L’internement : mieux comprendre, se comprendre, décloisonner…

A l’initiative de deux professionnels de la santé mentale, Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, le CBCS diffuse une série d’articles sur l’internement en Belgique, comme trajectoire pénale (et non comme mesure de protection), souvent mal connue.


Avec, entre autres, ces questions : être interné pour échapper à la prison ? Tous fous? Tous dangereux ? Un parcours d’internement, c’est quoi exactement ? Quels dispositifs de soins existent en aile psychiatrique ? Que deviennent les personnes internées une fois dehors ?, etc. Objectifs de ce partenariat rédactionnel (pour collaborer avec le CBCS, voir ici) : aller au-delà des idées reçues et pourquoi pas, favoriser la concertation entre soins hospitaliers et ambulatoires… En effet, face à une désinstitutionalisation croissante des soins – l’hôpital oriente toujours plus et de plus en plus vite ses patients vers les services extérieurs -, les professionnels du social et de la santé ont tout intérêt à créer des liens, à mieux comprendre les logiques dans lesquelles sont pris médecins, psychiatres, psychologues, juges,… pour tenter de parler une langue commune au service du patient.

Articles déjà parus :

Surveiller et perscrire – octobre 2017 – à lire ci-dessous.
Y-a-t-il un quelconque intérêt pour un criminel à se faire interner ? « Cela va vraisemblablement arrêter les poursuites »… Nous semblons, pour la plupart d’entre nous, animé par l’idée que l’internement permettrait d’échapper à la prison, voire à la justice, cette idée reçue crée souvent dans l’opinion publique et dans le vécu des familles un énorme sentiment d’injustice mêlée à de l’insécurité. On s’interroge parfois sur la raison pour laquelle certains auteurs de crimes parfois violents s’en sortent « si facilement » et justice est dans ce cas bien fortement réclamée. Il semblerait donc que plaider la folie soit une bonne tactique pour passer entre les mailles du filet d’une justice répressive. Et cette rumeur a la peau dure.

La Clinique de la Forêt de Soignes : une folle histoire ! – novembre 2017
Ce second article s’attache à l’histoire de la Clinique de la Forêt de Soignes, lieu de travail des auteurs de cet article – Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue. Ce regard jeté sur le passé permet de comprendre l’évolution d’une institution jusqu’à son projet de places réservées à l’internement. Et comment l’espace – bien plus que de simples murs – joue un rôle essentiel dans la réflexion et la prise en charge autour de ces patients et invite les professionnels de la santé mentale à réinventer leurs pratiques.

Trajet de soins pour patients internés : de la prison à un cadre de soin ouvert – décembre 2017
Genèse du projet d’accueil de patients libérés à l’essai dans le cadre du trajet de soins pour patients internés.

Tous fous ? Tous dangereux ? – janvier 2018
Jusqu’ici les auteurs ont tenté de démontrer que la réalité de l’internement en Belgique est loin d’être un « bon plan » pour échapper à la prison, voire à la justice. Mais également qu’ils héritaient du passé rocambolesque de la clinique de la Forêt de soignes. Sur base de ces postulats et en mode candide, leur « mythe fondateur » était de prendre en charge les personnes internées comme n’importe quels autres patients. Mais sont-ils réellement comme n’importe quel patient ? Ils sont « fous », certes (et encore) mais en plus ils sont dangereux … (à voir)

« Amor Fati » : parcours d’internement – février 2018
La rencontre imprévue qui va faire basculer votre vie, la plaque de verglas sournoise, la réponse que vous donnez sans réfléchir,… les choses définitives ne mettent pas un dixième de seconde à se produire. (« Rosy et John », Pierre Lemaître, Edition Le Livre de Poche, Mai 2014). Parcours de l’interné, erreur de casting ou pas ?

L’internement, un circuit de non-soin ? – mars 2018
Le parcours de l’interné commence quasi toujours par l’annexe psychiatrique d’une prison où d’emblée l’humanité du sujet est bouleversée et la vie psychique suspendue.

Les prisons : extensions du domaine de la folie – avril 2018
La case prison est un passage plus que probable dans le parcours de l’internement. Parcours précédemment raconté et illustré par les 2 auteurs tant au départ de la loi que de l’expertise ou encore de la prise en charge au sein de la Clinique de la Forêt de Soignes, là où ils travaillent. Ils mettent cette fois le projecteur sur la case prison comme extension du domaine de la folie et non comme curative et préventive.

Les internés sont parmi nous… – mai 2018
Cet article tente de répondre à 2 questions : quels établissements accueillent actuellement des personnes internées en Belgique ? Et comment fonctionnent-ils ? Avec, à l’appui, de précieux témoignages d’un interné libéré à l’essai et d’une avocate.

Interné, une condamnation à vie ? – juin 2018
Que deviennent ces patients dits « fous dangereux » lorsqu’ils quittent l’hôpital pour poursuivre leur trajet de réinsertion ? Libéré du carcan judiciaire de l’internement ne signifie aucunement être libéré de la maladie. Au quotidien, cette distinction est source de désaccord, de conflit et d’incompréhension.

Article 1 – Surveiller et prescrire ?

r4-001.jpg« L’état psychotique, échappatoire à la prison ? » [1]. Voilà ce qu’on pouvait lire à la une de Libération le 29 novembre 2011 lors du procès du norvégien Anders Behring Breivik, dit le tueur d’Oslo, terroriste norvégien ayant perpétré et revendiqué les attentats terroriste du 22 juillet 2011 en Norvège. Lors de son procès, la question de la responsabilité pénale s’est posée et a suscité de vives réactions dans la presse. Considéré comme pénalement responsable de ses actes, Anders Behring Breivik a finalement été condamné à vingt et un ans de prison.

Quatorze ans plus tôt, c’est un autre criminel qui fait la une du même quotidien :
« Le garagiste bruxellois accusé de l’enlèvement et du viol de Loubna Benaïssa, la petite Marocaine de 9 ans retrouvée morte en mars dernier, a été déclaré « irresponsable » par les experts psychiatres. Ceci va vraisemblablement arrêter les poursuites contre ce récidiviste de 34 ans, dont les aveux avaient déclenché en Belgique une vague d’émotions et de colère comparable à celle provoquée en août 1996 par l’affaire Dutroux » [2]. Interné jusqu’à son dernier souffle, Patrick Derochette décèdera le 14 décembre 2016.

Y-a-t-il un quelconque intérêt pour un criminel à se faire interner ? « Cela va vraisemblablement arrêter les poursuites »… Nous semblons, pour la plupart d’entre nous, animé par l’idée que l’internement permettrait d’échapper à la prison, voire à la justice, cette idée reçue crée souvent dans l’opinion publique et dans le vécu des familles un énorme sentiment d’injustice mêlée à de l’insécurité. On s’interroge parfois sur la raison pour laquelle certains auteurs de crimes parfois violents s’en sortent « si facilement » et justice est dans ce cas bien fortement réclamée.

Il semblerait donc que plaider la folie soit une bonne tactique pour passer entre les mailles du filet d’une justice répressive. Et cette rumeur a la peau dure. Outre l’opinion publique, certains professionnels véhiculent cette idée jusque dans la presse. C’est le cas d’un expert psychiatre qui déclare dans La Capitale le 18 février 2013 : «Il n’est pas le seul, parmi les détenus, à faire semblant d’entendre des voix pour échapper à la justice» [3]. Les détenus eux-mêmes n’échappent pas à cette contamination. Tout comme le personnage de Randle P. Mc Murphy (Jack Nicholson) dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou »[4] qui choisit de se faire interner pour échapper à la prison alors qu’il est accusé de viol sur mineur, certains détenus sont convaincus que l’internement leur évitera de longues années de prisons. En réalité, Mc Murphy ainsi que tous ceux qui sont finalement internés, réalisent progressivement que l’internement n’est pas un si bon plan… et ce n’est rien de le dire !

Tout au long de notre parcours dans les méandres de la défense sociale, il nous a été donné de découvrir des patients, des justiciables, des histoires, des non-sens, …. Nous nous sommes senti de temps à autres impuissants, compétents, touchés, désemparés, soulagés, inquiets, étonnés, … Nous sommes candides dans le domaine et, bien que outrés, pas (encore ?) découragés par la manière dont la justice belge traite nos malades mentaux. C’est cette énergie naïve qui nous donne aujourd’hui envie d’informer sur une réalité, la nôtre, de l’internement en Belgique. Afin de parler un même langage, il nous semble important de resituer clairement ce que représente pénalement cette mesure prise à l’encontre des « criminels malades mentaux ».

Une trajectoire pénale parmi d’autres…

Il existe actuellement dans le droit pénal belge, différentes trajectoires possibles. Certaines s’avèrent statistiquement plus présentes, tel que le circuit pénal classique dans lequel une personne ayant commis un fait est jugée et condamnée à une peine. Cependant, bien que moins courante, l’internement n’en reste pas moins une trajectoire pénale à part entière. Cela permet d’ores et déjà d’affirmer que la mesure d’internement ne permet pas d’échapper à la justice !

Une trajectoire pénale possible donc … Et pas n’importe laquelle puisqu’actuellement la population des internés dans nos prisons est en constante augmentation : selon le dernier rapport de l’Observatoire International des Prison (OIP), les internés étaient 640 en 2000 et 1.088 en 2014. « Ils ont ensuite diminué, principalement en raison de l’ouverture du centre de psychiatrie légale à Gand, le nombre d’internement prononcé par la justice n’ayant pas fluctué. Ils étaient environ 860 début 2016 ».[5] Faisant ainsi de cette population de justiciables, celle qui augmente de manière la plus significative, et représente 10 % de la population carcérale. Selon les statistiques du SPF justice, la population des internés en Belgique a augmenté de plus de 85 % cette dernière décennie. [6] En effet, le nombre de personnes pour qui la justice prononce une mesure d’internement est largement supérieur au nombre de personnes qui sont libérées définitivement, c’est-à-dire « désinternées ».

Mais l’internement c’est quoi exactement ?

Avant toute chose, il s’agit de différencier deux types d‘internement afin de ne pas les confondre : la trajectoire pénale (loi relative à l’internement du 5 mai 2014) et la mesure de protection (loi relative à la protection de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990). Ce qui nous intéresse ici, c’est l’internement comme trajectoire pénale, c’est-à-dire la décision judiciaire prise face à quelqu’un qui a violé la loi, et qui dans ce cadre-là est déclaré « fou » et « dangereux ». L’actualité regorge de faits divers de ce genre, un « fou » a commis un acte de folie qui tombe sous le coup de la loi. Par exemple, ce patient du centre Hospitalier Jean Titeca qui, en janvier 2016, blesse sept personnes à l’arme blanche dans le service où il résidait. A ne pas confondre avec la mesure de protection prévue par la loi du 26 juin 1990 qui peut être prise à l’égard d’une personne qui est reconnue « malade mentale », qui met en péril sa santé ou sa sécurité et/ou constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui sans qu’aucun traitement ne soit possible. Cette mesure de protection, soumise à l’appréciation du juge de paix, n’a rien d’une trajectoire pénale. Elle est prévue pour le « fou » potentiellement dangereux mais qui n’a pas enfreint la loi.

Précision faite, entrons dans la réalité judiciaire de l’internement en droit belge. Bien que légèrement rébarbatif de temps à autre, l’aspect pénal est essentiel, puisque comme nous l’avons vu un interné est un fou certes, mais un fou décrété « dangereux ». Ce qui le place d’emblée dans une double réalité : à la fois judiciaire et clinique. Avec une difficulté supplémentaire : ces deux mondes ne parlent pas la même langue, ce qui permet de comprendre pourquoi, parfois, elles ne s’entendent pas.

Il reste à comprendre comment la justice se prononce sur le « diagnostic » de « fou-dangereux ». Tout d’abord, pour être établie, une infraction doit réunir deux éléments : un élément matériel (l’accusé a-t-il commis les faits ?) et un élément moral (savait-il ce qu’il faisait ?). Si le jury répond « oui » à ces deux questions, cela signifie qu’il estime que les deux éléments fondateurs de l’infraction sont réunis et que l’auteur des faits était responsable de ses actes au moment des faits. Dans le cas précis de l’internement, le jury répond non à la deuxième question, considérant ainsi que l’auteur « n’avait pas toute sa tête » au moment des faits. En effet, selon l’article 71 du code pénal, « il n’y a pas d’infraction, lorsque l’accusé ou le prévenu était en état de démence au moment des faits ». Autrement dit, on reconnaît qu’il y a eu une infraction mais on estime que l’état mental de la personne ne nous permet pas de le considérer comme pénalement responsable de son acte et donc faire l’objet d’une peine.

Il semble que le discours médiatique s’arrête là, comme si ce constat d’irresponsabilité pénale était en soi une échappatoire à la prison. C’est par exemple le cas d’un quotidien belge qui en novembre 2015 publie un article sous le titre suivant : « Jean-Philippe Dhainaut sera interné sans être jugé », faisant référence à un matricide qui avait provoqué l’effroi en mars 2015 à Mons. Un trentenaire diagnostiqué schizophrène a mis fin aux jours de sa mère sans pouvoir expliquer son geste. « Déclaré irresponsable, il ne sera finalement pas jugé par une juridiction d’assises mais sera interné dans un établissement spécialisé. Ses troubles mentaux ainsi que la faiblesse de ses facultés intellectuelles lorsqu’il a commis son acte meurtrier présageaient ce placement en hôpital psychiatrique. »[7]

Lorsque la presse précise que cet auteur ne sera pas jugé devant la Cour d’Assise, cela ne signifie absolument pas que la justice belge laisse cet acte sans réponse. Que du contraire, jugé irresponsable et dangereux, le système pénal belge cherche pour cet auteur une réponse adéquate tant à la folie qu’à la dangerosité. Et ce, en partant de l’idée émise par Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire dans le journal Le Soir, qu’« un état démocratique ne poursuit pas pénalement ses fous dangereux, il a le devoir de les prendre en charge pour que plus jamais ils ne sévissent ».[8] C’est précisément dans cette lignée que s’inscrit la loi relative à l’internement.

Pierre Schepens, psychiatre et Virginie De Baeremaeker, psychologue, à la Clinique de la Forêt de Soignes, octobre 2017

Illustration : Charlotte De Saedeleer

Pour en savoir plus sur la nouvelle loi internement :

– Dossier réalisé par SIMILES (22/06/2017) : « La nouvelle loi relative à l’internement des personnes : qu’est-ce qui a changé ? »

– Point d’actualité sur Le Guide Social (21/11/2016) : « 860 places ouvertes pour l’internement psychiatrique »

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