après avoir en quelque sorte ressuscité l’institution, le Docteur Wynen cesse ses activités et cède la main. C’est le Docteur Raoul Titeca, psychiatre et gestionnaire – et oui ce n’est pas incompatible-qui reprend la direction du conseil d’administration en 1998. Il décide de solliciter l’implication des grandes familles industrielles qui ont lancé l’aventure au début du XXème siècle dont la famille Solvay.

La clinique reprend son développement mais subit les conséquences de la régionalisation. Désormais, le site appartient à la Région Wallonne qui classera le domaine en site Natura 2000. Concrètement, cela représente certains bienfaits pour la nature mais cela implique qu’aucun développement de la Clinique ne sera désormais possible sur ce magnifique site naturel. Le conseil d’administration cherche un nouveau lieu pour construire une clinique moderne dans la région de Wavre. L’ANBCT achète au CPAS de Wavre les 95 lits de revalidation du Champs Sainte-Anne qui s’ajoutent à ceux de Dersheid. En 2007, au moment de mon arrivée, il était déjà clairement question de faire déménager les lits de médecine somatique et de revalidation de Dersheid vers Wavre où ils fusionneraient avec les 95 lits du Champs Saint-Anne dans ce qui deviendra la Clinique du Bois de la Pierre. Il ne resterait alors, sur le site de Dersheid, que les 90 lits de psychiatrie, majoritairement occupés par des patients psycho-gériatriques.

De la psychogériatrie à la psychiatrie

Mon arrivée et la mise en place du nouveau projet psychiatrique s’inscrivent indubitablement dans une nouvelle et vaste réorganisation rendue nécessaire, comme les précédentes, par l’évolution du paysage médical social et politique du pays.

Petit à petit, les choses prennent forme avec la collaboration, souvent enthousiaste, parfois inquiète, de tout le personnel. Nous décidons, au fur et à mesure, de transformer les 4 unités orientées psychogériatrie en unités de psychiatrique centrées sur les problématiques de santé mentale non ou trop partiellement prises en charge dans le Brabant Wallon avec l’objectif de nous inscrire de manière beaucoup plus lisible dans le réseau psychiatrique et de Santé Mentale du Brabant Wallon et, plus largement, de la Fédération Wallonie Bruxelles. Savoir-faire et faire-savoir constituaient la base de nos objectifs indissociables.

A l’aube du déménagement des patients somatiques vers la Clinique du Bois de la Pierre, nous disposions de 4 unités : une de psychiatrie générale, une d’alcoologie, une de prise en charge des patients psychotiques et pathologie apparentée et une unité de psycho-gériatrie.

Une fois la Clinique du Bois de la Pierre inaugurée, le moins que l’on puisse dire est que le site de Dersheid fut étonnamment vide et silencieux. Les 90 lits occupaient désormais un espace initialement dédicacé à près de 160 patients.

Ces grands espaces vides nous ont donné des idées et nous ont amené à retravailler le projet thérapeutique en tenant compte de l’espace libre et du relatif isolement de la Clinique « perdue au milieu de la Forêt de Soignes ». Plus encore qu’avant, il devenait vital de développer des réseaux de collaboration tant avec les structures de réseau de santé mentale qu’avec les hôpitaux généraux de la région, sans oublier de maintenir un lien avec la Clinique du Bois de la Pierre désormais à une petite demie heure de route, du moins, quand la circulation le permet. La Clinique du Bois de la Pierre et la clinique Docteur Dersheid sont regroupés sous le nom barbare de CHRPBW.

Le projet psychiatrique s’est affiné, nous avons, en deux temps, supprimé toute référence à la psychogériatrie en augmentant les lits de l’unité d’alcoologie et de l’unité pour patients psychotiques. Mais, surtout, nous avons, avec l’appui total et enthousiaste de la Direction et du Conseil d’Administration, créé un hôpital de jour, disposant de 17 places. Le projet étant bien structuré, chaque unité fut baptisée en lien avec cette chance inouïe que l’on a de travailler au milieu des bois. L’unité de psychiatrie générale porte désormais le nom de Nemos, l’unité d’alcoologie d’Aubier, l’unité pour patients psychotiques se nomme Baobab et l’hôpital de jour, dès sa naissance, porta le nom de Renouée.

Le temps était venu de tuer symboliquement et définitivement le Père et de changer, une nouvelle fois, le nom de l’institution. C’est ainsi, qu’en 2011, à l’occasion de l’enregistrement d’une des dernières émissions « Le jeu des dictionnaires », nous avons décroché le panneau « Dr. Dersheid » qui aujourd’hui trône dans mon bureau entre un portrait de Serge Gainsbourg et un calendrier à l’effigie de Bob Marley, pour le remplacer par celui de la Clinique de la Forêt de Soignes. Entre temps, le Conseil d’Administration est resté actif et, à la faveur de la régionalisation des soins de santé, a accueilli en son sein la Clinique du Scheutbos, hôpital gériatrique situé à Bruxelles.

Suite à cela, le nom barbare et éphémère de CHRPBW fut remplacé par l’actuel Silva Medical.

Quelle histoire !

Tout semblait enfin stable. Fini le sanatorium des Pins, le Pavillon Laennec, le Pavillon Vésale, la Clinique Docteur Dersheid et le CHRPBW. Ne reste plus que l’ANBCT, toujours présente bon pied bon œil depuis 1923 et Silva Medical avec ses 3 sites : Bois de la Pierre, Forêt de Soignes et Scheutbos.

Tout semblait calme disais-je, du moins, jusqu’au jour où la Directrice Générale, cette-fois, de Silva Medical mais toujours la même personne, entra dans mon bureau …

Docteur Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker
Psychologue clinicienne
, Clinique de la Forêt de Soignes, novembre 2017

La suite, dans le prochain épisode du mois de décembre !

Illustrations : Charlotte De Saedeleer

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