Mémoire Vivante, un des projets collectifs du Service de Santé Mentale La Gerbe, a pour objectif de redonner au senior la parole et la place qui lui revient. A l’occasion des 30 ans du projet en octobre 2019, Pierre Gobiet, psychologue dans un Service de Santé Mentale de Malmédy et auteur du livre « Une si longue vie – Comprendre et accompagner le très grand âge », était invité au Parlement francophone bruxellois pour livrer de précieux fragments de son expérience d’accompagnement des personnes âgées dans leurs différents lieux de vie.
De « vielles bestioles » bien vivantes !
A partir de cette idée – accompagner les personnes âgées en santé mentale en s’invitant dans leur sphère privée (à domicile, en maison de retraite) – Pierre Gobiet découvre peu à peu les territoires de ceux qu’il aime appeler les « arpenteurs du temps », ceux-là même que la société désigne souvent comme « hors-jeu ». Mais qui, pour lui, ont encore des vies dynamiques et surprenantes [1]« Une si longue vie », p.15 A l’aide d’anecdotes de travail, Pierre Gobiet nous emmène au plus près de cette réalité et nous la donne à voir, avec légèreté, respect, et surtout, clés d’accès. On retiendra par exemple l’histoire de cette très vieille dame à qui le psychologue demande quel attribut qualifierait le mieux son grand âge et qui lui répond : « je suis un dinosaure, mais pas encore fossilisé ». A travers cette image, elle insiste sur la vie qui est encore et toujours là. Et, en filigrane, peut se lire aussi cette question: « pourquoi je vis encore ? » et « pourquoi moi ? », « quel sens cela a-t-il ? », « que puis-je faire de ce grand âge? » … Un autre très vieux monsieur lui confiera un jour : « je suis l’oublié de Dieu et des hommes ». [2]Op.cit., p. 20 Tel un vestige d’un passé révolu, « ce qu’il est ne fait plus écho ».
A ce sentiment d’être oublié s’ajoute celui d’être captif d’une routine : souvent confinés dans des espaces prévisibles – sécurité oblige – tout espace de risque et de nouveauté est évacué. [3]Op.cit., p. 22 Une autre vieille dame en maison de retraite se définit comme « une vieille bestiole », « un vieux débris », « une carcasse » aux « tuyauteries bouchées » … A travers ces mots, elle dit sa révolte d’être « prisonnière de ce corps-là, de cet âge-là ». De « ne plus être au coeur de sa propre vie ». Révolte qui nous amène à cette question centrale de la dépendance dans laquelle on place très souvent la personne âgée. Muée en objet de soin, la personne n’est plus regardée en tant que sujet désirant, indépendant. C’est à qui méritera le plus de soins, à qui sera prioritaire dans le soin pour continuer à exister à travers ce regard-là. Mais, dans ces conditions, « comment exister encore face à l’autre ? », s’interroge le psychologue. Comment « exister pour l’autre, avec l’autre, et pas seulement par l’autre? « … [4]Op.cit., p.33 Autrement dit, comment conjuguer l’autonomie d’une personne et sa dépendance ?
Ecouter, « laver » son regard
La question est vaste, complexe. Elle n’appelle pas à une réponse unique, figée. Mais bien à des pistes diverses, sans cesse en construction ; à expérimenter, à élaborer avec les personnes âgées, en fréquentant leur quotidien. Et ce, que l’on soit un proche, un aide-soignant, une coiffeuse travaillant en maison de retraite, … toute personne qui gravite autour du grand âge. « Laver son regard et être dans une dimension d’écoute qui permet à la personne d’être entendue », et donc d’exister, au-delà du soin.
Bref. Accompagner le grand âge, pour Pierre Gobiet, ce n’est certainement pas une histoire réservée aux psychologues : « non, l’idée n’est pas de démultiplier les professionnels dans les différents lieux de vie des personnes âgées ! « , affirme-t-il. Mais bien d’outiller les autres métiers déjà présents autour d’elles, de nourrir le réseau : personnel en maison de retraite, aides à domicile, … Les inviter à être ces « témoins curieux », à l’écoute du travail existentiel entrepris par ces arpenteurs du temps. Permettre à la personne âgée de réenchanter ses souvenirs – parfois dans une temporalité en désordre – mais peu importe ! « Le souvenir [étant] le compromis acceptable entre la nécessité d’oublier et l’impératif de garder une trace de soi-même ». Et se mettre en position de « récipiendaire de cette mémoire du monde ».
Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl, janvier 2020
Pour aller plus loin : « Une si longue vie – Comprendre et accompagner le très grand âge », Edition Mardaga, 2015.
Prochaine formation :
23/03/2020 à Namur : « Aînés – Comprendre et accompagner les personnes âgées à très âgées » : https://www.uvcw.be/formations-cpas/1816
Pierre Gobiet donne aussi des formations à la demande des institutions.