Combien de sans-abri à Bruxelles ? Qui cela intéresse ?…

Depuis quelques semaines, on peut lire dans la presse que Bruxelles compte 33% de sans-abri en plus qu’en 2010, soit 2603 personnes. Ces chiffres sont issus des résultats d’un troisième « dénombrement » réalisé en Région de Bruxelles-Capitale. En théorie, le dénombrement « s’obtient par un comptage ou par un calcul de son cardinal à l’aide de techniques combinatoires ». Et plus concrètement ?… Le 6 novembre 2014, ce sont 160 volontaires, en provenance de diverses associations et coordonnées par La Strada qui ont parcouru les rues de Bruxelles pour repérer les personnes sans-abri, sans logement et en logement inadéquat, entre 23h et minuit.

Plus précisément, comment cela fonctionne ?

La Strada a d’abord réalisé tout un travail exploratoire : regard sur les expériences à l’étranger et adaptation aux réalités bruxelloises. En partenariat avec les professionnels du secteur, le Centre d’appui a identifié les secteurs géographiques à dénombrer le soir-même et a récolté les chiffres d’occupation dans les différentes formes d’hébergement possibles (à partir de la typologie ETHOS élaborée par la FEANTSA, voir rapport) : centres d’accueil ou hébergement d’urgence, maisons d’accueil (reste la forme d’hébergement la plus fréquente au sein du secteur de l’aide aux sans-abri), squats, mais aussi hôpitaux, etc. Au final, tout ce travail permet d’offrir une photographie instantanée de la situation, une vision globale de la distribution des différentes formes d’absence et/ou de mal-logement en Région bruxelloise. Photographie qui, pour diverses raisons, reste une sous-estimation de la réalité. En effet, c’est « une population aux contours flous, difficile à saisir et circonscrire, dans des catégories statistiques comme sur le terrain », précise La Strada. Il suffit de penser par exemple aux personnes sans-abri peu comptabilisées en dehors du centre de Bruxelles, mais « n’est-ce pas en raison de l’insécurité qu’elles peuvent éprouver loin du centre-ville qu’elles deviennent justement davantage invisibles ? », fait remarquer le coordinateur de La Strada, Martin Wagener. Autre remarque importante : la méthode employée est identique à celle utilisée lors des précédents dénombrements (2008 et 2010) par souci de comparaison. Elle s’affine et s’améliore cependant, au fil des dénombrements. L’augmentation des sans-abri observée – plus de 50% entre 2008 et 2014 – est donc à relativiser, en partie, en regard d’une meilleure connaissance du terrain : de nouveaux partenaires (chiffres récoltés auprès des hôpitaux,…), la participation de secteurs connexes (maisons médicales, services de santé mentale,…), de meilleurs renseignements concernant les lieux de squats, etc.

Pourquoi compter ?…

Malgré ces différentes zones d’incertitudes – personnes invisibles en rue ou ailleurs, ajustement de la méthodologie de travail et impact sur les résultats – La Strada rappelle combien « ce comptage reste un événement indispensable à la consolidation des connaissances et de l’évolution de cette population fragile, pour les professionnels comme pour les pouvoirs publics ». Une lecture plus fine du rapport de ce dénombrement ne fait que confirmer ce propos. Au-delà des chiffres et autre pourcentage, ce travail permet de rendre visible une série d’éléments invisibles, peu connus ou méconnus autour de cette population. A titre d’exemple, nous épinglons la question des gares, et plus largement celle des espaces publics soulignée dans le rapport de La Strada (pp. 23-24), thématique sur laquelle le CBCS s’est lui-même penché à travers un dossier et plusieurs articles (lire à ce sujet le BIS n°172 et l’article « l’appropriation de l’espace public » sur notre site). On nous apprend qu’il existe « une augmentation significative de 25% du nombre de personnes dormant en rue et dans les espaces publics. (…) Lors des deux premiers dénombrements, le comptage en gares représentait un peu plus de la moitié des personnes en rue. En 2014, si on prend le cas de la Gare Centrale, on y a dénombré quatre fois moins de personnes qu’en 2010. Plusieurs pistes permettent d’expliquer cette baisse drastique, nous dit le rapport. Tout d’abord, en 2010, des personnes ont été comptées dans le couloir de la Gare Centrale juste après une distribution de repas pour sans-abri, ce qui ne fut pas le cas cette année. (…) Ensuite, ce couloir est aujourd’hui totalement rénové et davantage sécurisé (il fait l’objet d’une surveillance continue par caméra-vidéo). Des équipes d’agents de sécurité de la SNCB y patrouillent régulièrement et les distributions de nourriture sont désormais interdites sur le périmètre de la SNCB. Par ailleurs, on y a installé quelques commerces, visant à y attirer un public de consommateurs. Ces réagencements ont été conduits dans le but d’offrir aux passants un environnement plus sûr et plus familier. Ces évolutions vont de pair avec des mesures de plus en plus sécuritaires et répressives vis-à-vis du public sans-abri ou en errance, devenu « indésirable » dans ces espaces. En outre, ce « lifting » du couloir de la Gare Centrale s’inscrit dans une mouvance de rénovation et d’embellissement à l’oeuvre dans plusieurs gares bruxelloises. Depuis plusieurs années, les commerces s’y développent, favorisant ainsi l’instauration d’espaces plus conviviaux pour les voyageurs. Mais cette commercialisation des gares ferroviaires privilégie la présence de certains publics, « c’est-à-dire ceux qui respectent les règles de jouissance du lieu: consommation ou déplacements » (Doherty, 2006, p. 8). Cela se fait donc en dépit d’autres fonctions qu’occupaient traditionnellement les gares. L’observatoire européen sur le sans-abrisme aboutit d’ailleurs à ce constat : « l’introduction d’activités commerciales dans les gares entraînera inévitablement l’estompement de certaines de leurs fonctions traditionnelles: leur désignation, jusqu’ici non équivoque, en tant qu’espace public, s’estompera à mesure qu’elles se doteront de centres d’affaires et de galeries commerçantes, acquérant ainsi un rôle “semi-public”, voire “privé”, et concurrent de leur fonction originelle et dominante de lieu de passage des voyageurs » (Doherty, 2006, p. 9). Ces changements affectent particulièrement les rôles joués par les gares en matière d’exclusion au logement. Car plus qu’un abri pour démunis, ce sont des lieux indispensables où il est possible de se poser et d’avoir accès à des sanitaires ou de la nourriture, le tout dans un périmètre réduit. La commercialisation des gares, allant de pair avec une privatisation et une sécurisation de leurs espaces, repousse les publics en errance, les privant ainsi d’un ensemble d’opportunités qui leur est difficilement possible de retrouver ailleurs. (Extrait du rapport, p. 23-24). Si réduire les sans-abri à une question de pourcentage peut effrayer – certains services d’aides aux sans-abri eux-mêmes peuvent parfois se montrer réticents face à ce type d’exercice comptable – on le voit bien avec cet exemple, l’objectif d’un tel dénombrement ne se limite pas à produire un constat chiffré. Au-delà d’offrir une vision plus objective du nombre de sans-abri, c’est aussi l’analyse d’un ensemble de données qui permettent de « mieux saisir la réalité d’une population aussi évolutive que volatile ». Afin d’élaborer les stratégies les plus adéquates possibles en termes de politique publique d’aide aux personnes, notamment en faveur du logement des personnes précarisées. Mais encore faut-il que les politiques concernées osent s’emparer franchement de la question … Stéphanie Devlésaver, CBCS asbl (27/03/2015)Lire le rapport « Troisième dénombrement des personnes sans abri, sans logement, et en logement inadéquat en Région de Bruxelles-Capitale. Le 6 novembre 2014 », La Strada. – Lire la synthèse du rapport.

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